Ouverture des commerces le dimanche : pourquoi il faut dépassionner le débat
Les cas se multiplient un peu partout en France : des magasins informent leurs clients, avec regret, qu'ils seront désormais contraints de fermer le dimanche. Les rappels à l'ordre émanant des services préfectoraux pleuvent. Pour les enseignes, la facture est lourde, pouvant aller jusqu'à 30% de chiffre d'affaires perdu et des centaines d’emplois détruits. Pendant ce temps, le commerce en ligne se frotte les mains.
Les acteurs en jeu
Les premiers acteurs sont les commerçants eux-mêmes qui tentent, tant bien que mal, de maintenir le lien de service de proximité avec leur clientèle. Les enseignes franchisées, petits commerces de quartier et autres échoppes locales veulent en majorité ouvrir le dimanche. Portée par les revendications des salariés de la petite et moyenne distribution, certains n’acceptent pas les rigidités actuelles. Le maire PS de Strasbourg entend ainsi interroger la pertinence d’une réglementation figée dans la loi au début du XXème siècle. « Je souhaite faire évoluer la situation sur les commerces de Strasbourg », explique Roland Ries. Car, comme ne manque pas de le remarquer ironiquement le journal L’Alsace, « Capitale européenne oblige, s’acheter une baguette ou une boîte de petits pois doit être possible, même le dimanche ».
Face à une situation dont il semble continuer à ignorer les enjeux, le gouvernement hésite à remettre à plat un dispositif kafkaïen qui autorise par exemple l’ouverture dominicale des enseignes de jardinerie ou d’ameublement mais la refuse aux magasins de bricolage. Plus ubuesque encore, les commerces alimentaires de quartier sont priés de baisser le rideau à 13h le dimanche, tandis que leur modèle économique repose précisément sur la proximité, l’amplitude horaire et les achats d’appoint ; ce qui induit, naturellement, qu’ils soient ouverts quand les gens sont disponibles. N’évoquons même pas l’existence des fameux périmètres PUCE qui explique, de manière parfaitement irrationnelle, pourquoi certaines rues de Paris sont commerçantes le dimanche, tandis que d’autres sont inertes faute d’autorisation.
Alors que 63% des Français et 78% des Franciliens sont favorables à l’ouverture des commerces le dimanche, selon un récent sondage Ifop, Benoît Hamon, ministre de la Consommation, déclarait sur Europe 1 en novembre 2012, pour justifier son opposition à l'ouverture dominicale : « Ce n'est pas parce que les magasins ouvrent 3h de plus que les Français ont plus d'argent dans leur porte-monnaie... Quelle est cette fable selon laquelle plus les magasins sont ouverts longtemps, plus les gens ont d'argent ? ». Mauvaise foi ou ignorance d’un fait économique évident ? Il est difficile de trancher. L’achat dominical est par nature différent de celui de l’achat en semaine. Contrairement à l'achat en semaine, qui reste principalement fonctionnel, le dimanche se démarque par l'achat-plaisir. Le ticket de supermarché moyen est de 12 euros en semaine, et 18 le week-end. C’est aussi un achat qui puise davantage dans l’épargne (et il existe dans ce domaine des marges de manœuvre considérables compte-tenu du taux d’épargne record qu’affiche la France). Et rien ne dit que le consommateur qui aurait acheté un produit X ou Y le week-end renouvellera son acte d’achat la semaine…quand il sera supposé être sur son lieu de travail. Les propos du ministre donnent donc une indication sur le brouillard conceptuel dans lequel navigue un gouvernement déconnecté des réalités de la vie quotidienne. Si les magasins restent ouverts plus longtemps, c’est une évidence de dire qu’ils créeront plus d'activité, verseront plus salaires et de charges et doperont in fine ainsi la croissance. Si les commerces gagnent plus d'argent en accroissant leur amplitude horaire, ils paient mécaniquement plus d'impôts et encaissent plus de TVA. L’activité génère de la croissance : c’est une mécanique économique simple à comprendre mais qui semble malheureusement échapper à certains.
La part du lion pour l'e-commerce
Les acteurs du e-commerce, eux, n’ont alors plus qu'à moissonner. Lorsque le client se rend au magasin, quand il dispose du temps nécessaire pour le faire, et qu’il se retrouve devant un rideau fermé, que fait-il ? Remet-il son achat au lendemain ? Peut-être. Sauf que la plupart du temps, le lendemain, il est au travail. Il rentre donc chez lui et allume son ordinateur pour faire ses achats en ligne. Ce n’est pas en soi un problème, certes, à ceci près que le commerce en ligne embauche moins que le commerce physique et qu’une partie importante des acteurs du secteur sont étrangers. Amazon Europe basé au Luxembourg ou Ebay Allemagne, la plus importante branche européenne du géant de l’e-commerce, captent des clients qui auraient pu effectuer leurs achats en ville. Les plus grandes enseignes de la distribution tentent de contourner l’interdiction par le biais par exemple des drives qui permettent à l’internaute de saisir la commande en ligne qu’il passera prendre le lendemain en voiture après sa journée de travail. C’est une compensation pour le client mais une menace pour la collectivité car avec ce système, la création d’emplois est minime, voire nulle.
Une entrave à la compétitivité
La CGT s'est félicitée, le 24 septembre 2012, d'avoir obtenu gain de cause au tribunal de grande instance de Caen qui a fermé de force une supérette locale. Les salariés, eux, se sont étonnés de ne pas même avoir été consultés et n’ont pu que constater que le syndicat était à l’origine de la baisse de leurs revenus. Une aberration sociale en quelque sorte. Il est urgent que les syndicats reprennent contact avec ceux dont ils sont censés défendre les droits. Pourtant efficaces quand ils protègent les employés de décisions injustes, ils perdent de vue -sur le sujet du travail dominical notamment- qu’une majorité des employés qu’ils représentent ne partagent pas leur posture idéologique (60 à 70% sont en faveur du travail dominical - Sondage Ifop 2009). Plutôt que de s’opposer mécaniquement aux aspirations des salariés, ils doivent apprendre à les accompagner pour les aider à tirer les meilleures contreparties possibles.
L’enjeu aujourd’hui auquel salariés et clients sont confrontés est simple : ils doivent faire entendre leurs voix en commun. Toute l’absurdité de la situation revient à confronter des arguments provenant des confédérations, des syndicats, des partis, du gouvernement… bref, de tout le monde, sauf des premiers concernés. En théorie, et compte tenu de la situation économique, la question devrait être tranchée rapidement. Mais dans la pratique, le débat -ou plutôt l’absence de débat- reste aux mains des élites syndicales et politiques. N’espérons pas qu’il faille attendre un taux de chômage à 15% pour que les choses changent enfin.
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