En effet, « l’enfant endormi », Le bou – mergoud, en terme berbère marocain, est une croyance qui n’est répandue que dans les régions berbérophones du Maroc, Tunisie et Algérie, où le rite malékite tient une place très importante.
Ce mythe d’endormissement du foetus consiste à endormir, par voie de sorcellerie blanche, un enfant dont la mère ne souhaite pas la naissance immédiate. Soit parce qu’elle a trop d’enfants et veut retarder l’arrivée du suivant. Soit parce qu’elle est veuve ou répudiée et pas encore remariée. Soit parce que son mari a émigré à l’étranger et qu’elle veut attendre son retour pour mettre son enfant au monde.
Malgré l’évolution de la société et de la science, la croissance de l’enfant à naître peut s’arrêter, reportant sa naissance de plusieurs mois, voire de quelques années. Des populations berbérophones admettent, donc, des durées de grossesse nettement plus longues que celles communément admises par la médecine. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il ne s’agit pas là d’une superstition destinée aux esprits crédules, mais bien d’une position acceptée et commentée par certains Sociologues, législateurs musulmans (dans le droit islamique traditionnel) et cinéastes, telle que la scénariste et réalisatrice Marocaine Yasmine Kassari ; dans son film intitulé : « L’enfant endormi », un scénario interprété par Lévon Minassian et Rachida Brakni, une Oranaise (Algérie) - D’ailleurs, ce film a été primé lors de la Bourse d’aide au développement à Montpellier en 2000, et a reçu le Trophée du premier scénario jeunes talents CNC à Paris en 2003.
La croyance en « l’enfant endormi » dans le ventre de sa mère, relève en effet d’une logique sociale, qui diffère sensiblement de la logique biologique et scientifique : Elle présente, en effet, un intérêt pratique certain dans des pays où, d’une part, l’adultère est un crime majeur et, d’autre part, les hommes doivent parfois s’absenter pendant de longues périodes pour chercher du travail. Si l’on précise encore que la loi coranique interdit l’adoption, on comprendra toute la portée de cette pratique, qui permet à la femme de dénouer la situation inextricable où un enfant est conçu en l’absence du mari.
La législation musulmane admet des durées de grossesse variables, allant de neuf mois à une durée de huit années. Cette manière de voir s’est imposée dans les législations nationales aux responsables maghrébins.
Ainsi, dans la Mudawwana marocaine (code de la famille) la loi stipule qu’une grossesse peut durer une année, tout en se ménageant la possibilité de reconnaître des durées plus longues. Dans la région du Nord - Est du Maroc, l’endormissement du fœtus est encore pratique courante. Les fonctions de cette croyance sont multiples. Elle permet tout d’abord de légitimer un enfant né suite à la répudiation ou au veuvage de sa mère, et d’éviter à celle - ci d’être châtiée suite à une naissance hors mariage. Par ailleurs, et c’est un cas de figure fréquent dans des régions où l’émigration des hommes est importante, elle est utile pour cacher des relations adultérines, puisqu’elle permet de faire remonter la conception de l’enfant au dernier séjour du mari au pays et d’expliquer sa naissance tardive par l’endormissement du fœtus pendant la période nécessaire. Enfin, elle vient en aide aux femmes stériles : accordant à la femme qui n’enfante pas un statut à mi – chemin entre la fertilité et la stérilité, cette croyance leur permet, du moins pendant quelques années, d’éviter la répudiation. A ce titre, la croyance de « l’enfant endormi » contribua par conséquent de manière non négligeable à l’harmonie sociale.
La loi Tunisienne (majalla), quant à elle, préconise des durées plus longues : à compter d’une année après la répudiation de la femme ou le décès de son mari, la femme qui prétend être enceinte peut saisir le juge pour faire reconnaître que son état remonte à l’époque où elle était encore mariée. Le juge, en se fondant sur une expertise médicale, pourra accorder un délai à la femme pour accoucher…
Par contre, L’Algérie, depuis son code de la famille du 06 juin 1984 (modifié le 27 février 2005), n’admet plus que dix mois, mais la juridiction en vigueur antérieurement à cette date admettait une possibilité de grossesse « longue », sans précision, permettant ainsi de suivre éventuellement la coutume qui tolérait des grossesses de cinq années.
Selon Aïcha bint Abi Bakr, une épouse du Prophète : « L’enfant ne reste pas dans la matrice de sa mère plus de deux ans » (Hadith rapporté par des législateurs musulmans). Quant à Malik ben Anas (fondateur de l’école Malékite), lui-même, a été porté deux ou trois années par sa mère …
Peut- on considérer la naissance d’un enfant « endormi dans le ventre de sa mère », plus de 09 mois, comme une non venue : un fruit de la honte et accusé celle qui l’a enfanté de femme adultère ? Un casse – tête embarrassant pour les légistes maghrébins !!!
Par Samir REKIK