Petite enfance, toujours une affaire de femmes
NDLR de LPLM : une bonne synthèse sur la pérennisation de l’exclusivité maternelle et ses causes, nombreuses. Il manque cependant, pour la bonne compréhension de l’ensemble des facteurs influents, le traitement institutionnel des séparations qui renforce les disparités... ah les séparations éternel tabou !
Éclairage économique
tribune
Philippe Frémeaux, directeur d’Alternatives Économiques, a la lourde tâche d’introduire le sujet en apportant un éclairage économique et social. Il s’en acquitte avec élégance. Narquois, il met la salle dans sa poche, maniant le verbe et les chiffres avec une grande habileté. Il expose en premier lieu le contexte actuel : les enjeux économiques et sociaux de la petite enfance sont toujours liées aux questions relatives à l’emploi des femmes et aux inégalités hommes/femmes dans la « gestion quotidienne » des soins aux jeunes enfants. Ainsi, on apprend qu’après une naissance, les pères réduisent de 20 fois moins que les femmes leur activité ; que la pauvreté infantile est fortement induite par le fait que la mère occupe ou non un emploi. Alors qu’aujourd’hui l’activité féminine est devenue une norme (80 % des femmes occupent un emploi en 2008, alors qu’elle n’étaient que 45 % en 1968), le taux d’activité féminin est inférieur de 14 points à celui des hommes, l’un des facteurs faisant baisser ce taux d’activité est le fait d’avoir des enfants en bas âge. Le taux d’activité des femmes est d’ailleurs depuis longtemps utilisé comme variable d’ajustement des politiques relatives à l’emploi. Des dispositifs, tels l’Allocation Parentale d’Education (APE) ont pour conséquences de retirer du marché du travail les femmes les moins qualifiées, puisque pour elles il devient plus intéressant d’arrêter de travailler. En les écartant de ce marché, on s’épargne du reste la prise en charge du financement des frais de garde de leurs enfants. Un double problème est ainsi résolu : faire baisser les chiffres du chômage et les besoins en places d’accueils de jeunes enfants. A moyen et long terme ces femmes auront des difficultés à retrouver un travail et seront exclues de parcours professionnels où elles auront la possibilité d’évoluer positivement dans leur carrière. Finalement, les femmes demeurent sous-employées (employées en deçà de leurs qualifications réelles) parce que leurs employeurs hésitent à leur confier des responsabilités par craintes d’absences répétées dues à leur potentielle maternité. Comme elles sont sous-employées , elles peuvent se désintéresser des fonctions qu’on veut bien leur assigner et d’elles-mêmes retournent leur intérêt vers leurs enfants et et le bien-être de ceux-ci. D’où plus de temps partiel, en partie choisis (ceux des enseignantes de la fonction publique par exemple), mais en grande majorité subis. Ce sont un million de femmes qui aimeraient pouvoir travailler plus .... Se pose de façon cruciale aujourd’hui la question de l’accès des femmes à un emploi correctement rémunéré : alors qu’elles ont une meilleure réussite scolaire, on constate en effet toujours un sous-emploi de l’activité des femmes. 50 % des femmes qui s’arrêtent de travailler à la naissance de leur enfant le font parce que continuer à avoir une activité leur était tout simplement impossible...2/3 des enfants de moins de 3 ans sont alors gardés à titre principal par leurs parents, pardon, leur mère. La nécessité de développer un droit effectif à la garde du jeune enfant est criante.
Quel cadre pour la mise en oeuvre d’un service public de la petite enfance opérationnel ?
Les 0-3 ans dépendent d’une responsabilité communale, il faut se donner les moyens de mettre un terme à ce qui est désincitatif à l’activité des femmes, repenser la gestion des temps sociaux. En faisant référence aux propositions de Dominique Méda, Ph. Frémeaux élimine d’emblée les arguments traditionnels (les couples préfèreraient se cantonner dans ces rôles sexués ; ils protégeraient ainsi les femmes d’une double journée de travail) et pense que l’enjeu est de faire en sorte que hommes et femmes se partagent plus équitablement l’ensemble des tâches liées à l’éducation. Il note qu’aujourd’hui en France la situation est assez favorable, du fait du dynamisme persistant de la natalité (qui contribue à résoudre en partie le problème des retraites). Le taux de fécondité assure le renouvellement générationnel, il est l’un des plus élevé d’Europe. Selon lui, la société française considère qu’une femme qui travaille puisse être une bonne mère ....et que celle-ci s’en accommode plus ou moins bien ! A long terme l’intérêt du pays est que des enfants continuent de naitre : il faut donc optimiser la dépense publique de façon à répondre aux besoins de garde. La situation comporte toutefois des difficultés, alors qu’on pourrait réfléchir à offrir aux parents -pères et mères- des temps de congés destinés à s’occuper de leur progéniture (pas trop longs dans le temps de manière à ne pas créer une rupture irréversible avec le monde du travail) sur une période plus longue que la « petite enfance », selon leurs besoins. En effet, l’heure est au travailler plus pour consommer plus. L’obsession de l’allongement du temps de travail remet en cause le modèle antérieur d’une société revendiquant plus de temps libre, et donc plus de temps éducatifs partagés...
