On est jeune et en plus il faudrait que l’on soit con… mais, La vie ce n’est pas un clip pour la présidentielle !
À force de nous le répéter, on commence à le savoir : la jeunesse, c’est la précarité. L’école, le travail, l’amour, le logement, le statut, l’identité, en tout, partout et pour tout, nous sommes « précaires ». C’est-à-dire pas vraiment finis, pas vraiment stabilisés, assis, sécurisés. Une sorte d’allumette dans un blizzard. Et c’est donc pour ça qu’on nous plaint, et c’est au nom de cette fragilité décrétée que l’on parle à notre place, que l’on prend notre défense : avec un peu de chance et d’efforts, on devrait un jour avoir le privilège de devenir adultes, intégrés, travailleurs, satisfaits.
Et c’est vrai que d’une certaine manière, nous sommes fragiles, manipulables, exploitables. À l’école, on ne nous a pas vraiment appris à nous défendre, encore moins à nous battre. Ce que l’on nous a enseigné, c’est de nous préparer, de nous y attendre, à la vie de merde à la petite cuillère, avec ses mille petites résignations, ses kilos de rêves écrasés, son manque cruel de destin. C’est vrai qu’on est nombreux à se rétamer dans la précarité. Mais pour être tout à fait honnêtes, la « vie normale » qu’on nous fait miroiter est aussi enthousiasmante qu’un nouveau film des Visiteurs.
Lorsqu’on se balade sur les réseaux sociaux ou dans les commentaires de sites d’informations, on voit facilement ce que les vieux pensent de nous : ils nous plaignent ou nous méprisent. Encore un « mouvement de jeunes » ! On s’apitoie ou on ricane, mais on connaît déjà bien tout ça. Peut-être, peut-être pas. Nous on a une autre intuition, l’intuition que l’Histoire revient mais ne se répète pas. L’intuition que ce gouvernement est particulièrement flippé que nous continuions, que nous n’abandonnions pas, que nous ne lâchions pas la rue. C’est d’ailleurs la seule explication au niveau de brutalité délirant que les flics ont déployé pour empêcher une AG à Tolbiac. Et non, Valls n’a pas peur de la CGT et des travailleurs qui défilent tranquillement. Ce qu’il craint ce sont ces jeunes que tout le monde méprise car il sait que dans le fond, on se fatiguera peut-être mais on se fera pas acheter par des promesses en toc ou un futur sous cachetons. Ils ne sont pas complètement cons dans les cabinets ministériels, ils le savent bien qu’on n’a pas grand-chose à perdre et que ça ne va pas être simple de nous faire croire à leur avenir radieux.
Effectivement, nous sommes au cœur de ce paradoxe : c’est parce que nous ne sommes pas grand chose pour cette société que nous en sommes quelque part, un peu libérés. Nous on n’a pas misé un kopek sur ce monde alors on à pas besoin de faire l’autruche à mesure qu’il s’enfonce. Si on y réfléchit, on ne lutte pas contre la précarité mais à partir d’elle.
Alors il va falloir leur dire à tous ces gens qui s’inquiètent pour nous ou de nous : on n’a pas peur de l’avenir, c’est votre avenir qui a peur de nous. Ce n’est pas nous qui avons peur de la rue, du changement, du soulèvement. Nous, on n’a pas peur de perdre notre boulot ou nos repères, nos petits privilèges et notre confort. Nous en s’en fout complètement de votre monde, ce qu’on veut, c’est tenter quelque chose, quelque chose de nouveau, d’inédit, d’improbable. Et vous ne nous ferez pas croire que le résultat pourrait être pire que le merdier que vous nous avez légué. « Mais qu’est-ce que vous proposez ? » foutez-vous là au cul votre question. Non seulement il faudrait que nous soyons jeunes et cons mais en plus « jeunes à proposition ». La vie ce n’est pas un clip pour la présidentielle, on ne propose rien, on invite, au bouleversement, au soulèvement, à l’insurrection. Des idées on en a et on en aura et ça tombe bien car vous allez mourir bien avant nous.
La question n’est pas d’avoir 16, 30 ou 77 ans. Il faut arrêter de croire que la jeunesse est une phase transitoire. On n’est pas jeune pour ensuite devenir vieux. On n’est pas vieux parce qu’on a été jeune. La jeunesse c’est le contraire de se laisser aller : c’est partir à l’assaut du monde, y compris pour le renverser.
La loi El Khomri est peut-être un prétexte – le prétexte qui nous manquait – pour aller dans la rue, occupé des bâtiments publics, nous rencontrer et nous décider. On sait tous que si on ne le fait pas maintenant, si on manque d’audace et de courage, le retour à la normal sera encore plus brutal : la vie de merde et les élections 2017 de merde. Nous cherchons moins à produire un mouvement de la jeunesse qu’à penser la jeunesse du mouvement. C’est à dire, lui donner la possibilité de ne pas être ce que les mouvements précédents ont été. Lui permettre d’être imprévisible. Nous donner la possibilité de ne pas répéter ce que la génération précédente a fait. Visons le soulèvement. De 7 à 77 ans.
"Par des étudiants-occupants de l’université de Tolbiac"
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