Outrage au drapeau : un décret en plus ; de la liberté en moins...
Voilà, c’est fait...
Après avoir découvert qu’il lui était impossible de punir pénalement le fait de récompenser de mauvaises photos, Michèle Alliot Marie l’avait affirmer : le droit devait évoluer sur ce point ; de tels actes devaient désormais être des infractions et être sanctionnés pénalement.
Juste le temps de se mettre au travail, de trouver deux ou trois pistes, de rédiger un petit texte et de le soumettre pour avis au Conseil d’Etat.
Et voilà, maintenant c’est fait ; le droit évolue...
L’arsenal pour lutter contre de prétendus outrage au drapeau s’agrandit : juste un petit décret publié au journal officiel du 23 juillet 2010 et encore un peu moins de liberté... tout cela uniquement dans l’intérêt général (?) ; le seul qui doit théoriquement guider la naissance de nouvelles dispositions pénales.
Un petit décret qui vient ajouter une nouvelle section "de l’outrage au drapeau tricolore" dans le code pénal...
Et voilà, c’est fait...
C’est ainsi qu’apparaît une nouvelle contravention :
Article R.645-15 du code pénal :
Hors les cas prévus par l’article 433-5-1, est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe le fait, lorsqu’il est commis dans des conditions de nature à troubler l’ordre public et dans l’intention d’outrager le drapeau tricolore :
1° De détruire celui-ci, le détériorer ou l’utiliser de manière dégradante, dans un lieu public ou ouvert au public ;
2° Pour l’auteur de tels faits, même commis dans un lieu privé, de diffuser ou faire diffuser l’enregistrement d’images relatives à leur commission.
La récidive des contraventions prévues au présent article est réprimée conformément aux articles 132-11 et 132-15.
Le texte précise, si cela était utile, qu’il ne s’applique pas aux différents cas prévus par l’article 433-5-1.
En effet, l’introduction dans le code de cette autre disposition issue de la fameuse loi de sécurité intérieure du 18 mars 2003 afin de montrer une réaction à certains événements (les sifflets entendus lors de La Marseillaise au stade) n’était que la première étape vers une atteinte à la liberté d’expression.
A cette époque, le texte visait à sanctionner le fait d’outrager publiquement le drapeau ou l’hymne national au cours d’une manifestation organisée ou réglementée par les autorités publiques.
Tout cela puni de 7500 euros d’amende ou six mois d’emprisonnement et 7500 euros d’amende si les faits sont commis en réunion (ce qui peut vite être le cas)... c’est donc un délit.
Bref, un texte sur mesure...
De nombreux reproches ont été fait concernant ce texte ; certains demeurent.
Le Conseil constitutionnel a été saisi ; il avait validé le texte en émettant quelques réserves d’interprétation (à défaut de les suivre, le texte serait contraire à la Constitution) : il a précisé que les oeuvres de l’esprit devaient être exclues du champ d’application et que et que le terme de manifestation réglementée s’entendait restrictivement aux manifestations publiques à caractère sportif, récréatif ou culturel se déroulant dans des enceintes soumises par les lois et règlements à des règles d’hygiène et de sécurité en raison du nombre de personnes qu’elles accueillent.
Mais cela ne suffit pas aux yeux de certains ; d’où ce merveilleux décret.
D’ailleurs intéressons nous un peu au nouveau texte :
Il est donc désormais interdit de détruire, détériorer ou utiliser de manière dégradante le drapeau tricolore.
Encore faut il que les faits se passent dans un lieu public ou ouvert au public et qu’ils soient réalisés dans des conditions de nature à troubler l’ordre public et avec une intention particulière : outrager le drapeau tricolore.
Me vient alors à l’esprit l’éternelle question : qu’est ce qu’un outrage au drapeau ?
Je me souviens avoir écris sur ce sujet il y a peu de temps :
"on réprime le fait d’outrager sans donner aucune définition.
Le code pénal ne définit clairement que les outrages envers certaines personnes en raison de leur fonction. Des textes qui peuvent être difficilement applicables lorsqu’il s’agit de protéger le drapeau tricolore et l’hymne national.
Et pourtant, la volonté de respecter le principe fondamental de la légalité des délits et des peines, garanti à de très nombreuses reprises, devrait conduire le législateur à rédiger les textes d’incrimination en utilisant des termes clairs et précis afin qu’il soit possible de savoir ce que la loi réprime.
Qui peut dire aujourd’hui clairement et précisément qu’est ce qu’un outrage au drapeau français ou à l’hymne national ?
gros problème d’insécurité juridique..."
Le texte réprime également, uniquement pour l’auteur des faits visés par l’article (même si ceux ci sont commis dans un lieu privé), la diffusion des images montrant l’acte répréhensible.
La publication de ce décret vient heurter un grand nombre d’autres textes.
Rien qu’en se limitant à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (qui fait partie du bloc de constitutionnalité), je vois quelques articles qui méritent d’être recités :
Art. 4. -
La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi.
Art. 5. -
La Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas.
Art. 6. -
La Loi est l’expression de la volonté générale.
Art. 11. -
La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.
Et voilà c’est fait,
ce décret, qui comporte déjà quelques lacunes et qui risque de donner lieu à quelques tentatives d’interprétation, vient d’être publié,
une fois encore, on fabrique des textes de circonstances en réponse à un événement ; voilà comment les textes se font trop souvent aujourd’hui.
Une fois encore, on nous retire un peu de liberté sans que cela ne se justifie et surtout pas par la protection de l’intérêt général ; pourtant c’est théoriquement à cela que devrait servir le droit pénal.
Précisons également qu’une proposition de loi relative au respect du drapeau français en dehors d’une manifestation organisée ou réglementée par les autorités publiques (visant à modifier l’actuel article 433-5-1 du code pénal) existe toujours.
à lire aussi sur mon blog :
juridiquement, on peut encore prendre des mauvaises photos...
l’outrage au drapeau français dans un cadre artistique bientôt punissable...
pour renforcer la répression de l’outrage au drapeau, des députés proposent un texte sans avenir...
pourquoi il faut en finir avec l’offense au Président de la République ?
Cet article est initialement publié là : http://0z.fr/k_Fp0
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