M6 : Pour un peuple presque parfait
Précisons d’abord qu’elle n’est pas spécifiquement française. En Angleterre par exemple, on l’appelle génération Channel 4.
En France, ses fidèles ont entre 14 et 35 ans et ce point commun de n’avoir aucun souvenir d’une France sans M6. La nature des programmes de cette chaîne, son introduction du concept d’évaluation puis d’élimination des individus par leurs semblables, son recours au coaching comportemental approfondi reculant sans cesse les limites de la vie privée ou sociale, ses prescriptions d’achat aux apparences anodines qui font de ces shows des publi-reportages, son humour socialement inoffensif, la ligne éditoriale de ses magazines d’enquête précédant ou accompagnant les réformes du gouvernement, son survol distancié de l’information, ont modelé une génération.
La génération M6.
Reprenant le flambeau de la France déclinante de la première compagnie qui, vivant sur ses gloires passées sans se renouveler, s’éteint peu à peu, cette petite génération qui monte et qui a fait de la chaîne alternative sa favorite est La France de demain.
Pour plus d’information sur les programmes de la chaîne incriminée je vous renvoie à cette vidéo et, parce que l’on est jamais mieux servi que par soi-même, au site M6Replay.fr.
Mais, revenons à nos moutons.
On repère la génération M6 lorsqu’elle sort de sa tanière cocoonisée à la saison des achats (fêtes et soldes et en règle générale dès le vendredi soir à 17h) pour arpenter les rayons illuminés à son intention, dans l’attente qu’on lui libère son dimanche chômé, intolérable atteinte à son pouvoir d’acheter.
La génération M6 va souvent par deux, en petits couples assortis (- parce qu’à deux ça fait moins d’impôts à payer). Malgré sa passion pour le bouddhisme, les bougies parfumées ou le karaoké, elle rationalise son rapport au monde selon des critères financiers. Avec elle, tout est pognon. La génération M6 a une calculette en lieu et place du cerveau.
Toujours partante pour courir là où on lui suggère de marcher, prête à supplier là où on l’invite à ramper, son champ d’analyse sociale part de ma droite (elle est ainsi, à l’image de ses grands aînés très réceptive aux discours publicitaires d’hommes providentiels promettant plus d’argent en échange de plus d’efforts) pour s’étendre jusqu’au plus à gauche possible pour elle (c’est à dire encore bien à ma droite) au travers du sentiment d’injustice qui la déchire à l’idée de ne pas avoir un écran plasma aussi bien que celui de Dany Boon vu dans le M6 Déco spécial intérieurs de stars.
Sa vie est une course d’un centre commercial à l’autre pour l’obtention, à prix soldé, des gadgets recommandés par sa chaîne privilégiée. Du nord au sud, on reconnaît les intérieurs de ses pavillons qui se reproduisent à l’unisson coloré des préceptes de ses mentors télévisés de la déco mégalo. Dans ses salons carrelés s’entassent, avec la frénésie d’agencement de ceux qui ont peur de ne plus posséder, des meubles offrant la triple qualité d’être massifs, moches et dépareillés. Elle est provinciale ou banlieusarde. Via un habile marketing des annonceurs, et la répétition annuelle des Capital spécial bonnes affaires de l’immobilier, elle s’est auto-bannie des centres villes afin de trouver plus grand et plus dans son budget, en vingt-cinquième périphérie.
C’est que, question maison, la génération M6 abhorre la location. Peu importe ses revenus, posséder un toit n’est pas une ambition : C’est une obligation. Comment faire autrement lorsque pendant les 10 dernières années on a entendu comme seuls sons de cloche les reportages orientés d’M6 d’un côté et de l’autre, l’écho continu des ego repus des parents proprios ? Quand elle possède un bien immobilier, quelconque et sur payé, c’est comme pour son canapé, vite elle s’en lasse. Il lui faut plus grand et plus classe.
En pleine crise existentielle pour cause d’existence de crise, la génération M6 consacre encore ses forces à se cogner sans peur du ridicule dans le mur de ses contradictions, tiraillée entre l’idéal télévisé de l’épanouissement personnel et la logique comptable de ceux qui lui vendent cette réussite balisée d’objets à se procurer et de concepts à adopter.
S’intéressant peu à la vie au-delà du consommable, elle s’interroge rarement sur les motivations et les conséquences de ses actes dont elle paye, au propre et au figuré, régulièrement les frais.
