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Non, la double peine n’a pas été rétablie par les députés...

De toutes les dispositions qui composent le fourre-tout qu'est la LOPPSI 2e édition, je ne pensais pas m'arrêter sur un petit point de procédure pénale.
Mais, quand, au hasard de mes nombreux cliquetis sur la toile, je découvre que certains "journalistes" annoncent que la double peine a été rétablie par les députés lors de la discussion en séance publique à l'Assemblée nationale et surtout quand les lecteurs croient l'information et la mettent en avant en utilisant les différents moyens que le monde moderne leur offre... là, je me dis qu'il est peut-être tant de s'intéresser un peu au sujet.

Non, la double peine n'a pas été rétablie par les députés d'abord tout simplement parce que, contrairement à une idée bien reçue, elle n'a pas été supprimée en 2003 mais seulement théoriquement atténuée ou plutôt encadrée ; dans la pratique, le changement n'a d'ailleurs bien souvent que de très faibles conséquences.

Sans vouloir m'étendre trop sur la question, notons en effet que la loi du 26 novembre 2003 a notamment eu pour objet, suivant ainsi le souhait du ministre de l'intérieur de l'époque, de compléter la législation concernant l'interdiction du territoire français (peine complémentaire pouvant être prononcée à titre définitif ou pour dix ans au plus, lorsque la loi le prévoit, à l'encontre de tout étranger coupable d'un crime ou d'un délit) en fixant un certain nombre de conditions.

La lecture des dispositions (articles 131-30 à 131-30-2 du code pénal) permet de se rendre rapidement compte que, hormis quelques cas très précis tels que par exemple les mineurs, une personne résidant régulièrement en France depuis plus de vingt ans, un étranger ayant une résidence régulière en France depuis au moins dix ans avec une famille... , la réforme a surtout mis en place des conditions en cascade visant des "catégories" de personnes plus ou moins protégées.

Loin, parfois très loin, de la fin de la double peine désormais considérée à tort comme une réalité ; l'article 131-30-1 du code pénal en est une parfaite illustration.

Selon cette disposition, le tribunal, en matière correctionnelle, ne peut prononcer l'interdiction du territoire français que par une décision spécialement motivée au regard de la gravité de l'infraction et de la situation personnelle et familiale de l'étranger lorsque celui-ci se trouve dans une situation bien précise (encadrée par des conditions qui n'ont rien à envier aux poupées russes) et quelques exemples suffisent pour se rendre compte que cela ne concerne en pratique que peu de monde.

Bref, la double peine n'a pas disparue en 2003 et les médias, qui s'étaient majoritairement fait l'écho de la nouvelle à l'époque, savent d'ailleurs parfois mettre en lumière un cas le démontrant.

Ainsi, juste à côté de l'article dont je parlais précédemment, se trouve un lien intitulé "la réforme de la double peine n'a rien changé."

Intéressons nous maintenant à l'actualité un peu plus récente.

Tout commence avec le dépôt d'un amendement n° 308 lors de la deuxième lecture du fameux projet de loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI) ; certains vous diront sans doute que l'histoire démarre en fait plutôt avec un référendum suisse sur l'expulsion des criminels étrangers qui aurait donné des idées à quelques parlementaires français.

Le texte en question avait pour objectif de modifier l'article 362 du code de procédure pénale en y ajoutant d'une part une référence aux dispositions sur l'interdiction du territoire français dans la liste des articles devant être lus avant que la Cour d'assises statue sur la peine et d'autre part en prévoyant que cette dernière délibère afin de déterminer s'il y a lieu de prononcer cette peine.

L'argumentaire servi pour appuyer tout cela, qui sera d'ailleurs repris par le député Jean Paul Garraud pour défendre le texte en séance publique, est clair :

"Lorsqu'un criminel de nationalité étrangère est jugé par une cour d'assises française et qu'il peut encourir une peine complémentaire d'interdiction du territoire français, le Président de la Cour devrait pouvoir poser au jury la question concernant le prononcé de cette interdiction. Le Président poserait ainsi la question de la culpabilité, puis de la peine et en l'espèce du prononcé de cette peine complémentaire d'interdiction. C'est donc le jury, expression du peuple souverain, qui trancherait et qui apprécierait au cas par cas."

