Marseille pour dernier terrain vague
Pourquoi une telle mobilisation pour Marseille ? La ville est-elle si en danger que cela ?
Que se passe-t-il donc dans cette ville, mis à part le fait qu’elle connaît, de manière endémique, le taux le plus élevé de chômage depuis plusieurs générations, qu’elle a le plus fort taux de ménages vivants sous le seuil de pauvreté ?
Tout cela n'est guère nouveau.
Mais, soudain, la machine s’emballe. Les fusils-mitrailleurs sortent des caves et arrosent en plein jour.
Les quartiers nord connaissent quelques règlements de comptes qui font la Une des journaux. C’est la valse des préfets, des messieurs Sécurité, les promesses de renforcement de l’appareil policier.
Des zones de sécurité prioritaires, un conseil interministériel consacré exclusivement à cette ville, une mobilisation apparente sans faille du gouvernement et du président de la République qui fait du sort de Marseille une de ses priorités, parmi toutes les autres.
N'en jetez plus !
Et nos journalistes, et l’opinion publique s’émeuvent du sort réservé à quelques "jeunes" qui ont choisi l’argent facile du trafic plutôt que l’effort anonyme de l'éducation et de la formation.
Les petits caïds mettent leurs quartiers en coupe réglée. Les anciens truands et les policiers blanchis sous le harnais sirotent leur pastis dans les calanques et parlent avec dégoût de ces nouvelles bandes sans codes de conduite ni honneur.
Té ! au bon vieux temps, on se massacrait, mais avec discernement. On arrosait pas à tout va. Et cela restait entre gens de bonne compagnie. Rien de personnel dans le fait de tirer une balle dans la tête d’un adversaire. Le business, rien que le business !
La nouvelle délinquance est arrivée.
Celle des riches et des parvenus, celle en col blanc et en costume croisé, les années Tapie, les années Front National. L’argent facile, surtout celui des autres.
Celle de la démocratisation du trafic de drogue, une immigration subie, n’en déplaise aux bons esprits et aux penseurs châtrés.
Puis survint l’ère de la charia mal tempérée, la lapidation de Ghofrane en 2004, et l’apparition des petits caïds de banlieue, se réclamant de l’Islam juste pour le pouvoir sans limites qu’il accorde aux hommes sur les femmes.
Mais Marseille n’est pas une ville plus dangereuse que la moyenne des grandes cités françaises. Le taux de prévalence des suicides, indicateur social fiable, y est moins élevé qu’en région parisienne.
Alors, cette mobilisation du gouvernement est-elle vraiment sans arrière-pensée ?
Peut-être pas, car il y a urgence.
En 1985, dans le cadre du Conseil européen, Melina Mercouri, Ministre grecque de la culture, proposait de désigner chaque année une « ville européenne de la culture ». Il s’agissait ainsi de « contribuer au rapprochement des peuples européens ».
En France, plusieurs villes ont déjà porté ce titre, Paris en 1989, Avignon en 2000, et Lille en 2004.
L’exemple de la dernière ville française à avoir été élue Capitale européenne de la culture est éloquent. Et Martine Aubry a bien profité de cet événement, sur le plan de sa carrière politique personnelle.
Ce label a permis à Lille, en 2004, d’attirer 8 millions de visiteurs. Et Lille a été transfigurée. De l’image de ville noire et crasseuse, avec les corons pour seul horizon, Lille est devenue une belle métropole régionale.
Certes, les ménages pauvres ont été relégués dans d’autres quartiers, voire d’autres villes comme Roubaix et Tourcoing.
Mais, au moins, Lille y a gagné dans le développement de ses infrastructures, surtout culturelles.
En 2013, la capitale européenne de la culture est Marseille.
Le projet repose sur un véritable parti de géopolitique culturelle européenne en mettant l’accent sur le concept d’euroméditerranée, dixit le document officiel.
Le défi ? « Constituer durablement le territoire en plate-forme d’accueil, de transmission et de production pour des créateurs d’Europe et de Méditerranée dans toutes les disciplines de l’art et de la pensée ».
Dès la fin de 2006, tous les élus du territoire marseillais se sont rassemblés pour partager leurs points de vue sur la candidature.
Cela ne ferait pas bon genre si les regards de l’Europe et de la Méditerranée se concentraient sur une ville surtout connue pour sa violence. Cela ferait désordre si plus de 10 millions de visiteurs potentiels (chiffre espéré) étaient rebutés par une sordide réputation.
Les politiques publiques, qu’elles soient de droite ou de gauche, partagent le même cynisme.
Le bien-être des habitants ne figure pas au rang des priorités nationales au regard des enjeux financiers et géopolitiques.
Cette année 2013, il convient de ne pas la rater.
La France, engluée plus que les autres dans une sorte de conservatisme social, compte sur cette année 2013 pour réussir le changement. Celui-ci commencera à Marseille.
Cela fait six ans que les élus de la cité phocéenne travaillent sur cette année de la culture. Les différentes révolutions du bassin méditerranéen donnent à cette manifestation un relief exceptionnel.
Ils ne vont tout de même pas rater cette occasion de battre le record de Lille et ses 8 millions de visiteurs dans l'année. D'ailleurs, la société d'évènementiel choisie comme maître d'ouvrage de cette grande messe internationale est la même que pour la métropole lilloise.
Quand aux autres villes qui connaissent un regain de violence avec la crise, elles savent ce qu’il leur reste à faire : poser leur candidature pour devenir à leur tour, dans les décennies qui viennent, capitale européenne de la culture.
C'est, sans nul doute, plus facile pour attirer l'attention du gouvernement, et surtout moins onéreux que de recevoir les Jeux Olympiques.
Paul Lémand
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