Son opulence à débit différé est pourtant souvent remise en cause à la fin du mois par des imprévus de type appel de fonds pour les charges de l’immeuble ou nouvelle option sur le forfait 3G-UMTS-Bluetouze (pour appeler maman qui habite à deux maisons de là) qui plantera de 500 euros son budget de représentation établi à 140% de ce qu’elle gagne en salaire.
Rentrant dans la vie active par la dette, à pas 30 ans elle n’a déjà plus aucune soupape de sécurité et prend toute déconvenue financière de plein fouet. D’où ce sentiment de colère qui monte en elle depuis les non-résultats sur le terrain de l’élection présidentielle de son miracle américain. Que ce soit pour sa maison ou ses revenus, elle se persuadait que le nouveau président lui garantirait du +15% à l’année. Enfin, c’est ce qu’elle avait compris du Zone Interdite spécial ces pays qui ont tout compris et qui ont su se réformer diffusé quelque part au cœur de la déprime de 2006, amuse-gueule aspartamé de celle qui l’attend en 2009.
Sur le terrain pavillonnaire, la génération M6 est une confrérie tacite dont l’adoubement repose sur des codes vestimentaires, ludiques et télévisuels très précis. Elle se conjugue intérieurement à la première personne du singulier. Le nous revendicatif sonne comme un blasphème à ses oreilles. La transcendance spirituelle ne l’intéresse pas plus. Ses seules communions sont de pixels. L’unique réel sur lequel elle veut avoir prise est celui de sa chaîne via des SMS surtaxés pour éliminer ses semblables qui ont voulu tenter de briller à la télé (son rêve secret). Pour elle, la reconnaissance n’est pas la conséquence d’un travail, c’est le but de tout crétin chantant sous sa douche ou devant Rock Band, jeu vidéo qui, comme tous ceux simulant à la fois notoriété et maîtrise factice d’un apprentissage représentant des décennies de labeur, marche très fort dans ses rangs.
De par son âge, son état de salariée pressée jusqu’au trognon et ses montagnes de crédits, la génération M6 est déjà la grande perdante de 2009. Arriviste se pensant déjà arrivée (si l’on considère qu’un salon à 6000 euros payable en 15 fois sans frais est une étape essentielle dans la vie d’un homme) elle ignore qu’elle se trouve au début son long parcours sacrificiel. Au fond, cela la gêne peu et puis elle a son arme contre la déprime : Les petits plaisirs. Elle n’a pas besoin qu’on lui répète 10 fois la publicité : De son propre aveu, elle craque énormément. Et puis, la vie c’est comme la real-tivi : Pas de réussite sans humiliation. Pas d’émancipation sans asservissement. Oui, la génération M6 est un peu con.
Rentrée dans le monde de l’entreprise par la porte initiatique du stage sous-payé, bercée par les discours angéliques de ses parents, outrée par ses grands frères (c’est moi ça) qui peuvent perdre leurs journées à ne pas être productifs pour d’autres, la génération gobe tout cru ce qu’on lui dit et se montre très travailleuse. Elle n’hésite pas à cumuler les boulots, son job au bureau et le soir la garde rémunérée des enfants des autres. Et ce, quitte à engager une baby-sitter pour garder les siens. Dans l’optique de l’accès à sa bourgeoisie fantasmée, le travail c’est sacré. C’est son nouveau président qui lui a dit. C’est pour cela qu’en 2007, pour la première fois elle s’est bougée jusqu’au bureau de vote, sans conviction propre, juste parce que c’était Dans les couples de la génération M6, elle et lui travaillent (- Bah tu comprends financièrement, c’est impossible autrement). Lui turbine parce qu’il veut la nouvelle Xbox, elle, parce que c’est le progrès et qu’elle veut que son mec ait sa nouvelle Xbox sinon ce serait pas un mec, pas un vrai, en tous les cas pas un comme celui de ses copines. Quand la génération M6 parle de son boulot, c’est souvent pour s’en plaindre sans pour autant le remettre en question. Le travail est une peine de prison tolérée pour surnager à la surface de sa condition. Déclassée du monde du travail, reclassée domestique au ras d’une way-of-life qui n’a d’américaine que l’étau du crédit, enfermée volontaire dans sa cellule aux barreaux de pacotilles à renouveler régulièrement, elle ne s’autorise aucun dérapage de son quotidien d’esclave sinon ce serait le krach bancaire. Et puis le travail, ça occupe !
- Hein love, qu’est-ce qu’on ferait de tout ce temps libre ?
