Meurtres en masse aux USA : l’Occident face au malaise. Et à un dessein mortifère ?

Dans un précédent article, j’avais fait la recension d’un livre publié par Henri Giroux faisant état d’une sorte de guerre menée contre la jeunesse. La violence était au cœur de l’analyse. Les récentes news provenant des States confirment cet état délétère du pays. Le site alternatif Mint Press publie régulièrement des analyses indépendantes sur l’état de l’Union. On y apprend que la police a tué 5000 personnes depuis 2001. Chaque jour, un citoyen est tué dans une confrontation avec la police. On peut imaginer le tollé si cela se produisait en France. Si l’Etat fédéral est violent à l’égard de certains individus, ceux-ci ont semble-t-il décidé de lui rendre la monnaie de la pièce. La vengeance semblant être une valeur aussi sûre que le dollar. Et donc sur Mint Press, un billet paru le 5 novembre 2013 analyse ce qui se dessine comme étant une séries de meurtres commis par des individus très remontés contre le gouvernement fédéral.
Le billet signé Frederick Reese ose faire un rapprochement entre une série de faits divers tragiques et un contexte politique assez particulier. En effet, seulement 19 % des Américains ont confiance dans l’action du gouvernement. Le reste se partage entre les 54 % de gens frustrés et les 27 % d’individus en colère (chiffre monté à 30 en septembre), un seuil jamais atteint dans l’histoire des Etats-Unis. Comme quoi, si crise il y a, elle est tout autant économique que politique. On ne pourra que faire le rapprochement avec le taux de « popularité » ou plutôt « d’impopularité » de François Hollande qui frôle des records depuis la naissance de la Cinquième république, et qui rime avec impôt pluralité mais pas seulement car la crise politique est relayée par la crise sociale avec les bonnets rouges comme manifestation exacerbée d’une frange de population remontée et unie par une appartenance régionale alors que d’autres signes se dessinent avec l’augmentation de la pauvreté et une colère diffuse que captent les gens qui fréquentent d’autres gens. Il suffit d’interroger les taxis ou les pompiers ou même surprendre une conversation de parents d’élèves ou une improbable discussion sur un marché ou au bistrot.
Aux Etats-Unis, les comportements sont plus individualistes. On ne trouvera pas des mouvements de bonnet rouges mais plutôt des red neck en Arizona prêts à en découdre avec leurs fusils ou alors des vengeances individuelles perpétrées souvent par des gens au bout du rouleau qui pour commettre leur méfaits n’ont qu’à aller se servir dans une armurerie moyennant quelques centaines de dollars, le prix d’un bon fusil d’assaut, en vente libre. Ces derniers mois, plusieurs crimes contre des fonctionnaires de l’Etat fédéral ont été commis par des individus un peu vite classés comme souffrant de troubles du psychisme. Le plus récent ayant fait la une fut ce meurtre perpétré par Paul Ciancia, jeune homme de 24 ans qui déclencha son fusil contre des employé dans la sécurité des transports (TSA) à l’aéroport de Los Angeles. Bilan, un mort. Un événement sans précédent selon les dires de Reeves précisant l’absence d’antécédents psychiatres chez ce jeune homme mais faisant état de messages envoyés à ses proches dans lesquels l’intéressé confiait son mal-être et son découragement. Des messages suffisamment explicites pour que la famille prévienne la police, laquelle manqua de peu son interpellation avant que le crime soit commis.
D’autres faits divers plus ou moins tragiques ont été recensés dans les médias, faisant parfois la une lorsqu’ils présentaient un caractère spécial. Comme cet employé à la défense qui assassina plus d’une dizaines d’employés ou bien Myriam Carey, jeune femme de 34 ans abattue par la police après avoir forcé un barrage, alors qu’elle n’était pas armée et qu’elle transportait son enfant de un ans. Tout le quartier, abritant le Congrès, fut bloqué. Edition spéciale sur BFM et Itélé. Son compagnon confia à la presse le sentiment de désillusion de cette jeune mère de famille officiellement traitée pour troubles bipolaires et dépression. Il y peu, quatre crimes perpétrés cette fois contre des proches ont été recensés en l’espace de quatre jours, ce qui montre l’état de fragilité, de désarroi et de désillusion d’une partie de la société américaine. Des signaux inquiétants. En France aussi, les médias rapportent quelques faits divers sordides. Des fratries assassinées, deux, parfois trois enfants tués par un père ou même une mère. Et les journalistes de passer leur chemin, comme si ces faits étaient aussi ordinaires qu’un chien écrasé ou qu’un motard tué après avoir commis une imprudence. Les médias et les politiciens français pratiquent un déni de réalité, banalisant le mal mais prenant plaisir à commenter les petites phrases du cirque politique.
