Pédophilie et médias : Un mariage à conséquences [Part. 1/3]
Lorsque les affaires de pédophile font les gros titres de nos journaux, ce n’est pas en tant que sujet de société qui pousse à la réflexion, mais en tant que fait-divers qui met en exergue les passions. Ainsi on oublie vite les bouc-émissaires sacrifiés sur l’autel de la vindicte populaire et l’influence de ces propos sur l’opinion publique, les professionnels concernés, et les pédophiles eux-mêmes...
Vous avez sans doute déjà entendu parler de ces « prédateurs sexuels » qui – non contents de hanter les parcs et aires de jeux de nos enfants – profitent aujourd’hui des nouvelles technologies pour étancher leur soif inextinguible de vice. Régulièrement ils font les unes de nos journaux et restent depuis plusieurs années l’un des eldorados de l’audimat. Pourtant il n’en a pas toujours été ainsi.
Partie 1 : Une histoire de la pédophilie
On pourrait revenir aux sociétés helléniques ou athéniennes des âges préclassique et classique, comme aiment à le faire les défenseurs de la pédophilie. En effet, chez les premiers la pédophilie était organisée au niveau social en tant que rituel de passage pour les jeunes garçons. Chez les seconds elle était non seulement tolérée mais aussi considérée comme le modèle idéal de la relation amoureuse et pédagogique (cf. « Le Banquet » de Platon).
On pourrait aussi, de façon moins extrême, s’intéresser a un communiqué publié par Le Monde en 1977. [1] Dans ce communiqué, les auteurs – notamment Louis Aragon, Simone de Beauvoir, Jack Lang, Jean-Paul Sartre, Bernard Kouchner et soixante autres personnes – dénoncent « une contradiction » de la loi française qui allait faire condamner trois adultes pour des faits commis sur des mineurs de 15 ans. Qui, aujourd’hui, oserait prendre leur défense sur la place publique ? Certainement pas des personnalités de cette envergure en tout cas...
Car à l’heure actuelle le sujet est tabou. Et il faut donc redoubler de prudence avant d’évoquer ce genre de fait en public ; comme l’atteste l’article publié par Le Monde le vendredi 24 Mars 2000 [2]. Dans celui-ci le journaliste Jean-Michel Dumas à la place de son habituelle accroche, commence par démentir toute tentative de défense des pédophiles et rappelle son soutien aux associations de lutte pour la protection de l’enfance.
Que s’est il passé pour que l’on observe en l’an 2000 une telle prudence lorsqu’un journaliste aborde ce sujet ? Et qui est ce pédophile qui aujourd’hui nous fait si peur ? Le pervers pédophile – pervers car le névrosé lui, se refuse au passage a l’acte – est une personne qui cherche en l’enfant ce que le psychanalyste Serge André [3] appelle le « troisième sexe ». Une sexualité non-encore « pervertie » par la vision adulte de la chose, une sexualité « naturelle » dans laquelle le désir et la jouissance ne sont pas séparés. A la manière de Peter Pan il reste lui-même « un eternel enfant imaginaire » et cherche a travers le contact avec les enfants à retourner dans le « paradis duquel il a été injustement chassé ».
D’où viennent donc ces termes de « prédateurs sexuels », de « monstres » et cette répulsion unanime envers le pédophile ? L’affaire Dutroux [4] n’y est pas étrangère. Dutroux qui a enlevé, séquestré, torturé, violé et assassiné 7 enfants et adolescents dans les années 90 a engendré un soulèvement international de l’opinion publique. On se rappelle de la Marche blanche [4] qui a rassemblé plus de six-cent mille personnes dans les rues de Bruxelles. Et alors que Dutroux était plus proche du pervers sadique que du pervers pédophile, les médias notamment, ont forgé l’amalgame : « pédophile/belge/assassin ». Que viennent faire les belges entre un pédophile et un assassin ? Et bien rien. Rien de plus qu’un tueur en série aux cotés d’un pédophile. Car il y a des milliers de pédophiles dans le monde et seule une infime partie d’entre eux a déjà commis un meurtre. Le meurtre n’est que l’une des possibles conséquences du viol, mais aussi par exemple du vol. Comme pour Charles Sobhraj [5] petit voleur devenu tueur en série. Qui – alors qu’il était un pervers notoire – à aucun moment ne s’est livré à la pédophilie ou même au viol... Nous ne parleront donc pas ici des Dutroux et autres Fourniret, pervers sadique avant tout, violeurs ensuite.
