Orange mécanique station Magenta
RATP : ils vont nous faire aimer la ville...
Le slogan de la RATP est, depuis quelques années : « Nous allons vous faire aimer la ville »[1] Une vidéo particulièrement violente, circulant sur le web depuis quelques jours, vient assombrir les promesses de cette accroche publicitaire. Intérieur nuit. La scène se passe dans un bus Noctilien de la RATP, à la station Magenta-Gare du Nord, fin 2008. Plan large. Les héros de l’histoire apparaissent. Il s’agit d’une bande de sympathiques jeunes syldaviens[2] regagnant vraisemblablement leur triste banlieue après une virée hyperfestive dans la Capitale. Au premier plan, socialement agressif, se dresse le méchant de l’histoire. C’est un jeune-homme blanc, qui – sans aucune pudeur - étale toute sa fatuité de mâle occidental, à travers son cheveux blond, sa « face de craie » et sa décontraction naturelle qui fleure bon l’école de commerce. Lorsque les jeunes syldaviens, ayant grandi dans la misère toute leur jeunesse avant de venir s’installer en France, essayent de s’emparer du portefeuille du jeune-homme blond c’est le drame. Ce dernier ne se laisse pas faire. Par un inqualifiable acte de provocation anti-sociale il tente de se réapproprier son bien. Plan large. L’œil de la caméra de vidéo-surveillance ne loupe pas un instant de l’altercation. L’image est en couleur et le son est capté fort et clair. Le jeune-homme blanc à l’écharpe avantageuse riposte, guidé par son esprit bourgeois étriqué. Au lieu de partager son abondante richesse (accumulée avec rapacité sur le dos des syldaviens longtemps colonisés et traités en esclaves), au lieu de communier dans le don avec les damnés de la terre, il cherche à remettre la main sur le portefeuille dérobé. Le choc est immense chez les syldaviens, qui sont profondément troublés et meurtris par cette faute de style. Sans délais le jeune-homme blond à l’écharpe se fait défoncer la gueule à six contre un, et sans aucun préliminaire, ni aucune préface. Car oui, rappelons-le, le syldavien, tel le dédaigneux loup des forêts de son pays, agit toujours en meute.
Intérieur nuit. Toujours. Le plan passe sur une autre caméra de vidéo-surveillance. L’ignoble petit bourgeois blond, au sol, continue de se faire tabasser joyeusement par la courageuse bande d’adolescents démunis. Il tente de chercher de l’aide auprès du chauffeur, qui ne remue pas le petit doigt pour venir au secours de l’infortuné voyageur blond. Peu d’usagers du Noctilien réagissent. Le sentiment général est à la stupéfaction. Durant de longues minutes, et sous d’autres angles encore, on voit ce détestable blond matérialiste se faire frapper à coups de poings et de pieds, tout en encaissant de bien audibles insultes… « Sale français ! », entre autres « Bâtard ! Enculé ! ». Scène de la vie réelle, station Magenta.
Intérieur nuit. Plan rapproché. Changement de caméra. L’odieux petit suppôt du MEDEF, plus attaché à son portefeuille qu’à la défense de la diversité et de sa promotion active, demande de l’aide au machiniste. Ce dernier, drapé dans un stoïcisme désarmant, fait mine d’appuyer sur les boutons d’une console. Tel le cosmonaute concentré, il cherche certainement à rétablir le contact avec « Houston ». La terre. Allo, la terre ? Il est surtout très respectueux du règlement, le machiniste. Un règlement qui impose de ne pas sortir de son habitacle sécurisé, fusse pour porter assistance à une personne sauvagement agressée. Le règlement c’est le règlement ! A l’écran, les syldaviens, en meute, continuent d’asséner des coups brutaux sur le crâne de ce petit rupin blond dépossédé de son portefeuille provocateur, plein d’euros d’élite, sûrs d’eux et dominateurs… sans aucune commune mesure avec la modeste, et si sympathique monnaie du « pays »… la couronne syldavienne…
Au bout d’un moment les syldaviens s’en vont, portés par un désir d’avenir qui fait plaisir à voir. Ils ne partent pas pour échapper à la police (qui a certainement été appelée par le machiniste – « Allo Houston, y’a quelqu’un ? »)… non, la petite bande de potes s’en va défricher d’autres « ailleurs » citoyens, avec le sentiment du devoir accompli. Le regard portant au loin, sur les fécondes diversités d’après. Conscients d’appartenir à la caste des « nouveaux talents ».
