Ouverture des commerces le dimanche : l’alliance de la faucille et du goupillon ?
On a entendu toutes sorte d’arguments contre l’ouverture des commerces le dimanche. Mais sous couvert de protection des employés, cette opposition vise bien souvent à protéger des intérêts bien établis...
Dans le debat sur l’ouverture des commerces le dimanche, on nous parle souvent de crise de civilisation et de catacysme sociétal. Les critiques viennent aussi bien de la gauche, que de la droite, pour des raisons différentes. Qu’en est-il en réalite ?
Avant d’exprimer une opinion, revenons un instant à la réalite de la proposition :
- Il s’agit d’autoriser certains commerces, dans certaines zones, à ouvrir le dimanche. Il y a donc des limites. On peut quand même supposer qu’il ne s’agit que d’un premier pas et que les limites pourraient être élargies dans le futur.
- Il ne s’agit pas d’autoriser le travail le dimanche, car c’est déjà fait : les conditions salariales sont différentes, mais un employeur peut faire travailler ses employés le dimanche, généralement avec un salaire double, et moyennant un autre jour de repos dans la semaine. Beaucoup travaillent déjà le dimanche : services publics vitaux (police, hôpitaux), mais aussi usines travaillant en 3x8.
Qu’est-ce que qui changerait ? Exposons les conséquences probables du projet de loi, qui ont souvent été presentées de façon déformée par les politiques.
1) Des contraintes pour certains employés, qui devront travailler le dimanche. Cependant, elles sont compensées par un salaire plus élevé. A chacun de décider s’il veut travailler dans ces conditions ou non
2) Plus de liberté pour faire ses courses : beaucoup de personnes qui travaillent du lundi au vendredi pourraient faire leurs courses le dimanche, au lieu d’etre contraintes de les faire le samedi. Cela signifie aussi 2 fois moins de cohue le samedi...
3) Un peu plus de consommation et d’emploi : à richesse égale, les menages consommeront un peu plus avec 7 jours ouvrés qu’avec 6. C’est vrai en particulier pour tous les produits dits d’impulsion, tels que vêtements, mode, livres, etc. dont la consommation est expansible. Ce n’est pas le cas pour les produits non expansibles, notamment alimentaires car on ne mangera pas davantage.
4) Un peu plus d’empois et de salaire : l’effet sur l’emploi est lié uniquement à l’augmentation des ventes, car à vente egale l’emploi sera identique. En effet, la caissière qui travaille le dimanche remplacera une caissiere retirée de la semaine. En revanche, il y a un effet d’augmentation du salaire moyen, dans la mesure où le salaire horaire est augmenté le dimanche.
Au total, tout cela ne semble pas très choquant. Une personne au chômage sera contente de travailler y compris le dimanche, pour obtenir un revenu. La vision d’une perte du dimanche consacré au loisir est fausse : tout d’abord parce que de nombreuses personnes travaillent déjà le dimanche. Ensuite, parce que le jour de travail est compensé par un autre jour de repos.
Pourquoi l’ouverture des commerces rencontre-t-elle une telle opposition ?
L’opposition a ce projet vient aussi bien de la droite que de la gauche. Cependant, les raisons sont très differentes pour la droite et la gauche. Listons-les rapidement.
A gauche, on invoque :
- Le respect du temps de loisir et de la vie de famille, qui serait altérée si l’un des parents travaille le dimanche. La critique est valide, cependant c’est deja le cas pour les 3 millions de personnes qui travaillent actuellement le dimache.
- Le fait qu’il sera difficile pour un employé de refuser de travailler le dimanche. C’est certainement vrai. Cependant, qui s’en offusque lorsqu’un hôpital recrute une infirmiere ?
- Le fait que le salaire ne sera pas plus élevé le dimanche que les jours de la semaine : c’est certainement vrai, car les employeurs essaieront de reduire l’avantage salarial du dimanche lors des négociations entre les partenaires sociaux. Il faut donc que la loi garantisse strictement cet avantage.
A droite, les arguments sont plus subtils, et répondent en réalité à des intérêts catégoriels :
- La défense du petit commerce : on affirme généralement que les petits commerces auront plus de difficultés à ouvrir le dimanche. C’est vrai, mais la contrepartie est que des emplois seront créés. La réalite est que les petits commercants sont la clientèle électorale de la droite. Donc les députes cherchent a les defendre, même si cela est au détriment de l’intérêt plus général des consommateurs.
- L’exclusion des commerces alimentaires : sans que des explications n’aient été avancées en dehors de l’argument de la défense du petit commerce, les commerces alimentaires ont été exclus du dispositifs. Pourquoi ? Tout simplement parce que la consommation alimentaire n’augmentera pas, mais les coûts, eux, oui : comme on l’a vu plus haut, on ne mangera pas davantage, mais les coûts salariaux seront plus élevés. Du coup, les grandes surfaces alimentaires ont fait du lobbying pour ne pas entrer dans ce dispositif. Au bénéfice de leurs profits et de leur actionnaires, mais au détriment des salaires et des consommateurs !
- L’argument cache de la religion : pour de nombreux parlementaires de la droite conservatrice, la vraie raison de s’opposer a l’ouverture des magasins le dimanche est l’influence de l’Eglise catholique, qui souhaite garder ce temps pour permettre aux gens d’aller a la messe. Oui mais... quid des juifs, dont le jour de repos est le samedi ? Des musulmans, qui sont 7 millions en France et dont le jour de repos est le vendredi ? Pourquoi personne ne les prend en considération ? Tout simplement parce que l’Eglise catholique est le partenaire naturel des pouvoir publics, et a une influence importante sur le vote, en particulier dans les campagnes. Mais cela, personne ne voudra l’avancer ouvertement !
Alors, que tirer de tout cela ?
Tout simplement que, sous couvert de protéger les employés, on protège en réalite les (petits) patrons, la religion catholique et les profits des grande surfaces alimentaires. Et cela au détriment des consommateurs qui auront moins de temps pour faire leurs courses, et des petits empoyés, dont on sait que vu leur niveau de salaire ils préfèrent généralement un peu plus d’argent et un peu moins de temps.
Et voilà comment un peu de désinformation permet, sous couvert de défense des employés, de protéger les intérêts bien compris des petits commerces, des grandes surfaces et des religions établies.
Alors, une proposition : ouvrons tous les magasins le dimanche pour 2 ans. Et revoyons la loi dans 2 ans, ou lors du prochain changement de majorité. Gageons que peu de deputés seront prêts à risquer les foudres de leurs électeurs consommateurs et employés en revenant sur l’ouverture du dimanche !
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