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Métro parisien : la fin du voyage

Lignes ABCD etcetera…

Nous voilà arrivés au bout de la ligne. Espérons qu’il va survivre à toutes les vicissitudes et inconvénients, ce métro que nous aimons tant malgré toutes les bonnes et mauvaises raisons qu’il nous donne quotidiennement pour se faire détester. Le RER en est la prolongation dévoyée mais pratique. Il permet la circulation extra-muros, allant là où les Parisiens ne vont que lorsqu’ils y sont forcés. A part une escapade à Versailles pour y visiter le Château, au Parc de Sceaux ou à Eurodisney, personne ne dépasse le périphérique par pur plaisir même pour descendre à la station du même nom.

Les cigales à  voix de crécelle qui chantent même en dehors de l’été n’attirent pas l’attention des fourmis werberiennes qui se meuvent dans les galeries souterraines. Personnages anonymes d’un roman non encore écrit, les fourmis ont souvent le cafard, leur vie d’insecte leur donne le bourdon.

 

Dans les lieux de transit tant dans le RER que dans certains couloirs de correspondance du métro, les diffuseurs d’odeurs veulent nous faire croire à la fraîcheur de croissants et des petits pains. Cet artifice olfactif est un leurre un attrape-gogos, un moyen commercial d’attirer le client en recréant un réflexe proustien, si ce n’est pavlovien pour celui qui n’a pas de temps à perdre et qui, à défaut de madeleine, se contentera d’une viennoiserie molasse et sans goût. Laboratoire des chimistes de l’aromologie, le réseau souterrain est le nouvel endroit d’expérimentations odorantes sur des quidams toujours pressés et qu’il faut alpaguer avec des brioches, des sandwichs et pourquoi pas des fleurs coupées et des fruits et légumes. Qui tient le nez, tient le client !

Les banlieues blanches et opulentes, Saint-Germain-en-Laye, Meudon et Suresnes n’évoquent pas la même histoire, les mêmes fantasmes. Les cités ouvrières, les barres inhumaines, les concentrations ethniques sont bien loin de ces ghettos de luxe. Neuilly d’ailleurs n’a pas de gare RER pour la « polluer »

Les Chinois de Noisiel ! Seule communauté asiatique d’Ile-de-France significative en nombre en dehors de Paris intra-muros. Ils sont discrets, « trop polis pour être honnêtes » si l’on en croit les ragots des riverains. « Ils » achètent tous les commerces, bientôt « nous » serons envahis. Mais tant qu’ils ne prennent pas en main le Luzard et la Ferme du Buisson, il y a encore de l’espoir pour les autres.

HLM et pavillons :

Les banlieues sont la terra incognita des Parisiens. Qui n’a de lien familial, de raison professionnelle ou très occasionnellement ne va visiter un parc ou un musée, ne prend jamais une rame pour la banlieue. La majorité des voyageurs y vont car ils y vivent. Si les pavillonnaires ont fait un choix de binage intensif et de tondeuse à gazon le week-end, les autres sont là parce qu’ils ne peuvent être ailleurs ou bien la spéculation foncière les a poussés hors la ville. Et les rares qui s’y aventure, uniquement de jours, ne connaissent qu’un entrepôt possesseur de leur pièce détachée commandée des lustres auparavant et toujours non livrée. La plupart des usagers du RER vit sur place et se partage en deux camps, presque ennemis, du moins qui s’ignorent, les propriétaires de chalandonettes et de pavillons en meulière et en face les gens des cités HLM.

Etre éreintés et fourbus par les transports en commun et continuer son week-end en tondant du gazon autour de nains de jardin harmonieusement disposés sur la pelouse est un plaisir partagé par les pavillonnaires.

Le samedi, ils ne désertent ces lieux de ravissement banlieusard que pour les courses traditionnelles à l’hypermarché et le passage obligatoire au magasin de bricolage et de jardinage.  C’est le retour au véhicule délaissé en semaine et au parking du centre commercial comme horizon festif avec les gosses. Rembourser le crédit d’accession à la propriété et couvrir les frais récurrents à l’entretien de la battisse est le lot de toute une armada de nouveaux propriétaires. Une obsession vitale, dévoreuse de capitaux qui condamne pour des années aux coquillettes et aux vêtements de bas de gamme les amoureux du morceau de jardin.

Ceux des cités et des barres tristes et monochromes, n’ont d’horizon que la dalle, les cages d’escaliers, les ascenseurs en panne et la supérette du coin. Comme des nazes dans la ville, ils sont nés entre deux maisons, entre béton et bitume.

