Pédophilie et médias : Un mariage à conséquences [Part. 2/3]
Lorsque les affaires de pédophile font les gros titres de nos journaux, ce n’est pas en tant que sujet de société qui pousse à la réflexion, mais en tant que fait-divers qui met en exergue les passions. Ainsi on oublie vite les bouc-émissaires sacrifiés sur l’autel de la vindicte populaire et l’influence de ces propos sur l’opinion publique, les professionnels concernés, et les pédophiles eux-mêmes...
Partie 2 : L’horreur de l’acte rend nécessaire la désignation d’un coupable
Dans ce genre d’affaire le premier coupable – le pédophile – ne suffit souvent pas et ce pour plusieurs raisons. Premièrement il est jugé irresponsable pour ne pas dire « incurable ». Le taux de récidive étant souvent invoqué, comme le font les journalistes de l’émission Les infiltrés, lorsque, ayant établi un lien de confiance avec un pédophile canadien, ils arrivent à lui arracher les mots qui concluront leur entretien. Après avoir passé 10 ans en prison il continue aujourd’hui ses agissements, prenant simplement garde à ne plus conserver à son domicile les preuves de ses forfaits... En réalité le taux de récidive des pédophiles n’est que de 13,4% d’après une étude canadienne du docteur Karl Hanson [11], sensiblement identique donc au taux de récidive de la petite délinquance. Ensuite, l’acte est tellement horrible que le seul pédophile comme coupable ne suffit tout simplement pas.
On reporte alors la culpabilité sur les structures qui ont permis, ou plutôt n’ont pas empêché le pédophile d’accomplir sa besogne. Directeur du centre de vacances, de l’école ou de l’internat qui n’a pas su déceler lors de l’embauche de son salarié ses évidentes pulsions pédophiles. A l’image du cardinal Godfried Daneels accusé d’avoir fermé les yeux sur des actes de pédophilie commis dans l’un de ses diocèses. Apres 10 heures d’auditions par la PJ il n’a finalement pas été inculpé mais la police « n’exclue pas une nouvelle audition ». Suivant la même logique certaines personnes n’ont d’ailleurs pas hésité a directement accuser le pape de couvrir ce genre de pratiques...
Mais le meilleur bouc-émissaire à l’heure actuelle reste internet. Dans le cas par exemple, où la rencontre entre l’enfant et le pédophile a été effectuée sur un chat en ligne ; on reporte directement la faute sur les modérateurs du chat. Les modérateurs ont leur part de responsabilité dans ce qui se passe sur leur chat, oui. Mais en aucun cas ce sont eux les pédophiles. Et d’ailleurs, s’ils se mêlaient de nos conversations intimes nous les accuserions d’atteinte à notre vie privée !
Pourtant internet semble demeurer le parfait coupable et les tentatives pour le contrôler ne sont pas rares. A l’image du centre britannique pour la sécurité sur internet et contre l’exploitation des enfants qui a obtenu de Facebook la création d’un bouton « d’alerte pédophile ». C’est bien la première fois que le réseau social accepte de revenir sur leur vision du site...
Quelle belle époque nous vivons ! Une époque ou les conservateurs, les majors audiovisuels et les associations de lutte pour l’enfance se trouvent des intérêts communs. Une époque où lorsqu’un lobby comme CMBA[12] « conseille » a l’union européenne de « maintenir [...] les conditions nécessaires pour le respect [...] des copyright », lorsqu’un parlementaire présente ces mesures comme visant à lutter contre la pédophilie[13], que des association de protection de l’enfance applaudissent des deux mains [14] et que l’esprit collectif a été préparé à la chasse aux sorcières ; les législations les plus liberticides deviennent évidentes.