L’analyse de ces faits tragiques nous place face à une alternative ; ou bien banaliser, ou bien contextualiser. La banalisation consiste à tracer un cordon sanitaire méthodologique permettant de séparer la société anormale, celle des gens qui tuent, assassinent leurs proches, parfois des fonctionnaires de l’Etat, s’immolent, se suicident, pètent un câble, et la société des gens normaux, ceux qui se lèvent le matin, pour pointer au travail ou à pole emploi, puis rentent le soir, allument la télé ou vont dans une salle de sport, élèvent leurs enfants, et pour une moitié, partent en vacance. La contextualisation consiste à supposer qu’un existe un lien entre le mode de fonctionnement de la société et le passage à l’acte de ces personnes frappées par le désarroi, la désillusion, surtout le désespoir et parfois la haine qui résulte d’une exacerbation des ressentiments et frustrations.
On note que d’un point de vue pragmatique, la banalisation conduit à proposer des solutions sanitaires, avec une action de santé publique ou bien ces politiques du care devenues à la mode. On traite les maux sociaux comme des pathologies collatérales du système en reconnaissant que conduire une existence c’est comme conduire un véhicule. Il y a parfois des morts au bout du chemin. La contextualisation est plus complexe à élaborer. Les liens entre malaise et société ne vont pas de soi. Et si ces liens sont établis, ils conduisent à élaborer non pas une politique sanitaire mais une authentique politique de société, visant à changer les règles du jeu économique. Au lieu d’attendre que les gens s’effondrent, mieux vaut tenter une approche nouvelle avec plus de partage mais ce nouveau monde a un prix, celui de rompre avec la course pour la satisfaction des désirs infinis des classes aisées. Quant à Reese, l’auteur du billet sur la désillusion américaine, il plaide pour une approche visant à comprendre d’où vient ce mal, cette désespérance, ce mal-être, seule solution pour mettre fin à cette crise sociale sans précédent.
Remarquons également que l’Occident n’est pas le seul ensemble gagné par les violences, les frustrations et les révoltes. La Chine est elle aussi face à un désarroi d’une partie de la population malgré une croissance frôlant les dix points. La Russie est face à des tensions sociales, qu’on a vues aussi en Turquie et au Brésil pour des raisons diverses mais toujours la colère. Que dire de l’Afrique et du Moyen Orient ? La Syrie est détruite et ne s’en remettra pas avant des décennies. Quant à l’Afrique, le Mali semble sous contrôle mais un séisme couve dans un pays dont on ne parle pas trop, le Nigeria, qui d’ici quelques années pourrait imploser comme la Syrie ou l’Egypte. Le dessein de mort est présent sur la planète et l’on peut craindre que les gouvernants ne prennent pas la mesure de ce marasme social, à moins qu’ils aient décidé un plan plus drastique, celui de maintenir le système en augmentant les pouvoirs de la police.
Epilogue philosophé.
Nous qui dans les années 1970 imaginions des sociétés nouvelles, pacifiées, où il fait bon travailler, partager, rire avec ses potes, accéder à un niveau matériel convenable, avec des libertés, des possibilités… eh bien nous nous sommes illusionnés, croyant que la politique pourrait rétablir un cours harmonieux. Nous n’avons pas vu le mal venir, de toutes parts, avec le cynisme des élites et les intérêts oligarchiques, la captation des revenus par les castes supérieures, la démobilisation des intellectuels, voire même la trahison, l’avènement de médias de masse tournés vers la médiocrité, la déliquescence des grandes institutions. Le mal avance pourtant démasqué mais le masque c’est nous que le portons, pour ne rien voir, comme en 1936.
lien vers Mint Press
http://www.mintpressnews.com/lax-shooting-prompts-questions/171956/
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