Néomercantilisme et néolibéralisme : une mondialisation marquée par les retours en force des politiques nationales
Les économistes contemporains n’évoquent pas beaucoup cette relation historique entre la politique mercantile des États et la montée du libéralisme au XVIIIème siècle. En ce qui concerne le mercantilisme, l’article de Wikipédia ci-dessous est déjà assez instructif pour avoir une idée générale sur la question : (https://fr.wikipedia.org/wiki/Mercantilisme#Th.C3.A9orie_mercantiliste)
Pendant la construction des États modernes, le libéralisme et la démocratisation du pouvoir acquise avec les révolutions succèdent à la mise en place par les monarchies européennes d’une politique commerciale mercantile basée sur l’essor des exportations et l’accumulation des métaux précieux, de monnaie, ainsi que l’acquisition d’exploitations agricoles, minières et industrielles dans les pays étrangers, colonisés ou non.
Il est indéniable que la politique mercantile, ayant organisé pour la première fois dans l’histoire un cadre global pour les activités commerciales à travers le monde, a été et reste la structure sur laquelle repose le libre-échange, l’ouverture des frontières et le développement de l’économie financière.
Cela paraît trivial de rappeler les relations évidentes entre les constructions simultanées de l’économie politique, des États-nations et de la mondialisation. Cependant, dans les débats européens actuels, pour contrer le souhait d’augmenter le protectionnisme, les arguments défendant l’ouverture des frontières reposent la plupart du temps sur des couples d’oppositions État-nation/ mondialisation, État-nation/économie politique. Des oppositions se construisant elles-mêmes en dehors de l’économie réelle et définissant des nouvelles relations entre politique et économie, où le rôle des États est souvent cantonné à un rôle militaire et policier, pour assurer l’ordre minimum nécessaire parmi une population dépourvue d’action dans la politique économique.
Puisque la mondialisation s’est toujours développée à partir des États-nations (même lorsqu’ils sont associés) mettant en œuvre des politiques économiques aux échelles locale, régionale et global, qu’est-ce que justifient dans leurs contextes ces oppositions entre État et mondialisation, État et économie, chaque fois qu’un gouvernement réclame aux institutions internationales une protection particulière, ou une disposition avantageuse pour son économie ?
Le cas de l’Union Européenne est éminemment le plus intéressant, parce qu’elle a porté à la perfection une association intergouvernementale basée sur les oppositions entre État et économie, État et mondialisation, et elle a été conçue à l’origine comme un bloc géopolitique séparé de l’économie asiatique. Le statut d’indépendance de la Banque centrale européenne, similaire à un privilège d’extraterritorialité hors de l’Union, fonctionne comme une instance multilatérale d’ultime recours pour raccorder les liens entre l’économie communautaire et les États de l’UE, au cas où l’ensemble institutionnel risque l’éclatement. En pratique, elle règle les rapports de force entre les économies nationales et a tendance à entretenir la domination économique de certains États sur d’autres. Or, pour justifier le fonctionnement de cette politique économique il est souvent invoqué des arguments libéraux pour promouvoir l’ouverture des frontières et le libre-échange, faisant passer des politiques nationales particulières, celles des économies nationales les plus fortes, pour des actions qui s’accordent parfaitement avec la globalisation et ne reposant pas beaucoup sur la force des États.
L’opposition entre État et économie est alors utilisée pour justifier la domination d’un État sur un autre, et beaucoup plus grave, l’opposition entre État et globalisation finit par justifier la stratégie d’un État à conquérir des parts de marché au niveau mondial. Cette contradiction entre le discours et la pratique ne peut s’expliquer que si elle est replacée dans l’histoire de l’économie moderne, où le rôle de l’État a toujours été prépondérant. Les acteurs politiques qui promeuvent la diminution du rôle des États, tels que Ronald Reagan, se sont toujours appuyés sur une forme de patriotisme économique conquérant et pouvant être belliqueuse. C’est pour cette raison que l’association entre État et économie ne peut pas être représentée comme telle lorsque la politique économique se veut plutôt agressive envers l’extérieur. Montrer son agressivité en économie dévoile trop les intentions profondes, ruine la confiance entre les acteurs et ne favorise pas les échanges internationaux.
À long terme, le fait de nommer une politique économique patriotique avec un discours contraire a eu des effets pervers dans la politique mondiale. Le simulacre de l’opposition entre État et économie permet à n’importe quel acteur de se défausser sur le système, et finit par déresponsabiliser les personnes, en décrédibilisant toute forme d’autorité. À tel point qu’un acteur économique voulant imposer son hégémonie en voulant éliminer toute concurrence et imposer un monopole global pourrait très bien justifier son action en se représentant comme libéral, ouvert au monde et ayant acquis cette position par le libre-jeu du marché.
Cette économie politique agressive, représentée comme la forme la plus achevée de la démocratie libérale, n’est pas sans incidence dans la géopolitique mondiale des vingt dernières années. De nombreux États se sont effondrés sur eux-mêmes en Afrique, au Proche-Orient et en Europe de l’Est, d’autres se sont protégés comme la Chine et les États-Unis, et certains se sont radicalisés comme la Russie et l’Inde. Pour finir, la guerre sévit partout autour de l’Union Européenne, première région économique du monde, qui voit se noyer dans la Méditerranée des dizaines de milliers de migrants qui fuient les atrocités.
À ce propos, une petite chronologie commentée est proposée dans mon autre article : Brève chronologie depuis 2001 : Les États-Unis et la crise du Nouvel ordre mondial, de 2001 à aujourd’hui.
http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/breve-chronologie-depuis-2001-les-169083
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