Mariages mixtes, l’ère du soupçon
Doit-on lier lutte contre les mariages blancs et vérification de régularité de séjour ? Le Conseil constitutionnel ne le pense pas, mais dans les faits...
Les sénateurs examineront fin mai 2006 le projet de loi relatif au contrôle de la validité des mariages. Dans cette perspective, pour éclairer la réflexion des élus, le service des études juridiques du Sénat a cherché à connaître les moyens mis en œuvre dans d’autres pays européens pour lutter contre les mariages blancs.
Le contenu de l’étude est détaillé dans Citron Vert. Elle pointe des points communs et des différences d’un pays à l’autre. Attardons-nous sur une différence cruciale : le lien (ou l’absence de lien) entre l’estimation de l’authenticité de la volonté de mariage et le contrôle de la régularité de la présence sur le territoire.
Au Danemark, Aux Pays-Bas et en Angleterre, le lien est certain, puisque, dans ces trois pays, le droit au mariage est soumis à la présentation d’un titre de séjour.
Dans les autres pays, ce lien a priori n’existe pas. On peut s’étonner qu’en France, à l’instar de ces autres pays, cette condition de régularité du séjour n’existe pas, ni dans la loi actuelle, ni dans les projets en cours de discussion. Une telle condition serait pourtant bien dans l’esprit de ces projets.
La raison de cette absence est probablement contenue dans la décision du Conseil constitutionnel qui avait retoqué la "loi relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité" présentée en 2003 par M. Sarkozy. Le Conseil constitutionnel avait en effet alors déclaré contraire à la Constitution les dispositions de son article 76 qui liaient droit au mariage et régularité du séjour, rappelant que le droit au mariage était un droit constitutionnel que rien ne devait entraver (voir le texte de la décision du Conseil).
Empêchés de subordonner, par la loi, le mariage à un séjour régulier sur le territoire français, les ministres tentent probablement de parvenir au même résultat dans la pratique : obtenir des officiers d’état civil le signalement systématique des mariages mixtes.
Le projet de loi que les sénateurs doivent discuter fin mai contient des dispositions qui visent à renforcer la pratique du soupçon.
- En précisant, dans l’article 63, les modalités d’audition des futurs époux, les officiers d’état civil voient leur obligation de procéder à cette audition renforcée.
- Par ailleurs, la nouvelle rédaction (datant de 2003) de l’article 47 du Code civil encourage à la mise en doute de l’authenticité d’acte d’état civil établi à l’étranger et le lancement de procédure de vérification. M. Clément, garde des sceaux, souhaite, par décret d’application, augmenter la durée possible de cette vérification.
Encourageant la suspicion et les contrôles, le projet de loi met les officiers d’état civil en première ligne et devant un dilemme : leur mission, dans le cadre d’une demande en vue d’un mariage mixte, n’est pas, d’après la loi, de connaître du statut de l’étranger demandeur (il leur revient seulement d’évaluer la sincérité de la demande). Mais ils sont tenus, par ailleurs, de signaler au procureur les délits dont ils auraient connaissance.
Avec cette loi qui multiplie les possibilités de contrôle et encourage le soupçon systématique, mais ne rappelle à aucun moment que le mariage est d’abord un droit constitutionnel, ses promoteurs espèrent probablement que l’habitude du signalement systématique, qui a commencé à se répandre, s’étendra. Et il est bien possible que les officiers d’état civil (passibles d’amendes s’ils ne respectent pas les dispositions décrites) se laissent entraîner, faute d’information.
Facilitant, un peu, la régularisation de sans-papiers établis en France, les mariages mixtes peuvent être perçus avec défiance par ceux qui veulent voir dans l’immigration un danger pour la société française. Ou ils peuvent être un espace dans lequel traiter avec humanité les destinées personnelles, souvent douloureuses, de ceux qui « arrivent quand même ».
Dans un contexte juridique instable, leur devenir dépendra, pour une bonne part, de la pratique qui sera mise en oeuvre dans les mairies.
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