Les Hittites, pour ceux qui ne le savent pas encore, ne sont pas les hypothétiques descendants du peuple anatolien de l’Antiquité. Ce ne sont encore moins de jeunes Turcs politiquement motivés par le laïcisme de Kemal Atatürk. Non, ce sont ceux qui tiennent les murs au pied des cités HLM. Ils bloquent l’entrée et l’accès à l’immeuble moins par incivisme que pour protéger leur territoire d’une éventuelle invasion ennemie. Leur délire obsidional concerne à la fois la crainte d’une intervention de la police, mais aussi d’une bande de jeunes d’une autre cité. Le Hittite, qui dérive étymologiquement du verbe arabe Hitan, soutenir, maintenir, reste des heures à évoquer les mêmes thèmes dans un vocabulaire limité par l’insuffisance de la scolarisation. Il refait un monde sans avenir à l’horizon bouché, sa dialectique ne peut en aucun cas casser des briques, et c’est vrai que souvent il ne casse rien dans les deux sens du terme.

Son espoir, c’est la thune, via le foot, le mythe Zidane a fait des ravages, le business, le rap et son bling-bling et pour les plus imaginatifs le steet-wear. Pour certains cela sera le chômage, les petits boulots et pour un petit nombre, la zonzon. Car on ne s’improvise pas dans le grand banditisme, c’est le fait des « Messieurs » et ce n’est pas du tout à la portée des hittites et des bandes de blacks. Les armes de guerre, ce n’est pas du tout pour eux malgré les rumeurs de la presse. Même là, l’horizon est bouché.

 

Ils alimentent les fantasmes identitaires et peurs irrationnelles de ceux qui regardent le journal de TF1 et « Complément d’enquête ». Qu’ils viennent d’Orgemont, du Val Fourré, de la cité des 4000 ou bien des Framoisins, ils font peur aux gens de la capitale.

Poulailler Song !

Le bronzage des poulbots qui nous font la peau n’en a pas fini de faire parler de lui, comme si des hordes de traîne-misère, de barbares venues des steppes d’outre Méditerranée sillonnaient les couloirs du métro comme les Grandes Compagnies du Moyen-âge.

Mythe et légende alimentés par la presse et la télévision à l’aune de quelques rares bagarres plus scénarisées par leurs acteurs que véritablement violentes. West side story au petit pied, dans une chorégraphie minable et minimaliste, recréant une banlieue de mythologie sortie de l’imagination cinématographique d’un Luc Besson essoufflé.

Pavillonnaires contre HLM ! Saint Germain en Laye, Meudon donc contre Montfermeil et la Courneuve.

Deux mondes, deux sociétés distinctes qui ne s’apprécient ni ne se connaissent.

Passé la frontière mentale du périphérique, s’ouvre un autre univers. Le grand Paris n’existe que dans la tête des politiciens et des urbanistes, pas dans celle des habitants. Le terme banlieusard est tombé dans la désuétude, il est devenu trop péjoratif pour être décemment employé. On lui préfère francilien, terme qui ne veut rien dire, mais qui sied au journalisme qui édulcore. Mais banlieusard persiste indubitablement dans les mentalités.

La « proche banlieue », accessible directement par le métro n’est pas Paris, ni à Montreuil, ni à Pantin, ni à Bagnolet. Passé le Périf, on est indéniablement banlieusard. Etre né de l’autre côté des Maréchaux fait que vous ne serez jamais Parisien.

La maturité des adolescentes qui passent le périphérique est bien plus grande que celles qui résident dans la ville. Sortir le soir à quinze ans est toute une expédition qui s’organise avec point de chute, maquillage et sous-vêtement de rechange. A cet âge, il n’il pas question de payer un taxi en tarif nuit et zone C. S’il est toujours possible de rentrer chez soi à Paris en marchant après le dernier métro, et il est plus aléatoire de trouver un Noctilien qui vous ramène en bas de votre porte. 

Les aéroports :

Ils ne font rêver que ceux qui ne partent pas, n’en déplaise à Gilbert Bécaud et comme l’a si bien chanté Brel. Ceux qui empruntent les navettes sur Roissy ou Orly sont des voyageurs fauchés ou économes qui veulent éviter le coût prohibitif du taxi. Ils tirent derrière eux d’encombrantes valises, plient sous le poids des sacs à dos. Souriant au départ, rêvant de vacances, de tropiques et de stations balnéaires, ils font la moue au retour, se disant que les prochains congés sont décidément bien lointains. Seuls les touristes étrangers, malgré leur air perdu, donnent une image d’optimisme et de satisfaction d’être là. Une ville est toujours plus belle pour celui qui est en vacances que pour le malheureux payé autour du SMIC qui va travailler à Rungis.

