Pauline Dubuisson, le vrai personnage du film « la vérité »
Peu de gens savent de quel faits-divers est inspiré le film « la vérité » d’Henri-Georges CLOUZOT. Si le réalisateur a respecté la trame, il a malheureusement occulté l’essentiel du personnage, le sort terrible qu’elle connue à la libération, à 18 ans..
Le 28 octobre 1953, à la prison La petite roquette, la religieuse fait sa ronde et regarde par le judas la cellule de Pauline DUBUISSON, la meurtrière d’un étudiant en médecine, Félix BAILLY. La détenue a l’air de dormir mais elle s’est ouvert les veines du poignet alors qu’elle est jugée aux assises. Elle a rédigé une lettre pour le Président et une pour son avocat.
Extrait de sa lettre lue à l’audience du lendemain :
" Que M. et Mme BAILLY me pardonnent s’ils le peuvent, qu’ils aient pitié de maman. Pardon pour tout le mal que j’ai fait. Vous pouvez dire aussi que je regrette infiniment d’avoir tué Félix et aussi que je ne veux pas me soumettre à une justice manquant à ce point de dignité. Je ne refuse pas d’être jugée, mais je refuse de me donner en spectacle à cette foule qui me rappelle très exactement les foules de la révolution. Il m’aurait fallu le huis-clos. Je suis ravie de jouer ce tour à ceux qui s’occupent de mettre le décor en place."
Pour l’avocat général LINDON, la tentative de suicide de l’accusé n’est qu’un simulacre. Pour le Président de la Cour d’Assises, ce n’est qu’un exemple du caractère de l’accusé : orgueilleuse, comédienne et exclusive. L’avocat de Pauline s’insurge évidemment.
Cette scène vous rappelle évidemment la scène finale du film "la vérité" d’Henri-Georges CLOUZOT, avec Brigitte BARDOT dans le rôle titre. Sauf que Pauline DUBUISSON est vivante lorsque le film sort sur les écrans 7 ans plus tard, en 1960, et que son existence a peu à voir avec la Dominique MARCEAU du film. Henri-Georges CLOUZOT a cependant parfaitement restitué l’atmosphère du procès, irrespirable pour l’accusée.
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A l’époque en effet, on en est encore à juger les femmes criminelles de leurs amants comme de pauvres êtres irresponsables. La professeur HEUYER fait alors un lien direct entre les hormones et le crime. Les femmes tuent au gré des cycles menstruels qui causent des perturbations caractérielles et ne sont jamais que de pauvres victimes des hommes. Sauf que Pauline ne joue pas à la victime lors de son procès et défie les vieux magistrats. Un caractère affirmé comme une circonstance aggravante, qui lui vaudra une condamnation très sévère.
Née en 1927 dans une famille bourgeoise, douée pour les études, mais dévergondée pour l’époque, on l’avait aperçue avec un marin allemand dans un square à 14 ans, Pauline DUBUISSON s’engage à 17 ans, en 1944, à l’hôpital allemand de DUNKERQUE pour faire médecine une fois la guerre terminée. Jeune, on la dit opiniâtre et orgueilleuse. Elle aggrave son cas en devenant la maîtresse du médecin-chef de l’établissement, le colonel VON DOMINIK, trois fois plus âgé qu’elle. A la libération, Pauline DUBUISSON fait partie des femmes torturées. Elle est arrachée à sa famille lorsqu’un jour des commandos arrivent sirène hurlante devant son domicile. Elle est alors conduite en place publique sous les insultes et les crachats, tondue, déshabillée, et couverte de croix gammées. Elle subit ensuite un viol collectif au QG des épurateurs avant de comparaître au cours d’un simulacre de procès devant un tribunal du peuple qui la condamne au peloton d’exécution. Son père, Abdré DUBUISSON, gradé colonel, parvient à la libérer de justesse, mais les deux doivent quitter Dunkerque sous peine qu’on vienne reprendre Pauline. Elle part à St Omer et tente de se suicider le soir-même. Ce passé terrible aura évidemment des conséquences sur son caractère particulier, à la fois fort, hautain, mais aussi très pessimiste.
