Montargis : le Père Noël ne viendra pas, mais viendra quand-même
Le Père Noël avait-il dans sa manche un programme subliminal de guerre des religions ? A défaut d’être une ordure serait-il un agent d’un service secret dont la mission serait d’attiser des oppositions ? A Montargis, petite ville du Gâtinais, dans le département du Loiret au sud de Fontainebleau, une querelle vient de défrayer la chronique.
La direction de l’école maternelle du Grand Clos annonce aux parents l’annulation de la visite du Père Noël. Celui-ci passait chaque année pour distribuer des cadeaux aux tout petits.
L’adjoint au maire de la ville fait état d’une note distribuée aux élèves. Cette note de la direction indique que l’annulation a été décidée par respect des différences de croyances et de la laïcité. Une mère de famille assure avoir entendu cette version de l’affaire de la part de la directrice elle-même. Une autre affirme à un journaliste du Parisien :
« Je suis allée voir la directrice pour comprendre cette annulation, et elle m’a expliqué qu’elle ne voulait pas se faire taper sur les doigts par certaines familles de musulmans. »
Le maire a écrit à l’Education nationale et aux responsables de la maternelle. L’affaire a fait le tour des médias. La question de la laïcité reste visiblement brûlante.
Petit rappel. Le Père Noël est un personnage inventé à partir de Saint Nicolas, dont c’est aujourd’hui la fête. La légende prête à cet évêque de nombreuses positions et interventions bienfaisantes. L’inspiration est donc initialement religieuse et chrétienne. Par la suite le personnage du Père Noël s’est démarqué de celui de l’évêque. La coiffe a laissé place au bonnet, l’habit sacerdotal à une sorte de robe de chambre, et la crosse à un sucre d’orge. Enfin, si Nicolas voyageait à dos d’âne, le personnage en rouge utilise lui un moyen de locomotion plus moderne et plus adapté aux paysages neigeux qu’il est supposé traverser à cette époque de l’année dans l’hémisphère nord.
Le Père Noël n’est donc pas une représentation religieuse. C’est un personnage mythique faisant partie des représentations bienveillantes dont les humains ont besoin pour incarner le Bien et le soutien moral. Malgré son utilisation très commerciale il est un symbole du bien et du partage des richesses intérieures et matérielles entre les humains : cadeaux, bienveillance, partage du repas, quêtes pour les pauvres. Vouloir priver des enfants de Père Noël sous prétexte de laïcité me paraît donc déplacé. Notre culture européenne a ses images et ses repères, il n’y a aucune raison de vouloir les effacer, même sous prétexte de laïcité - laïcité à laquelle je suis attaché. C’est aux parents d’informer leurs enfants de la nature du personnage, personnage qui fait partie de notre culture. La culture européenne vaudrait-elle moins qu’une autre ? Alors que l’on encourage partout à la préservation et au respect des cultures régionales ou locales, la nôtre ne mériterait pas le même respect et le même droit à s’affirmer ?
Allons plus loin. Sous prétexte de la présence de personnes de confessions non chrétiennes en Europe, faut-il interdire de fêter Noël ailleurs que dans les lieux de culte ? Faut-il supprimer les vacances des jours fériés religieux ? Dans cette logique de supposé respect des croyances, on ne devrait plus rien faire de spécial ce jour-là, puisque la fête est clairement d’inspiration chrétienne dans les valeurs de solidarité et de don mutuel qu’elle suppose, ainsi que par son symbole : la naissance du prophète des chrétiens. Mais que l'on soit croyant ou non, la fête de Noël est devenue un fait de société. Et même si son sens originel est mis à mal par le mercantilisme, même si l'ouverture du coeur est loin d'y être aussi manifeste que son sens le suggérerait, elle reste un temps particulier, historiquement ancré, de notre société.
Tous les pays ont des traditions profanes et religieuses et autorisent une expression publique de ces traditions à certaines époques. Jamais, quand je me suis rendu dans un pays non européen, il ne me serait venu à l'idée de demander la suppression d'une fête religieuse ou autre du pays où j'étais. Il n’y a aucune raison pour que les pays occidentaux renoncent à leurs traditions. Partout, c’est à l’étranger de s’adapter. Cela fonctionne dans les deux sens. C'est une condition de l’apprivoisement mutuel : si tu viens chez moi, tu respectes ce que je respecte ; si je vais chez toi, je respecte ce que tu respectes. L'ouverture à l'autre ne saurait être confondue avec le reniement de soi.
Dans une époque fortement marquée par des débats identitaires (de droite, de gauche, de religion, de genre, de culture), l’affirmation de sa propre identité culturelle et de ses signes me semble importante. Cela n’empêche pas le respect mutuel. C’en est même un des fondements.
A Montargis, la direction de l’école, peut-être surprise par la dimension prise par cette affaire, a affirmé que la religion n’était pas en cause. Il s’agirait d’un réattribution d’un budget. Au final l’annulation est annulée : le Père Noël ira bien rendre visite aux enfants de cette maternelle.
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