Le Stade de France :

Acropole du ballon rond, le stade est plus qu’un lieu de confrontation sportive depuis la victoire de 98, le symbole d’une communion fictive et mythique des communautés. Emplacement érigé en lieu de culte de la diversité, de la chance de pouvoir accéder aux plus hauts salaires et à la notoriété la plus absolue, le mythe a laissé sur la touche de nombreux déçus, retournés après le triomphe de l’équipe de France aux dures réalités du chômage, du sous-emploi et de la banalité.

Zidane n’a pas sorti Mohamed de la galère et le nouveau « roi de France » couronné à Saint-Denis n’a pas transformé les immeubles délabrés en Versailles de la mixité. Le rêve n’a eu qu’un temps. Dur retour à la réalité.

Versailles :

De la ville dont on ne connaît que le château quand on n’y habite point, exhale un parfum de royauté. Une image réactionnaire qui fleure Thiers et les Versaillais peu amènes avec les Communards de Montmartre et de la Butte aux Cailles lui colle à la peau.

Pour un provincial associer Versailles à Chantiers est inimaginable, pas pour un usagé du RER C ou de la SNCF. Rien que le nom Versailles Chantiers semble anachronique pour ceux qui pensent Grandes Eaux et Galerie des Glaces.

Circuler pour exister

Prendre le métro ou le bus est une aventure modeste et captivante se renouvelant chaque jour pour les voyageurs, avec son lot d’agacement, d’irritation et parfois d’épuisement. Cela peut être aussi un plaisir quasi entomologique, débouchant sur une symbolique de l’urbain dans toute sa diversité.

Certes, le voyageur partant travailler aux aurores, n’a pas la même vision de la ville d’en bas que le fêtard éméché de retour de virée attendant en titubant l’arrivée du premier métro. Mais tous deux sont indubitablement acteurs du théâtre souterrain.

La gestuelle, la posture, les tics et les mimiques des voyageurs nous apprennent plus sur la société que bien des ouvrages savants sur la psychologie et l’analyse de l’âme humaine. Entomologie d’un peuple cataphile, parcourant tunnels et galeries souterraines ! Au milieu de l’uniformité des fourmis, se trouve l’insecte rare, le scarabée Goliath ou le papillon géant de Madagascar. C’est l’individu que l’on ne voit qu’une fois, l’occasion exceptionnelle qu’il ne faut pas rater, se faire violence et vaincre sa timidité pour l’aborder, la chance ne se présentera pas deux fois. Des gens comme ça, il faudrait dire de tels spécimens, on ne les imagine que dans des films ou des romans. Ils existent cependant et s’ils restent au niveau de l’utopie de la licorne pour l’immense majorité, ils peuvent changer la vie de ceux ou celles qui les rencontrent.

Pourtant, aimer le métro n’est pas une hérésie, une lubie de maniaque, malgré sa promiscuité, son enfermement, son manque de confort et son anonymat. En dépit de la lassitude, des petits inconvénients, du temps perdu en inactivité contrainte, il est encore possible de regarder, de sentir la ville circuler, étouffer et gémir dans un murmure.

Comprendre Paris est impossible pour celui qui n’en a pas goûté son métro. C’est l’unique moyen avec la marche pour comprendre la ville. Le réseau ferré souterrain imprègne ses utilisateurs d’un état d’esprit. Le métro est à la fois une sous-culture et un existentialisme urbain. Même pris à forte dose, malgré la fatigue, le bruit et les inconvénients, il fascine, interroge et fait réfléchir tant sur la condition humaine que sur sa propre existence.

Les amoureux des verrières, des arabesques de Guimard ne sont pas uniquement de tristes nostalgiques ennemis de toute modernité. Ils peuvent s’accommoder des loubards, des musiciens, des passagers venus avec des rollers, un gros chien ou même un vélo. Il suffit d’un peu d’imagination une fois sous terre pour se créer un monde imaginaire bien à soi où personne ne viendra troubler votre quiétude, sauf en vous respirant des relents de cassoulet dans le nez ou en vous écrasant les pieds sans aménité aux heurs de grande affluence.

