Peur bleue
Célébration démoniaque ...
Jadis, il était alors question d'un changement de cycle, de l'entrée dans la saison sombre. Les anciens profitaient de cette période pour honorer ceux qui étaient partis pour l'autre monde en laissant leur porte ouverte cette nuit-là en ayant la délicatesse de leur laisser des pommes sur la table de la cuisine. Ainsi les hôtes de l'Île d'Avalon pouvaient se rendre compte qu'en cette maison, on ne les avait pas oubliés.
Puis la fête, curieusement a pris des allures morbides. On peut supposer que cela semblait naturel pour qui cessait de penser que ce fut là un simple passage, une étape vers des jours bien meilleurs pour tous. L'idée de l'enfer avait fait son chemin pour maintenir les braves gens dans le droit chemin, celui d'une obéissance aveugle et docile.
L'enfer donc et son corollaire suprême, la damnation éternelle, avaient de quoi vous donner des sueurs froides dans le dos. Pour ajouter à la frayeur d'une perspective diabolique, on convoqua alors le cortège immense des êtres maléfiques, prompts à fondre sur vous à la première incartade. Succubes, sorcières, loups-garous, démons, trolls et autres personnages terrifiants firent cortège à l'Ankou, la Camarde et le Charron.
On pouvait trembler dans les chaumières pourvu que ce fut en mettant en action la pire des damnations : le consumérisme libéral. Halloween entrait dans la danse, véritable sabbat démoniaque qui impose de se lancer dans une folle sarabande d'achats. Se grimer en monstres, se goinfrer, racketter les voisins et apprendre aux gamins à faire la quête.
Les adultes se mirent alors dans la danse pour dépenser sans compter dans une nuit de l'effroi économique avec la complicité des médias qui font la une sur cette célébration fictive dénuée de toute référence ésotérique. C'est bien la nuit qui célèbre les noces consanguines entre l'argent et la fin des temps.
Pour montrer à quel point la nature doit se plier à la course folle de l'humanité vers la prochaine apocalypse, on sacrifie les citrouilles sur l'autel de la stupidité de l'heure tandis que l'industrie agro-alimentaire met en branle les plus abjects de ses produits pour gaver les enfants de saloperies. Nous sommes bien loin des pommes d'antan tandis qu'il convient d'accélérer les nuisances de la malbouffe généralisée.
Ne pas se plier à ce nouveau rituel de l'asservissement au dictat d'un conditionnement planétaire, c'est sortir du cadre, se mettre à la marge d'une société de la distraction codifiée, de l'euphorie factice et de la célébration sans objet. Il faut participer à ces messes noires sataniques ou bien sortir du tumulte d'une société qui court à sa perte.
Il y a là réunis tous les éléments qui permettraient d'avoir une peur bleue pour des lendemains qui déchantent. Hélas, combien sommes-nous désormais à vouloir donner du sens à nos comportements, à réfléchir sur cette agitation permanente qui pousse à chaque occasion à jeter l'argent par les fenêtres et l'espoir par-dessus bord.
Au risque de passer pour un vieux ronchon, un oiseau de mauvais augure, je joue les Cassandre sans espoir d'être compris et encore moins entendu. Jetez-vous à corps perdu dans cette comédie absurde d'une célébration totalement fictive et dépourvue de toute référence sérieuse, donnez-vous pieds et poings liés à ces dictats qui viennent du grand Satan étasunien.
C'est votre fuite en avant qui est effrayante, votre stupidité affligeante qui a de quoi horrifier ceux qui ont encore une once de raison pour se comporter de manière digne. Ce ne sont pas vos masques et vos dépouilles morbides qui sèment notre effroi mais bien l'abolition totale et semble-t-il définitive de votre jugement et de votre libre arbitre.
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