Mariage gay : une victoire de la liberté (du commerce)
C'est une grande nouvelle, un jour historique, un véritable changement de civilisation.
« C’est un texte généreux, c’est un texte d’égalité », se serait réjouie la ministre de la Justice Christiane Taubira, « submergée d’émotion ».
Et on la comprend. Car avec l'adoption, le 23 avril 2013, de la loi qui permet le mariage et l'adoption aux couples de même sexe, ce n'est rien moins qu'un nouveau marché qui s'ouvre à notre économie capitaliste dans sa quête perpétuelle de nouveaux débouchés.
En effet, l''encre du texte était à peine sèche qu'on annonçait la tenue d'un salon du mariage gay, dont l'organisatrice, telle une pasionaria de la lutte contre les discriminations, expliquait que « Les exposants seront "trendy" et proposeront "du haut de gamme décontracté" car les homosexuels forment une communauté à fort pouvoir d'achat avec des goûts haut de gamme ».
De quoi submerger d'émotion les professionnels du secteur, qui pesait 4,4 milliards d'euros pour 250000 unions (bêtement hétérosexuelles) en 2011 (Le Figaro). Les experts estiment que les mariages homos représenteront 2 % des mariages à l'avenir. Pas de quoi affoler les compteurs. Mais d'une part on espère un pic dans les deux premières années suivant l'adoption (6700 mariages gays par an), d'autre part le côté "trendy" et les comptes en banque supposés "pierre-bergeresques" de nos futurs tourtereaux devrait mettre du beurre dans les épinards. Alors que l'hétéro rapia et tristouille allonge un pénible 13000 € par mariage, les noces fun du marais pourraient aller rigoler à 70000 €, pour une moyenne de 20000 € (même source).
Ce qui, d'après un calcul sommaire, ferait quand même un marché émouvant de 134 millions d'euros par an.
Et c'est ça que n'arrivent pas à comprendre les opposants à la loi Taubira, imperméables à toute cette poésie. En s'arc-boutant contre cette avancée démocratique, au nom d'une conception obscurantiste de l'humanité, ils se mettent au même niveau que de vulgaires zadistes défendant leur morceau de bocage de Notre-Dame-des-Landes contre l'avancée inéluctable du progrès.
Car en vérité, le mariage pour tous de Mme Taubira est le pendant exact de l'aéroport de M. Ayrault. La déconstruction des rapports de sexe dans la société est à l'image du bulldozer qui aplanit les marécages de Loire-atlantique (et précédé par les mêmes gendarmes mobiles). D'un côté, quelle importance si l'on saccage un petit écosystème de rien du tout si cela permet de créer des emplois et de brûler du kérozène ? De même, est-il si douloureux de détruire les fondements anthropologiques de l'humanité, basée sur la complémentarité des sexes depuis des millénaires, si cela permet de dégager quelque plus-value dans des fêtes somptueuses ?
Et d'ailleurs, comment peut-on, en 2013, s'opposer à l'égalité de tous devant le mariage (on est plus en 2011, bordel, sortez de la préhistoire, les mecs) ?
Voilà enfin réunis de la manière la plus limpide qui soit les deux faces du Janus libéral que décrit Jean-Claude Michéa : le Marché et le Droit.
« Le libéralisme économique (qui exige l'abandon par l'Etat de toutes les limites à l'expansion supposée « naturelle » du marché et de la concurrence) et le libéralisme culturel (qui exige l'abolition par l'Etat de toutes les limites au développement supposé « naturel » des droits de l'individu et des « minorités ») sont – d'un point de vue philosophique – logiquement indissociables (…)
Si, en dernière instance, l'essence du libéralisme se réduit au droit de « produire, de vendre et d'acheter tout ce qui est susceptible d'être produit ou vendu » (Hayek), il s'ensuit logiquement, en effet, que toute prétention à limiter ce droit au nom d'une quelconque « préférence » morale, philosophique ou religieuse (…) reviendrait à détruire les fondements mêmes du libre-échange. Or dans la mesure où le relativisme moral constitue la clé de voûte idéologique du libéralisme culturel, celui-ci se présente donc logiquement comme le seul complément philosophique susceptible de justifier dans son intégralité le mouvement historique qui porte sans cesse le marché capitaliste à envahir toutes les sphères de l'existence humaine, y compris les plus intimes »
(Jean-Claude Michéa – Les mystères de la gauche. De l'idéal des Lumières au triomphe du capitalisme absolu, Climats, 2013)
Voilà qui est fort bien dit, Jean-Claude.
Et le meilleur de l'affaire, c'est que ce bel attelage libéral, malgré la montée des contestations et malgré la conscience chaque jour grandissante qu'il nous conduit vers l'abîme, a encore de beaux jours devant lui.
Car de même que les opposants (de droite) au mariage gay n'ont aucune conscience des ravages écologiques et humains du productivisme et de la civilisation des transports, les gauchistes prétendument anticapitalistes applaudissent au mariage homo comme à toutes les avancées dans la « lutte contre les discriminations ».
Heureux système capitaliste qui réussit à diviser éternellement ses opposants en deux camps irréconciliables.
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