Mai 68 n’est pas allé assez loin !
A l’heure où le candidat de la continuité et du renforcement de l’Etat UMP parle de « liquider mai 68 », il est bon de dire que certaines aspirations de la génération soixante-huitarde ont été déçues. Des rêves ne se sont jamais réalisés. Tous n’étaient pas bons mais faut-il renoncer à ses rêves ? En ma qualité de poète, je ne le dirai pas. Néanmoins, pour circonscrire le débat et lui apporter des arguments utiles et solides, je m’en tiendrai ici à un aspect particulier : la sexualité des personnes handicapées.
Le constat est sans appel : Mai 68 n’a pas apporté la libération aux personnes handicapées ni d’ailleurs la grande loi de 1975 qui leur est consacrée. Cette loi passe complètement sous silence la vie affective des handicapés. La libération sexuelle ne les a donc pas touchés. La mixité des établissements n’a pas donné de place non plus à la sexualité. Lorsqu’il est question de sexualité des handicapés, c’est toujours ou presque sous l’aspect répression, mutilation, autrement dit stérilisation. Celle-ci est pratiquée de façon forcée sur des femmes handicapées mentales. Or, la stérilisation est interdite par la loi pour toute personne si elle n’est pas justifiée médicalement. A plus forte raison, elle ne peut s’appliquer à des personnes incapables de donner leur consentement.
Les conséquences de ce déni de la sexualité des handicapés, de la confiscation de cette part de leur vie, sont graves. Ainsi l’accès aux moyens de contraception sont inappropriés. L’éducation sexuelle n’est pas faite. Selon des études menées en région parisienne, 100% des jeunes filles handicapées n’ayant reçu aucune information sur la sexualité auraient été victimes d’abus sexuels contre 12 % pour les jeunes filles informées ("Sexualité, vie affective et déficience mentale" - sous la direction de J.Delville et M.Mercier- édition De Boeck université, 1997). D’autres conséquences aussi : les actes sexuels se passent dans le plus grand désordre sans éducation ni encadrement éducatif adapté. Contre les dangers d’une sexualité non maîtrisée, les moyens de formation devraient être mis dans les équipes éducatives car rien n’est pire que de laisser ces équipes sans réflexion face aux relations sexuelles des personnes handicapées. Les situations sont diverses et parfois désarmantes (Que répondre par exemple à un handicapé qui veut fréquenter une prostituée ?). Elles sont souvent aussi hors-norme, les pulsions n’étant pas assouvies selon une sexualité que nous qualifions de "normale".
L’Etat s’est enfin préoccupé du problème par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades mais uniquement sous l’aspect prévention des maladies sexuellement transmissibles. La propagation de ces maladies oblige l’Etat à se pencher sur ce sujet tabou mais cela ne va pas au-delà.
Pour le professeur Jacques Weynberg, président de l’Institut de sexologie, la sexualité des handicapés reste un tabou en France. Lorsqu’une enquête est menée par l’INSERM sur la sexualité des Français, les handicapés ne sont pas interrogés. Pourquoi les handicapés ne sont-ils pas considérés comme des êtres humains à part entière ? Un colloque s’est tenu vendredi 27 avril à Strasbourg et c’était l’occasion de le rappeler ou de le faire savoir. Lors de ce colloque a été abordé la question des "aidants sexuels" qui prodiguent baisers, caresses ou massages aux invalides. Aux Pays-Bas, les accompagnatrices sexuelles existent depuis 1982. Sur ce point aussi la France est en retard.
C’est pourquoi avant de déclarer, seul et de manière arbitraire, qu’il faut liquider mai 68, il faut établir un bilan partagé des effets de cette révolution des esprits, énoncer les aspects négatifs et positifs de l’héritage, comparer avec les pays étrangers et examiner le cas des catégories exclues des avantages réels ou supposés de cette révolution sociale. Voire même regarder en quoi certaines aspirations légitimes qui ont fait long feu ne mériteraient pas d’être revendiquées à nouveau ! De la même façon que l’on ne procède pas d’autorité à une liquidation d’entreprise sans avoir passé à la loupe tous les éléments du passif, de l’actif et les solutions possibles, on ne liquide pas à la légère un évènement aussi important que Mai 68. Ne laissons pas Sarkozy seul juge de l’évolution à donner à notre société !
Bibliographie conseillée : "Guide d’éducation sexuelle à l’usage des professionnels, tome 2" édition Erès, 11, rue des Alouettes 31520 Ramonville-Saint-Agne
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