Finalement Zazie n’a pas réussi à prendre le métro, en 1959 il était déjà en grève. A son époque, son langage populaire, fait de « mon cul, fait chier » l’aurait stigmatisée dans ce quartier bourgeois. Mais aujourd’hui, ce verbe familier est largement dépassé par les enfants et les adolescents vivant dans les beaux immeubles et les audaces de la petite fille sont bien désuètes à la sortie des lycées.

Dévisager discrètement celui ou celle qui s’exaspère, s’affale, se liquéfie ou s’exhibe impunément devant vous, c’est pratiquer l’adultère du regard, en catimini en ne gênant personne à l’insu de la beauté vénéneuse qui fait crisser les bas et croise haut les cuisses. C’est pour l’employée de bureau, contempler l’Apollon musculeux qui fait fantasmer avant de rentrer banalement vers mari bedonnant en maillot de corps. Divaguer en somnolant, le regard arrêté sur une nuque, sur des jambes galbées dans des bottes lacées. Hélas, elles ont souvent plus l’air « d’un chameau qui aurait avalé un yoyo » que l’allure de Naomi Campbell, celles que l’on croise au quotidien.

Le libidineux à l’œil protubérant, malsain Peter Lorre dans M le maudit, se tient tranquille, matant la bave aux lèvres. Il ne tente que rarement une main baladeuse. Au peu de protestations féminines émises dans les rames, il est loisible de conclure que les palpeurs sont devenus rares ou que les femmes s’en accommodent désormais sans broncher.

Les vraies odeurs du métro sont les miasmes et les relents, des remugles de pieds sales et des rôts de cantine. Senteurs de pisse, de crasse et de vomi, mélangées à celles de kebabs ou d’exhalaisons aillées, de parfum bon marché et de transpiration sous les aisselles.

Selon l’individu, jubilation de l’anosmiaque ou de l’enrhumé préservés des effluves agressifs ou bien ravissement du fétichiste à l’affût d’un parfum sui generis, de flatulences vénéneuses et furtives mais tenaces ainsi que de fragrance de menstruation macérée.

Le dernier métro ou la première rame ? Choix légèrement cornélien, pour ne pas prendre racine. Le voyage ne s’achève que lorsque l’on quitte définitivement Paris et reste alors les souvenirs que l’on magnifie une fois le temps de l’exaspération passé.

Le métro exprime plus l’allégorie de l’Underground de Kusturica que l’onirisme baroque du Subway de Besson. Il exacerbe les différences et les inégalités, bien plus qu’elles ne s’expriment en surface. Pour ceux qui le comprennent, le métro nous joue au jour le jour une petite mélodie en sous-sol, finalement pas si désagréable.

 

 


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4 réactions à cet article    


  • Halman Halman 30 mai 2009 14:52

    Les seules points agréables des transports en communs sont les nouveaux bus très agréables, grandes fenêtres, lumineux et leurs fréquences considérablement améliorées depuis 2 ans.

    Mais y trouver à en faire un article limite poétique c’est autre chose.

    S’y faire entasser, exploser les oreilles par les ceusses qui hurlent au lieu de parler, par les musiques des téléphones portables et jeux vidéos, se faire écraser par des qui se vautrent sur le siège à côté de vous en vous regardant d’un oeil mauvais tout en vous poussant des fesses et des genoux, sans compter les odeurs des ados qui ne se lavent pas pour faire leurs rebelles, les parfums et après rasages de ceux qui vident leurs bouteilles de chimiqueries sur leurs têtes, ceux qui puent la bouffe froide, le MacDo froid, la frite froide, le ketchup froid, les clodos qui puent la pisse, les coudes dans la tête, ceux qui mettent une heure à chercher leur carte et à la valider quand on est déjà bien en retard, etc, etc etc.

    Savez vous que c’est chez les chauffeurs de bus que l’on compte le plus grand nombre de dépressions avec les personnels soignants ?

    Oui, vraiment, les transports en commun c’est largement assez charmant pour en décrire des charmes que seuls des touristes y trouvent.


    • lobo 30 mai 2009 17:11

      Bravo à Halman : le métro, ou le RER, quand on les pratique tous les jours, sont beaucoup moins poétiques que ne le décrit l’article de Yang. Par contre, le fait d’habiter en banlieue n’est pas, non plus, aussi négatif ni péjoratif ...


      • Georges Yang 30 mai 2009 17:46

        C’est vraiment la fin du voyage, le sujet a fait long feu. Merci à ceux qui m’ont suivi jusqu’au bout.


        • Yohan Yohan 30 mai 2009 20:37

          merci Georges, c’était bien...

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