Macron et l’antisémitisme : la course à l’échalotte
Est-ce que ce président et ce gouvernement qui ne sont pas à la hauteur de la crise des Gilets Jaunes, sauront être à la hauteur du traitement qu'exige l'antisémitisme ou ne sauront-ils que nous resservir un vieux potage plusieurs fois réchauffé ?
Titre provocateur, titre provisoire pour une triste histoire qui entache l'humanité, comme tant d’autres, mais celle‑là, celle de l’antisémitisme, a sans doute une place particulière au regard de ce que communément nous appelons les Valeurs de la République et du relent d’une histoire pas si ancienne qu’elle ramène vers nous. L’antisémitisme colle à l’histoire de la France comme le sparadrap à la chaussure du capitaine Hadock, il semble que le pays vive avec l’antisémitisme comme un corps vit avec une infection sourde dont périodiquement des effets éruptifs nous rappellent qu’elle est là, toujours là, assourdie, calmée mais pas éteinte, jamais éteinte. Comme le médecin qui prescrit des antibiotiques capables de calmer les effets de l’infection mais pas de la terrasser, les gouvernants et les intellectuels proclament qu’il y aura des mesures fortes pour éradiquer le mal et les seconds avancent la morale et une foultitude de raisons et de causes.
Emmanuel Macron n’a pas échappé à la routine politique comme il l’a montré lors du dernier banquet du CRIF : « Nous avons condamné, beaucoup, adopté des plans, votés des lois, parfois. Mais nous n’avons pas su agir efficacement ». Puis rappelant les agressions et les actes antisémites de l’année 2018, il indiquait qu'ils sont « notre échec » et que « le temps est venu des actes tranchants ». Faut-il s’étendre sur les propositions d’Emmanuel Macron toutes aussi dérisoires que les mesures de jadis voire plus car susceptibles de déplacer la haine en créant de nouvelles rancœurs comme ce sera le cas avec la confusion entre l’antisionisme et l’antisémitisme ? E. Macron rappela sa position, déjà énoncée à de multiples occasions, « L’antisionisme est une des formes modernes de l’antisémitisme » et d'annoncer que la France adoptera la définition de l’Alliance internationale pour la mémoire de la Shoah pour définir antisionisme et antisémitisme, c’est comme s’il demandait au pape François de définir l’interruption de grossesse. En outre quelle portée aurait une définition qui voudrait circonscrire les paroles et les actes dans une légalité ou une civilité imposées par l’Etat s’il n’y a pas de modification du Code pénal, les déclarations d’intentions seraient-elles devenues suffisantes pour interdire ?
La position d’E. Macron me ramène à un opuscule[1] publié par le Grand Orient de France intitulé « Le Bouc Emissaire ». Je ferai plusieurs fois allusion à ce document que je n’ai pas encore attentivement lu, je n’ai fait que glaner quelques citations rapidement prélevées, aussi le lecteur de cet article voudra bien considérer que ces citations sont insuffisamment contextualisées et ne valent que comme esquisse d’une illustration de mon propos. Ainsi, à propos de mon sujet la citation suivante de l’avant‑propos du livre illustre l’aspect dérisoire des déclarations d’E. Macron suivant lesquelles ils suffiraient de donner ou de changer une définition pour que les choses changent, « Oui nous avions pu penser alors [en 1945], comme tant l’ont dit “plus jamais cela”. Oui, nous avions pu penser que le traumatisme était si énorme que cela n’arriverait effectivement plus jamais, Nous avions tord et Bertold Brecht avait raison lorsqu’il écrivait que le ventre d’où a surgi la bête immonde. Là, maintenant, en ce début de 21ème siècle, elle surgit, la bête immonde, plus bête et plus immonde que jamais. » La « bête immonde » est terrée au tréfond de la société, peut-être même de l’humain le plus banal, alors faute de pouvoir l’abattre il faut chercher ce qui la nourrit pour l’affamer et ainsi, peut-être, la détruire.
E. Macron, fidèle à la tradition politique du pays, se conforte dans des propositions rapides, superficielles et démagogiques : il faut dire vite aux gens qu’on prend en compte leur émotion (d’ailleurs plus que leur douleur), mais tant pis si on ne réfléchit pas au long terme, il faut agir, il faut montrer qu’on agit, qu’on agit vite donnant ainsi l’illusion qu’on traite le problème, et peu importe les causes : le cataplasme vaut désormais mieux que le traitement de fond. L’antisémitisme, prononcé, dit ou en actes, est interdit tant socialement que juridiquement alors les antisémites se camouflent derrière l'antisionisme, alors interdisons l’antisionisme dit le président. Mais ceux qui se cachent derrière l’antisionisme ne se cacheront-ils pas demain derrière autre chose. En outre, ce faisant on enlève l’essence de l'antisionisme, auquel adhèrent aussi des Juifs, qui est une opinion sur un fait politique et on crée ainsi de nouvelles rancœurs chez ceux qui ne font que défendre que l’Etat d’Israël n’aurait pas dû être créé. Dès lors n’instaurons-nous pas un délit d’opinion ?