Mais pourtant, l'article 362 du code de procédure pénale prévoit déjà que"la cour d'assises délibère également sur les peines accessoires ou complémentaires" parmi lesquels figure l'interdiction du territoire français et, pour ceux qui en douteraient, l'article 240 précise que "la cour d'assises comprend la cour proprement dite et le jury"

Finalement, rien de vraiment nouveau si ce n'est de faire référence de manière beaucoup plus explicite à la possibilité de prononcer une interdiction du territoire français ; Jean-Paul Garraud le fait d'ailleurs lui même remarquer :

"La seule différence avec ce qui se passe actuellement, c’est que le président de la cour d’assises poserait systématiquement la question lorsqu’un criminel de nationalité étrangère serait impliqué. Cet élément est important et je pense que les jurés doivent en débattre.

Cela peut déjà se faire, me direz-vous. C’est vrai qu’en l’état, un avocat général, en cour d’assises, peut requérir, en plus de la peine qu’il demande, une interdiction du territoire. Éventuellement, la cour d’assises elle-même – et même le tribunal correctionnel – peut prononcer, à titre de peine complémentaire, une interdiction du territoire. Moi, je me situe uniquement sur la cour d’assises. Je n’ajoute aucune infraction. Je souhaite simplement que les jurés en débattent, ce qu’ils feront, comme nous le savons tous, d’une façon très démocratique. Voilà le sens de cet amendement."

L'opposition ne sait alors pas gêner pour lui confirmer que cet amendement ne servait à rien si ce n'est à influencer le cours des délibérés ou encore à "désigner l'étranger comme suspect et criminel a priori" ;
à noter également la très intéressante remarque de François Pupponi qui, après avoir rappelé qu'il existait beaucoup d'autres peines complémentaires dans le code pénal, s'est interrogé sur le choix fait de se limiter à la seule interdiction du territoire français.

Eric Ciotti, rapporteur du texte, a émis un avis favorable sur cet amendement.

Brice Hortefeux s'en est remis à la sagesse du parlement.

Quelques échanges de paroles ont eu lieu au cours desquels on a pu entendre que d'autres défenseurs de ce texte expliquaient hors des murs de l'assemblée qu'il s'agissait simplement de "bon sens" suite à l'initiative suisse ou encore qu'il fallait y voir "la volonté de donner quelques gages à des gens qui ne sont pas présents dans cet hémicycle mais qui, peut-être [...], y entreront un jour" ; l'auteur du texte a préféré prendre note que l'opposition ne faisait pas confiance à l'expression du peuple souverain.

L'amendement a finalement été adopté.

Et voilà que certains, sans doute par goût des raccourcis journalistiques, profitent de l'occasion pour annoncer que l'Assemblée vient ainsi de rétablir la double peine.

On peut penser ce que l'on veut sur le vote de ce texte (et sur la double peine) mais difficile, notamment après les lignes qui précèdent, d'être en accord tant avec l'intitulé qu'avec le contenu de quelques articles qui tentent de diffuser cette idée.

La discussion en deuxième lecture de la LOPPSI s'est achevée à l'Assemblée ;

le vote sur l'ensemble du projet de loi aura lieu le mardi 21 décembre juste après les questions au gouvernement ;

ce sera ensuite aux sénateurs d'examiner à nouveau le texte ;

on est loin d'avoir fini d'en entendre parler...


à lire aussi :

l'ensemble des articles publiés sur ce blog concernant la LOPPSI numéro 2

Cet article est initialement publié là : http://0z.fr/SpK3C


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3 réactions à cet article    


  • armand armand 21 décembre 2010 19:16

    Forcément - il y a une différence entre le fait d’être citoyen d’un pays, et le fait d’y vivre sans être citoyen.
    Evidemment, toute une frange que je me garde de qualifier entend vider la citoyenneté de toute substance. Ce sont les mêmes qui en appellent à la disparition pure et simple de la nation française.
    Celui qui n’est pas citoyen est bien ressortissant d’un autre pays, il est normal de l’y renvoyer en cas d’un comportement inacceptable. Vous avez le droit de f...re la m...de chez toi, en revanche, si tu le fais chez autrui, normal qu’on te flanque à la porte.


  • Rough 21 décembre 2010 19:25

    ...et c’est bien dommage !


    • DANIEL 21 décembre 2010 23:52

      les binationaux bénéficient de la double nationalité, il doivent en assumer les conséquences.
      la ou un Français (nationalité unique) ferait 10 ans de prison, un binational en ferait 6,7 ou 8 et serait expulsé définitivement du territoire, pour des faits similaires.
      il n’y aurait pas de peine « complémentaire » mais une peine prenant en compte une réalité différente.

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