Ne dialoguant pas sur la substance, imperméable au discernement, esquivant l’effort intellectuel, la génération M6 somatise énormément. Bien qu’elle se plaigne de la dette causée par les services publics de santé, on la retrouve régulièrement (comme ses parents) en consultation dans les cabinets médicaux ou aux urgences des hôpitaux dès que son nez coule (c’est à dire deux fois par mois) à la quête semi-honteuse de cet arrêt maladie qui lui permettrait de passer ses après-midi chez elle à mater Delarue sur le Plasma en bouffant des chipsters. Toujours là pour éponger les queues de tendances, elle attrape tout ce qui traîne, virus et autres gastro-entérites à diarrhées carabinées dont elle fait connaitre à son entourage, fréquence et consistance, avec force SMS (- Mais après 20h parce que tu comprends, entre 20 et 21 heures c’est illimité les textos sur mon forfait optimum-totale-liberté).
De formation souvent commerciale, visant des métiers aux intitulés abscons dont les fonctions lui sont ardues à définir mais que l’on peut souvent résumer à comment vais-je plumer mon connard d’interlocuteur pour me faire bien voir auprès de mon chef que je méprise ? elle est ouvertement inculte et le revendique via une sous-culture à base de références audiovisuelles de moins de 6 mois. Attention, si vous habitez dans une zone où elle est majoritaire, ne laissez pas filtrer que vous ne possédez pas de télévision ou que votre poste est encore cathodique, on ne peut présager de réactions qui pourraient être violentes. L’exclusion du camp de consommation pourrait être prononcée et vous seriez l’objet des quolibets de sa marmaille, encore plus matérialiste.
Comme ses modèles, les riches et les célèbres, la génération M6 se mélange peu avec les autres classes. La vie du riche lui est inaccessible autrement que par les produits qui simulent la fortune. Quant au monde des pauvres, c’est son repoussoir ultime. En temps de crise, ça l’incite à encore plus travailler, et pour être moins payée s’il le faut.
Le revenu net mensuel est un facteur déterminant dans toute relation sentimentale durable entre deux individus de la génération M6. Les exigences financières sont draconiennes : Faut au moins que l’être aimé gagne 1300 euros mensuel sinon ce n’est pas la peine de venir roucouler sous sa marquise Leroy-Malin (c’est très M6). Intraitable loi à l’image de celles des parcs d’attraction où elle se rend en pèlerinage deux fois par an : En dessous d’une certaine taille, pas d’accès au tourbillon hédoniste des jouissances Made-in-China.
Fonctionnant sur le mode binaire, les illusions taillées au sécateur par les raccourcis d’une chaîne qui ne tolère pas l’erreur (le mauve c’est bien, faut trier ses déchets, manger des fruits et pas violer ses enfants), il m’est arrivé de partager certaines de ces soirées festives (en réponse à l’ennui, tout chez elle est prétexte à fête) et d’accéder à un niveau de vide rarement côtoyé ailleurs que dans les films de Luc Besson. Dans ces moments d’extrême solitude, j’ai touché le néant et je peux l’affirmer : Il n’y a pas de vie après la mort cérébrale. Dans ce genre de parties plates où le lisse s’étale par barils de connivences, pas une idée, pas un concept, pas même une opinion sur laquelle je puisse m’énerver. Pas d’humour non plus, enfin autrement que par un festival de citations à l’intonation exacte, des dialogues de Christian Clavier dans les comédies "cultes" du Splendid ou des spectacles de ses comiques favoris, ceux qui au nom d’une promotion garantie sans dérapages, ont expurgé de leur champ du drôle toute référence contestataire, sociale et politique.
J’arrête ici ma description non-exhaustive de cette force anti-révolutionnaire tapie dans la lumière vario-climatisée de ses espaces de vie parfumés à la cannelle et au citron vert, tant il y aurait sujet à chapitres et il faut que je m’en garde pour un prochain ouvrage.
Pour conclure provisoirement, si l’on doit résumer à un seul le critère de reconnaissance d’appartenance à la génération M6, ce sera le conformisme. Insensible à l’injustice, sans véhémence contre sa classe dirigeante, bien au contraire, résolue au marché et comptant ses coupons de réductions, elle est la preuve en chair et neurones que la vieillesse n’attend pas le nombre des années.
- La révolution ? Hein ? Pas jeudi, y a "Nouvelle star".
Article original sur le blog Les jours et l’ennui de Seb Musset
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