Pour E Macron comme pour ses prédécesseurs il faut montrer qu’il n’est pas insensible (qui aurait cru le contraire) et qu’il est en mesure d’éradiquer l'antisémitisme. N’est-il pas en train de s’attacher un électorat et les faveurs de l’Etat d’Israël comme il l’avait fait en invitant Benjamin Netanyahou à la commémoration du 75ème anniversaire de la Rafle du Vel d’Hiv alors que l’Etat d’Israël n’est en rien concerné par cet épisode lamentable de notre histoire puisqu’il n’existait pas en 1942[2] ? Ne faut-il pas voir des gesticulations politiques qui ne servent qu’à masquer des insuffisances et des échecs comme ce fut le cas pour François Hollande en 2015 ? C’est, par exemple, la position développée par Jacob Rogozinski dans son article[3] « Je suis Juif et Gilet Jaune » : « Qu’il est aisé pour des politiciens habiles, de se refaire une virginité en se posant en protecteur des Juifs prétendument menacés par la vile populace. », et il cite le journaliste Claude Askolovitch[4] qui a écrit dans Slate un remarquable article dans lequel il dit : « La défense des juifs est le meilleur discours de celles et ceux qui nous gouvernent, et d’autant plus que ce discours, hélas, n’a que peu d’influence sur la société. Édouard Philippe parle aussi haut que Christophe Castaner ou jadis Manuel Valls, Dominique de Villepin ou Nicolas Sarkozy, qui tous assuraient que la personne qui touche un juif touche la France, mais parfois, on entendait autre chose : qui nous touche, gouvernants, nous prouverons qu’il touche les juifs. » Comment dire que le discours présidentiel n’est qu’un voile pudique sur une douleur immense qui ni ne rassure ni ne protège ceux qui, victimes, ont mal, comment dire que le discours présidentiel ne touche quasiment personne : seulement 20 000 personnes rassemblées placent de la République le 19 février bien que l’appel ait été lancé par une vingtaine de partis politiques ? Mais on avait exclu certains de ce rassemblement comme si l’affaire ne nous concernait pas « TOUS ». Comment rassembler pour témoigner de la participation d’un pays à une douleur qui ne touche que 1% de la population à un moment où d’autres souffrances, permanentes, quotidiennes, s’acharnent sur bien plus nombreux ? Comment dire, alors que ceux qui l’ont dit à l’époque ont été voués aux gémonies, qu’en janvier 2015 ce n’était sans doute pas ce qu’on a cru ou ce que les politiciens ont tenté de nous faire croire ? La peur, la peur qui rassemble pour la conjurer, la peur qui rassemble parce qu’on craint d’être soi‑même victime.
Comment dire qu’il faut arrêter de s’agiter, pour cela comme pour tellement d'autres choses, comment dire qu’il faut s’arrêter et s’asseoir ensemble sans hiérarchie et parler, et s’écouter pour trouver nos solutions ? Dans l’opuscule du Grand Orient de France Michel Maffesoli écrit « L’actualité nous incite à la prudence, vertu on ne peut plus judicieuse en des moments où l’émotionnel tend à prédominer. La sagesse populaire, au savoir inné, le sait : il faut savoir raison garder ! Ce qui incite à se méfier des effets d’annonce et des approximations médiatiques. » On rêve qu’il puisse être entendu mais comment pourrait-il l’être par un individu qui ne crois qu’en lui ; d’E. Macron on peut dire ce que Mirabeau disait à propos de Robespierre : « Cet homme ira loin, il croit tout ce qu’il dit », il croit tout ce qu’il dit et il promeut son discours comme on le ferait un bateleur de foire devant un public médusé. A l’heure où on pratique la politique comme Edward Bernays, inventeur de la propagande, la décrivait à l’image du marketing qu’il inventa : à grand renfort de communication, d’effets d'annonce, sans approfondir rien, sans se préoccuper des gens réels destinataires des décisions et qui, quoi qu’il arrive, en subiront les conséquences ; le seul but du politicien est aujourd’hui de faire gagner son idée, brute et sans jamais la confronter ni à d’autres idées ni à une quelconque analyse des besoins des personnes. Alors, comment pourrait-on croire que Michel Maffesoli puisse être entendu par les politiciens ou par les journalistes, ces derniers étant tellement avides de sensationnel.