La « déclaration écrite nº29 » [15] proposée en avril par le conservateur Tiziano Motti [13] fait figure d’exemple. Elle demande au nom de la lutte contre la pédopornographie d’étendre l’obligation de conservation des données utilisateur aux moteurs de recherche et non plus aux seuls fournisseurs d’accès. Ajoutant ainsi à la liste des donnés habituelles (heure et date de connexion, source...) les données relatives au moteur de recherche.
Mais ce n’est pas la seule manifestation de ce phénomène. La LOPSI propose elle aussi un certain nombre de mesures pour lutter contre les « trafiquants, [...] pédophiles et [...] terroristes ». Mesures qui viennent compléter la HADOPI en y incluant entre autres, l’autorisation pour les services de police d’utiliser des "mouchards électroniques"... Sans personne pour encadrer leur utilisation, me direz-vous ? Mais non voyons... Soyez rassurés. Tout ceci sera à la charge du juge d’instruction, fonction qui –soit dit en passant– doit être supprimée dans le cadre de la réforme de la procédure pénale du gouvernement Fillon...
Cependant lorsque Michèle Alliot-Marie déclare que « [Son] ambition est [...] de ne jamais laisser le dernier mot aux trafiquants, aux pédophiles et aux terroristes », la France laisse faire. Car elle aime entendre tous ces grands mots, dictés par un gouvernement qui a bien rarement le dernier. Et ce même si, en matière de cyber criminalité, ces mesures ne vont rien changer.
En effet, les tenants de la pédopornographie fournissent déjà à leurs clients des outils leur permettant de passer « au travers de tous les filtres, la censure, et la surveillance mise en place par le gouvernement » selon le témoignage d’un informaticien ayant travaillé au service de ces barons. Dans ce document publié par Wikileaks, [16] l’informaticien déclare même que « les [pédopornographes] russes ont construit depuis 5 ans des solutions complètes en prévision d’une arrivée massive du filtrage et afin de pérenniser leurs affaires ».
On peut alors légitimement se demander qui ces lois vont toucher ? Sans doute les "amateurs" de la pédopornographie qui « ne représente qu’une très petite partie du business, mais permettent néanmoins aux autorités de réaliser de nombreuses saisies. » Et pendant que « ce sont eux qui font les gros titres des journaux » le citoyen qui n’est ni un trafiquant, ni un pédophile, ni un terroriste supporte le poids de ces nouvelles législations. Nos gouvernements entassant les lois les unes sur les autres pour tenter de combler leur retard. La charge va vite devenir difficile à tenir.
Lucas Dévé.
[11] Facteurs de risque de récidive sexuelle : caractéristiques des délinquants et réponse au traitement du Docteur Karl Hanson. Cette étude a été commande par le gouvernement canadien et réalisée sur un échantillon de 23 393 individus. Parmi lesquels 191 agresseurs d’enfants dont les taux de récidive sont sensiblement identique aux deux autres groupes qui composait l’échantillon. D’après l’étude le taux de récidive sexuelle était de 13,4% sur 5 ans.
[12] Le Creative and Media Business Alliance (CMBA) est un lobby inscrit au parlement européen qui rassemble les major du disque et du cinéma, les grandes chaines télé et des éditeurs comme Lagardère. Ils ont notamment soumis aux parlementaires européens le « CMBA priorites for the european digital agenda ».
[13] L’un des deux parlementaire ayant proposé « la déclaration écrite nº29 » est Tizziano Motti, un chrétien démocrate italien.
[14] Certaines associations n’hésitent pas à soutenir des projets de lois tels que la LOPSI a l’image de l’association e-enfance, qui a d’ailleurs été déclaré « d’utilité publique » par le ministère de l’intérieur :
[15] « La déclaration écrite nº29 » est un texte demandant l’extension de la conservation des données utilisateur des FAI jusqu’au Moteurs de recherches. Pour plus d’information sur le texte un article d’Owni.fr est disponible.
[16] Témoignage anonyme d’un informaticien ayant travaillé pour l’industrie pédopornographique publié par Wikileaks, traduit et commenté par Fabrice Epelboin.
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