Négriers de salon... de thé
Dès qu’il est question de racisme, les visages se ferment, les toussotements masquent la gêne,et la prudence est de mise. Je vous avoue que j’écris ces lignes avec l’enthousiasme mesuré d’un joueur de pétanque sur un terrain miné.
Le raciste, il va sans dire que c’est toujours l’autre . On entend souvent :
« Personnellement, je ne suis pas raciste.... »
« je n’ai rien contre les Arabes/Noirs/Juifs/Blancs/Asiatiques/Coiffeurs..../autres »
(rayez la ou les mentions inutiles, selon votre sensibilité...attention : coiffeurs, c’est pour le test habituel)
Et là on attend un « mais » introducteur de quelques réserves, lesquelles en général ne tardent pas à venir :
On a droit parfois à :
« mais ça me gênerait quand même que ma fille épouse un....... .... »
ou encore :
« mais ils seraient mieux « chez eux »(?)
ou bien :
« Pfff.... « ils » sont encore plus racistes que nous » (courageux, quand même)

Certains affirment et revendiquent leur racisme, à grand vomissement de bave et de haine, généralement pas en public puisque la loi l’interdit. Il ne sera pas question de ceux-là, que je considère, peut-être à tort, comme irrécupérables.
Mais nous,.....nous qui ne sommes pas des extrémistes, nous avons au pire des opinions nuancées sur le sujet et au mieux hurlons notre antiracisme. Il ne nous viendrait pas à l’idée d’affirmer, ni de penser que tel individu, ou tel peuple , de par sa couleur de peau, ou tout autre spécificité biologique, culturelle ou religieuse, nous est inférieur et de ce fait indigne d’accéder aux mêmes droits, aux mêmes fonctions que nous. Ne sommes-nous pas scandalisés lorsque, dans notre beau pays des droits de l’Homme, des gens souffrent de discriminations ou font l’objet de quelconques sévices en rapport avec leurs origines ou de leur religion. Nous n’accepterions pas que des discours officiels et encore moins des lois laissent entendre que le porteur d’une couleur de peau différente de la nôtre nous est d’une quelconque manière inférieur. Une telle situation serait intolérable dans notre République ...
Et pourtant, nous vivons dans un bruit de fond sournoisement raciste que nous tolérons plus ou moins, un peu comme ceux ne sentent plus les odeurs désagréables à force de vivre avec. Racisme larvé, latent, que certains, trop complaisants, pourraient presque qualifier de « bon enfant ». (Je prends le mot racisme au sens large)
De la blague de comptoir de la France d’en bas, insinuant que les Corses sont fainéants, les Juifs radins, les Arabes voleurs, les Belges cons, les blondes pas futées, j’en passe et des pires...jusqu’aux phrases « maladroites » des hommes politiques (rappelons-nous l’attentat de la rue des Rosiers qui avait fait aussi des victimes chez d ’ « innocents Français », le célèbre « et je ne vous parle pas des odeurs » d’un président au sujet de familles d’immigrés, et le lapsus d’un ministre : « invasion » pour immigration)., une certaine forme de « racisme soft » est omniprésente dans notre environnement « culturel » .On a beau en minimiser la portée, dire que les mots sont moins lourds de conséquences que des actes, les mots, à long terme, ne tuent-ils pas parfois mieux que les balles ? Par ailleurs, les « idées » (reçues !) n’ont-elles pas souvent précédé les actes ? Ces manifestations verbales, de racisme, d’antisémitisme, de xénophobie, de sexisme.... et qui par...fois se veulent amusantes ont un dénominateur commun : le mépris, le rejet, la haine de celui ou celle qui vous est différent d’une quelconque façon. Présentes à tous les étages , leur perfidie tient essentiellement au fait que leur bénignité apparente incite à fermer les yeux, laissant souvent s’installer de dangereuses idées, surtout dans de jeunes cerveaux. Qui ne dit mot...