Éclairage historique
Anne-Marie Chartier, historienne de l’Education (INRP) revient sur cette spécificité française : la revendication du fait que l’Education c’est « notre » domaine, un point c’est tout . Emilie Mallet, « inventrice » des salles d’asile dira : « Jusqu’à 7 ans l’enfant nous appartient ». Eloquent !
Durant le Second Empire, en 1855, de nouveaux programmes, très ambitieux (et très courts...) voient le jour. Ils préconisent d’enseigner plus tôt que jusqu’alors les « bases » pour mieux savoir lire, écrire, compter, mais également d’enseigner de nouveaux savoirs relatifs à la géographie, aux choses (sciences), à la France, au vocabulaire.... Ces programmes considèrent que les salles d’asile sont concernées par ces programmes en temps que premier lieu d’apprentissages. On fait donc des salles d’asiles de vraies écoles. Rentabiliser comme temps scolaire le temps passé en salles d’asiles intéresse vivement les industriels qui promeuvent ces nouveaux programmes : autant pouvoir exploiter un enfant de 8 ans instruit, qu’un enfant de 8 ans ignare, on rentabilisera plus le premier... Les « Dames patronnesses » qui gèrent les salles d’asiles s’opposent vivement à ces nouveaux programmes, les jugeant (à juste titre, on le mesure aujourd’hui) inapplicables et inappropriés pour de jeunes enfants. Pour asseoir leur opposition et trouver une voix pouvant porter leur contestation, elles font appel à l’Impératrice Eugénie, première femme de France, devenue mère en 1856, avec ce nouveau rôle celle-ci acquiert la compétence qui lui permet de critiquer ces nouveaux programmes. Ces femmes savent de par leur expérience que ce que proposent ces nouveaux programmes est irréalisable : on ne gagne pas de temps en apprenant à 4 ans ce qui était jusque là appris à 6 ans.
La petite enfance, une histoire de femmes, quelles femmes ? Quelles tâches leur sont assignées ? Quels sont les modèles en jeu ?A ces questions, Anne-Marie Chartier répond en rappelant que le premier lieu de prise en charge, au 17ème siècle, mêlait femmes du peuple et femmes du monde. Les filles du peuple s’occupent des soins aux enfants, les femmes du monde organisent et récoltent les fonds nécessaires à l’ouverture des salles d’asiles. Petit à petit s’établit une division du travail entre tâches spirituelles et corporelles. Maria Montessori bousculera bien plus tard cette division en inventant la « leçon de mouchoir », elle montre par ce biais que l’école maternelle « civilise » les jeunes enfants, en leur faisant acquérir ce qui n’était autre qu’habitudes bourgeoises (se moucher) elle leur permet de réunir les conditions propices aux apprentissages. Il y a d’ailleurs toujours en permanence des allers-retours, une distance ou une proximité sociale plus ou moins grande entre les modes de fonctionnements des lieux d’accueils et les familles. Le partage des rôles masculin et féminin dans la petite enfance : C’est dans les familles les plus diplomées que le discours sur le partage des tâches est le plus généralisé, qu’il est un lieu commun, cependant c’est là qu’il se pratique le moins ! C’est dans la classe ouvrière et les milieux populaires, de par leurs rythmes de travail, que les pères sont les plus à mêmes de s’investir dans les tâches relatives au soin des enfants (les conduire à l’école, prendre le gouter avec eux et les aider à faire leurs devoirs par exemple). Les lieux où se pratique le plus la co-éducation sont les lieux où elle ne se dit pas.
L’impasse actuelle : d’une part les femmes ont conquis des postes de responsabilité, mais les hommes n’ont pas conquis de postes dans le domaine des soins aux jeunes enfants. D’autre part le fantasme pédophile renforce l’interdit de capacité de confier ces charges de soins à des hommes. Les modèles anthropologiques évoluent mais parfois de manière contradictoire, et il est difficile de cerner en quoi les personnels de la petite enfance peuvent entretenir ou faire perdurer un état de fait.
Par Lucie Gillet
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