C’est sans doute parce qu’en 1960, lorsqu’il tourne le film, l’heure est à la réconciliation que Clouzot occulte totalement cette histoire de son héroïne. Peut-être aussi a-t-il peur de raviver la polémique au sujet de ses tournages pour la CONTINENTALE qui lui ont valu 3 ans de purgatoire à la libération. Longtemps, Pauline sera poursuivie par ce passé, les cheveux mettant du temps à repousser. On lui refuse un stage à l’hôpital de DUNKERQUE au cours de ses études de médecine à cause de son comportement pendant la guerre. Par ailleurs, son père a lui aussi une étiquette de collabo car il a été forcé de collaborer avec ses allemands avec son entreprise de travaux publics.
Pauline DUBUISSON part à LYON étudier et passer son P.C.B. (certificat de physique-chimie-biologie, diplôme préalable à l’entrée en médecine) puis revient à LILLE faire médecine. Elle a de nombreux amants et note dans son journal intime toutes ses aventures. Elle rencontre à la fac Félix BAILLY, étudiant en 3ème année, et devient sa maîtresse. Il lui propose en vain le mariage qu’elle refuse. Il lui propose encore lorsque l’un de ses rivaux vient le supplier de lui laisser Pauline, car celle-ci n’est pas fidèle. Félix pense ainsi l’assagir. Lassé, il signifie à la rentrée de 1949 à Pauline que tout est fini entre eux. C’est alors que Pauline DUBUISSON dit qu’elle s’est aperçue de son erreur, qu’elle aurait dû accepter la demande en mariage. En outre, elle avait échoué à ses examens, quand Félix les avait brillamment réussis. Félix part étudier à PARIS, Pauline s’étourdit en entretenant une liaison à distance avec un ingénieur rencontré en Autriche.
Au mois d’octobre 1950, Pauline apprend que Félix s’est fiancé. Elle s’aperçoit qu’elle est amoureuse de lui et part à PARIS pour le voir. C’est alors que les versions divergent. Pauline affirme avoir passé la nuit avec lui, et qu’au matin, celui-ci lui a dit n’avoir couché avec elle que par vengeance des humiliations passées. A l’audience, les parties civiles diront que Félix était incapable d’une telle muflerie.
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Pauline DUBUISSON obtient alors un permis de détention d’arme et achète un 6,35. Elle part à PARIS et laisse un testament. La voyant partir et ayant aperçu le pistolet, sa logeuse entre dans la chambre de la jeune femme et trouve un testament. Elle télégraphie un mot d’avertissement à Félix BAILLY, ainsi qu’aux parents de Félix. Félix est prévenu, il dort à l’hôtel ou chez des amis pendant que Pauline le guette. Mais elle finit par le surprendre et tire sur Félix par trois fois, alors qu’il tente de lui arracher son arme. Elle tente de retourner l’arme contre elle mais elle s’enraye. Elle ouvre alors le gaz mais est secourue à temps. Le père de Pauline ne se rate pas, on le retrouve suicidé au gaz, le jour où il apprend ce qu’a fait sa fille.
En prison, Pauline, à la personnalité si décriée au dehors, est unanimement appréciée des détenues et des religieuses. Elle se lie d’amitié avec Sylviane, qu’elle surnomme sapho en raison de ses préférences pour les femmes. Pauline tient la bibliothèque et donne des cours. Elle sera tout du long de sa détention une détenue modèle.
Le procès d’assises met aux prises deux version, la bourgeoise dissolue, orgueilleuse et offensée, et la jeune femme égarée par le chagrin. Les viols qu’elle a subi à la libération ne sont pas évoqués au procès. Seul son père était au courant et Pauline n’en parle pas. La peine de mort est requise à son encontre alors que les crimes passionnels attirent normalement plus de clémence. Après la suspension d’un mois, le temps que Pauline DUBUISSON récupère de sa tentative de suicide, elle est condamnée en une demi-heure à la réclusion perpétuelle.
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