Contrairement à L.S. SENGHOR, ou a A.CESAIRE qui ont revendiqué la « négritude » tant contestée chez les Africains qui y ont vu un peu de complaisance avec le colonistaeur (ça a toutefois une autre classe que certains néologismes en « ude »... ), le commun des mortels qui entend s’exprimer dans le registre du politiquement correct n’oserait plus employer le mot « nègre », au risque de déchaîner quelques réactions outrées. Quelques puristes objecteront peut-être que le mot, adjectif substantivé, issu du latin « niger », signifie noir et rien d’autre . Au cours des siècles précédents, alors que la barbarie de l’esclavage sévissait, le mot nègre hors contexte gardait sans doute un sens assez neutre, dénué à priori de caractère péjoratif . Le « bon nègre » était entendu alors dans le sens du bon domestique qui sert son maître en courbant l’échine. Il est même très probable qu’à cette époque, « noir » aurait été plus inconvenant, car réservé plutôt aux choses ou aux animaux. D’ailleurs, parmi les prosélytes qui ont -pas souvent très élégamment il faut dire- entrepris la conversion de peuples d’Afrique on peut se dire qu’il existait peut être quelques éléments dépourvus de malveillante arrière pensée, convaincus d’avoir affaire à des semblables qu’il fallait -dans leur « intérêt »- ramener dans le giron de « La » religion, celle du conquérant, hors de laquelle il n’y avait « point de salut ». et ont parcouru ce chemin pavé de bonnes intentions qui a conduit là où l’on sait....Des politiques leur ont même précisé que le goupillon devait être avant tout un bon auxiliaire du sabre et il faut bien dire que dans son ensemble, l’appareil colonisateur , appuyé ou non par les religions ne les a guère traités comme des êtres humains à part entière.
En fait, consciemment ou non, activement ou par tacite complicité, les différents acteurs de la colonisation se sont mis au travail à la chaîne (si j’ose dire) pour essayer de formater d’une manière ou d’une autre les peuples africains, et en faire de bonnes brebis de nos empires, prêtes à se faire tondre la laine sur le dos ou à aller au casse-pipe sous une bannière qu’ils n’avaient pas choisie. Du catéchisme à la Marseillaise,, en passant par « nos ancêtres les Gaulois », ça valait bien n’importe quel petit livre rouge ! Plus tard, le néocolonialisme, assis sur des intérêts économiques nationaux et multinationaux et la complicité savamment entretenue de despotes africains a fait perdurer cette exploitation. Ceci devrait aider à comprendre le ressentiment que les peuples sortis du colonialisme nourrissent à l’encontre des ex-colonisateurs, et entraîner chez ces derniers non pas une auto-flagellation éternelle, mais au minimum la reconnaissance officielle des faits, ce qui a été en partie effectué, mais aussi et surtout un certain respect vis à vis des anciens colonisés, dont un grand nombre a été tenu en esclavage. Dans ce respect devrait s’inscrire un minimum de retenue, par exemple en ne mettant pas en avant, comme le souhaitaient quelques décideurs de programmes scolaires, de soit-disant bienfaits de la colonisation. Vous dites ? Des apports de la médecine, de l’éducation ? Ouaip... La vérité c’est que l’Afrique est en train de périr de maux multiples, parmi lesquels le SIDA, le paludisme, sans que des mesures vraiment efficaces ne sopient prises. Il y a bien un expert en virologie, tout de blanc vêtu qui est venu parler de la perméabilité du latex, au Cameroun, je crois....et aussi un ministre français, venu faire un pas de danse et donner des tapes dans le dos...au darfour, me semble-t-il....Avec des cautères commeça, la jambe de bois africaine va mieux se porter !
Jadis, le mot nègre ne recelait peut-être pas toute la méchanceté qu’on lui connait de nos jours...Le bon esclave, en somme, trimant dans l’ombre aux besognes ingrates sans moufter ni en tirer le moindre profit... Ce qui, reconnaissons-le, n’est déjà pas mal comme infamie... cette idée d’esclavage se retrouve dans le sens du « nègre » en littérature, qu’on nomme parfois élégamment « écrivains sous-traitant »
C’est peut-être aussi avec l’idée selon laquelle être « nègre » c’est appartenir à une sous-catégorie d’humains, que la courte nouvelle de H.G.WELLS « The stolen bacillus » (le bacille volé )a été intitulée dans sa version française « Un blanc qui deviendra nègre », alors que WELLS n’y parle à aucun moment de la couleur noire . En remplaçant le « bleu » de la fiction du texte original (l’auteur parle de taches bleuâtres apparues sur les cobayes) par du noir , le traducteur a peut-être souhaité renforcer l’effet comique...Pensez donc ! La tête du pauvre anarchiste en se découvrant noir dans la glace. C’est bien plus dégradant pour un blanc de devenir « nègre » que de bleuir ! .