Nous avons recueilli, en exclusivité, plusieurs témoignages sur ces images.
Laurent M., sociologue : « Ce que je vois, sur cette vidéo, c’est une petite bande de potes espiègles et facétieux qui cherche à tuer le temps. Vous savez, ce n’est pas rien de s’intégrer en France lorsque l’on vient de Syldavie. C’est difficile de trouver ses marques et de comprendre où sont les limites. Ce que je vois aussi, à l’image, c’est un français provocateur qui exhibe ses richesses et – sans le savoir – appelle ces petits jeunes à entrer en dialogue avec lui. C’est un dialogue que l’on voit sur cet écran… »
André Epaulard, élu Modem : « Voici la parfaite illustration du fait que les nouveaux talents de la banlieue sont inexploités. Vous remarquez que ces syldaviens sont singulièrement astucieux dans cette opération de réappropriation légitime du bien d’autrui… l’un d’eux parle à cet infâme petit bourgeois – certainement propriétaire de plusieurs usines et d’une Rolex – afin de faire diversion, tandis qu’un autre petit syldavien s’empare du portefeuille tant espéré. Mon ami, adaptez ce dispositif au secteur financier et la crise actuelle est réglée en 48h ! »
François F., syndicaliste CGT à la RATP : « Le problème n’est pas celui de la violence. Croyez-moi. Ce genre d’incidents n’arriverait pas si la direction de la RATP écoutait enfin la plate-forme intersyndicale de revendications ! Je ne vois aucune violence sur ces images… seulement un machiniste débordé par une situation limite, qui fait tout – et avec un professionnalisme confondant – pour faire comme si tout allait pour le mieux dans le meilleurs des bus… »
Bobby L., travailleur social à Sevran : « J’vais être direct man… tout ce bordel c’est à cause de Sarkozy. Il met des flics partout ! Ouais… Police partout ! Justice nulle part ! C’est normal. C’est un peu comme le coup de l’Otan là… c’est rien que pour nous entuber, à cause du racisme et du Madoff et du Medef. Sans parler de la séquestration des petits patrons, qui devrait devenir un sport olympique, comme le curling et le partage de la richesse ajoutée sur les nouveaux marchés ! Ce petit blanc n’a eu que ce qu’il mérite. Vous avez remarqué son air provocateur ? Ben voilà. Il n’avait qu’à pas être là. C’est vrai, qu’est-ce qu’il faisait là ? Il se croit chez lui dans un bus ? Bordel ! »
N’en disons pas davantage. L’enquête est en cours. Un policier, peut-être à l’origine de la diffusion de ce document incongru, est en train d’être auditionné par les fameux « bœufs carotte » de l’IGS… la police des polices. Quelque chose me dit que son acte « citoyen » de dénonciation de la sordide réalité de l’insécurité en Ile-de-France ne fera pas de lui un commissaire divisionnaire dans le contexte actuel. La vidéo a déjà suscité des milliers de commentaires sur les sites web qui ont relayé la pépite. Espérons que la violence de ces images aura la vertu d’ouvrir un débat semblant désormais « interdit » sur la violence urbaine. Toute évocation de l’insécurité (pourtant bien réelle) étant devenu un appel à voter Le Pen pour la presse « citoyenne » et « responsable ». Espérons que ce « scoop » un peu clandestin, issu du web et formaté pour Youtube et Dailymotion, mette aussi en avant l’importance d’Internet en tant que vecteur d’informations exclusives. Espérons, pour finir, que ces images violentes vont enfin faire réfléchir la RATP et infléchir sa communication… les voyageurs ont-ils vraiment besoin de « concours de slam » et de « poésie du métro » (les parisiens me comprennent)… n’ont-ils pas besoin plutôt de vigiles et de maîtres-chiens ?
Sur ce, adieu Noctilien… je pense que je vais passer le permis de conduire, station Magenta. Moi c’est plutôt en bagnole que je vais l’ « aimer la ville ».
[1] Slogan aussi sinistre, dans le genre vous-nous-vous, que celui de France Télécom au tournant du siècle « Nous allons vous faire aimer l’an 2000 » Chiche ?
[2] Mais si, la Syldavie, ce pays imaginaire du Sceptre d’Ottakar de Hergé….
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