Alors on annonce des mesures sans même se préoccuper de leur faisabilité, de leur conséquence, sans même se garder de ce qu’elles peuvent avoir de ridicule et de grotesque comme lorsque qu’E. Macron demande au ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, de conduire un « audit » sur les établissements touchés par « la déscolarisation des enfants de confession juive », comment le fera-t-on alors que l'appartenance ethnique ou religieuse ne sont pas inscrites dans le dossier des élèves ? Est-ce qu’on ne se basera que sur la seule déclaration des parents à qui on fera un crédit sans limite ? Tout ça pour permettre à l’école de jouer à plein « son rôle de rempart républicain » a dit le président. On se demandera ce que veut dire « rôle de rempart », plus exactement rempart contre quoi, contre qui. S’agit-il ici de flatter un électorat de droite voire d’extrême droite en diabolisant, de façon masquée, l’Islam à propos duquel Michel Onfray déclarait sur CNEWS : « J’ai lu le Coran et les biographies du prophète. Je sais très bien qu’intrinsèquement l’antisémitisme s’y trouve ».
Que de décisions insensées, que de déclarations intempestives qui ne font qu’à peine colmater une brèche sociale, souvent en ouvrant une autre source de désordre, de mal‑être et de rancœur. Souvent, dans un regard socio-historique, on constate que les grandes poussées d'antisémitisme sont concomitantes à de grandes crises sociales ce qui conforterait l’idée que la « bête » est au refonds des entrailles de la société où elle sommeille attendant un moment propice pour surgir. Pascal Perrineau[5] décrit bien ce phénomène lorsqu’il écrit à propos du livre de Poliakov « La causalité diabolique » : « Dans cet ouvrage, Poliakov réfléchit sur l’utilisation de la figure du diable, dans la sphère politique et dans l’Histoire, dans une société (même contemporaine) où l’on peut pourtant avoir l’impression que les diables sont des figures du passé, puisque nous pourrions nous dire que les progrès que nous avons faits sont tels, que le recours à des « diables » est devenu inutile ! Or, ce qui se passe en ce moment [janvier 2015] montre qu’on ne peut vraiment pas s’en passer et que la figure du bouc émissaire, comme la figure du diable, fait retour et fait retour partout, pas simplement dans certains espaces politiques, car la figure du diable est beaucoup plus répandue qu’on ne veut bien le croire. »
Le diable est là, le diable est partout, le diable est à l’affût autant qu’il est convoqué pour masquer des échecs ou comme exutoire. Certains vont jusqu’à convoquer le diable pour confirmer leur particularité, leur singularité et se mettre à part des autres. Les politiciens recouvrent leurs échecs avec les lambeaux des vêtements sataniques n’hésitant pas à diaboliser les preuves de leurs échecs comme le gouvernement, des experts et certains intellectuels le font des Gilets Jaunes. L’aubaine des insultes proférées à l’encontre d’Alain Finkielkraut était trop belle, politiciens en mal de vouloir répondre aux problèmes, journalistes affidés sinon aux gouvernants du moins à l’ambiance intellectuelle majoritaire, ne pouvaient pas, pour les uns, ne pas annoncer des mesures coercitives contre les pourvoyeurs d’antisémitisme jusqu’à vouloir en créer de nouveau en étendant à n’en plus finir la définition de l’antisémitisme, et pour les seconds ils ne savent pas aller au-delà de la pensée moyenne, de la doxa médiocratique, leur propos étant de montrer du sensationnel et de s’adresser plus à « l’émotion » qu’à « l’intelligence ».
Voilà, E. Macron ne s’inscrit pas dans une course à l’échalote pour vaincre l’antisémitisme, c’est bien pire, il joue, comme d’autres avant lui, une tartuferie dans l’espoir de faire oublier ses échecs, pour accaparer un électorat de droite. La tristesse de la pièce réside dans ce qu’elle ne réglera rien voire elle aggravera le mal.
Titre définitif : le nouveau monde des pratiques politiques ressemble étrangement à l’ancien monde de la politique, même ou surtout quand il s’agit de faire face à la « bête immonde » qu’est l'antisémitisme.
[1] Grand Orient de France, Le bouc émissaire, Conform édition, collection Pollen maçonnique.
[2] On pourra se reporter à ce sujet à l’excellent article « Antisionisme : Macron dans les pas de Netanyahou » de René Backman sur son blog Mediapart.fr
[3] Voir son blog sur Médiapart.
[4] Claude Askolovitch, La défense des juifs, ultime morale des pouvoirs que leurs peuples désavouent. SLATE, 26 décembre 2018 http://www.slate.fr/story/171594/gilets-jaunes-antisemitisme-pretexte-pouvoir-vigilants
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