Aujourd’hui, le mot résonne d’un écho terrible, car on l’a trop souvent entendu associé à « sale » ou « salaud de » etc. Il est devenu à juste titre condamnable, sauf bien sûr lorsque des potes africains se lancent amicalement « salut négro ! » souvent entendu dans les versions françaises des films américains. Le contexte, toujours, imprime sa puissance au vocable. Et je ne vois pas en quoi dire « un black, ou un noir.... est mon voisin de palier » apporte un renseignement utile (à moins de travailler pour la police ?)...Pourquoi pas tout simplement : un type, un homme, un mec, un gamin, un vieillard ....ou n’importe quel terme convenant à tout être humain ? Réfléchissons-y, avant de nous dire que les discriminations sont toujours le fait de l ’ « autre ».
Pourtant, tout comme l’image du « brave tirailleur » sénégalais a été exploitée par un célèbre chocolat en poudre, et a valu à la marque une assignation en justice en janvier 2009, c’est bien l’expression « BON NEGRE » qui a été , (et est toujours), utilisée par un torréfacteur français. Je précise que le nom de la rue de Mulhouse où siège le café : « rue du Sauvage » (rebaptisée par les Allemands par hasard mais assez justement - « Adolf Hitler Strasse » pendant l’occupation, à la grande hilarité des Alsaciens ) existait bien avant l’installation café en question... J’ai pourtant longtemps été choqué sans en analyser la raison précise, car enfin, on le qualifie de « bon » tout de même, ce « nègre »... Et puis, en seconde lecture, j’ai cru comprendre toute l’énormité de la chose : un commerçant qui propose un produit a en général intérêt à le présenter comme excellent, voire exceptionnel. Et aux dires des clients de cette marque, cela serait plutôt vrai. L’enseigne « au bon nègre » ne signifie-t-elle donc pas qu’on y trouve le nec plus ultra du bon café, sous-entendant par là même que pour un nègre, être bon, c’est plutôt rarissime ? Dites-moi que je me trompe.... On peut aussi tout simplement imaginer l’évocation de l’Afrique, terre productrice de bons cafés. Mais alors, pourquoi pas « Aux saveurs d’Afrique » ? A moins, mais j’ose encore moins l’imaginer, qu’on ait voulu y associer l’image du bon serviteur suant dans les plantations, ou ganté et en livrée apportant le café à son bon maître ? Avouez que dans la province de Victor SCHOELCHER, ce serait un comble !Ou peut-être encore pour plusieurs de ces motifs....J’aimerais bien votre avis là-dessus. Pour ma part, je suis assez scandalisé qu’on ait osé utiliser une telle expression.
On ne manquera pas de me faire l’objection qu’il existe de par le monde à propos de racisme entre autres infamies, des sujets d’indignation autrement plus importants et qu’on est encore loin dans le cas du nom du café ,des événements racistes par exemple survenus dans les stades de foot. Mais ce n’est pas parce qu’il faut en priorité tenter d’éteindre les incendies qu’on doit pour autant renoncer à débusquer les pyromanes. Senghor aurait voulu arracher toutes les affiches montrant le célèbre « y’a bon », et on le comprend...J’aimerais bien voir la tête d’un blanc qui découvrirait au hasard de ses promenades en Afrique une blanchisserie par exemple, dont l’enseigne serait « A la blancheur du bon toubab’ »...ou encore « pour vos slips, l’éclat toubabou »....vantant les mérites d’une lessive.
Dans le même ordre d’idée ; et de même qu’il faudrait contraindre les patrons de la boîte à trouver une autre enseigne pour leur café, il serait bien souhaitable aussi, n’en déplaise aux inconditionnels de l’authenticité historique du texte, qu’on modifie légèrement les paroles de notre hymne national. Pas grand-chose : juste le sang « impur ». Désolé : que des exégètes érudits me disent qu’il s’agit d’une évocation des glorieux combats destinés à protéger Mère patrie, au cours desquels les sangs des différents belligérants coulent et se « mélangent »., ne me rassure pas, mais alors pas du tout. Je n’y crois pas une seconde et pense surtout qu’on a voulu, par « sang impur », désigner celui de l’ « autre ».C’est quand même un peu fort (de café) qu’on ait gardé ça....
Vous dites ? Pas une raison pour siffler ?...Mmh...
Mais si, mais si .... Et même, tiens, pour me remonter le moral, je vais aller me siffler un petit noir ...au café d’en face.
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