Hélas ce genre d’amalgame est du pain béni pour les médias et la presse l’a bien compris. Elle n’hésite pas depuis l’affaire Dutroux à profiter du voyeurisme inhérent aux contingences de l’audimat, en mélangeant les genres et en utilisant des termes forts pour se créer une audience. Ainsi France 2, dans son émission Les infiltrés, titre son reportage sur les pédophiles : « Les prédateurs sexuels » [6]. Et ça marche ! Pour preuve lorsque l’on effectue une recherche de vidéo sur Google en tapant « Les infiltrés » la première vidéo présentée est justement leur émission sur les pédophiles. Or, nous savons tous que le système du moteur de recherche Google consiste à faire remonter en premier les vidéos les plus vues. L’émission de France 2 arrive même devant la bande-annonce des Infiltrés de Martin Scorcese...
Cette appellation d’origine non-contrôlée – prédateur sexuel – est donc constamment réutilisée dans la presse, comme au Midi Libre par exemple, lors d’une affaire de pédophilie à Agde daté du 21 Juillet 2010. Le journal sur son site internet, a dans un premier temps titré l’article « le grand-père aurait violé 6 enfants » [7] avant de l’éditer pour titrer « 5 enfants victimes de prédateurs sexuels », corrigeant du même coup une malencontreuse erreur... Ce sont par conséquent les « prédateurs sexuels » qui feront la Une du journal le lendemain. Une source au Midi Libre a d’ailleurs confirmé que « l’article a bien marché » comparé aux autres papiers de la journée. Tellement bien que ; alors que cette dépêche mineure n’a eu aucun écho dans la presse nationale[8] Le Télégramme – journal local breton dont Agde n’est pas le centre d’intérêt premier – s’est empressé moins d’une heure après, de l’ajouter au menu de leur mets divers [9]. Il faut croire qu’un plat aussi croustillant – quelle que soit sa région d’origine – s’adapte bien a la cuisine locale...
Ainsi suite a l’affaire inqualifiable qu’est celle de Dutroux la presse a associé dans la pensée collective : pédophile, violeur et tueur. S’assurant via les instincts voyeuristes de leur audience, un fort audimat dans toutes les affaires de pédophilie. Mais créant du même coup une psychose suffisamment forte pour que l’affaire Outreau [10] en devienne l´horrible révélateur.
[1] Communiqué publié par Le Monde du 26 Janvier 1977. Les 65 signataires y dénoncent « une contradiction » de la loi française qui maintient en détention préventive 3 adultes accusés d’avoir eu et documentés des relation sexuelles avec des mineurs de 15 ans.
[2] Article de Jean-Michel Dumas publié par Le Monde du Vendredi 24 Mars 2000 dans lequel le journaliste sacrifie l’accroche aux faveurs d’un démenti rappelant son soutien aux associations de lutte de protection de l’enfance.
[3] Psychanalyste belge né en 1948, décédé en 2003 et qui a suivi plusieurs pédophiles en séance. Il a notamment fait une conférence a Lausanne intitulé la signification de la pédophilie dans la quelle il se sert de son expérience avec des sujets pédophiles pour tenter une définition de la pédophilie.
[4] Dans cette affaire Dutroux est condamné pour enlèvement, séquestration, viol et meurtre sur plusieurs enfants et jeunes adolescents. Suite a la révélation de l’affaire « la marche blanche » a rassemblé 600 000 personnes dénonçant l’impuissance de la Justice face a ce genre de personnage.
[5] Charles Sobhraj est un tueur en série Français. Il est surnommé le serpent en références aux drogues qu’il utilisait sur ses victimes et a ses multiples évasions de prison. Il aurait tué plus de 20 personnes. Son appel suite à sa condamnation pour meurtre vient d’ailleurs d’être rejeté par la justice népalaise(au 30 juillet 2010).
[6] L’émission Les Infiltrés de France 2 dont l’axe est le journalisme d’immersion, a centré l’un de leurs numéros sur ceux qu’ils nomment les « prédateurs sexuels ». Ce numéro la apparait par ailleurs en premier sur Google vidéo lorsque on recherche : Les Infiltrés.
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