Peut-on encore vivre ensemble dans les rues de Paris ?
Faciliter, pacifier, fluidifier la coexistence dans la ville d’individus et de populations avec des rythmes différents, des préoccupations différentes, des stress différents, des cultures différentes... Le code de la rue a l’ambition de contribuer à la réalisation de ces objectifs.

J’ai participé au dernier conseil de quartier Rochechouart-Trudaine dans le 9e arrondissement de Paris et Lise Thély Muller de l’association "Action Barbès" a présenté un projet de travail pour la création d’un "Code de la rue". La présentation a été convaincante et le projet m’a paru particulièrement intéressant à plusieurs égards.
La première raison pour laquelle j’adhère à ce projet c’est qu’il va contribuer
à améliorer la façon de vivre ensemble au quotidien et cela me paraît une
mission importante pour un conseil de quartier. Au passage, je pense que dans
les conseils de quartier on passe trop de temps sur des points de détail qui
pourraient être réglés plus efficacement par des contacts directs entre
citoyens et élus, ce qui dans notre mairie (courriel aidant) est possible et efficace. Je comprends que des
personnes se sentant isolées sentent le besoin d’une tribune pour se faire
entendre et reconnaître, mais cela se produirait plus positivement par la
participation active à des projets collectifs.
Le projet "Code de la rue" m’intéresse également car il aborde par le
biais de la rue un problème plus général auquel nous sommes confrontés : la
coexistence d’individus et de populations avec des rythmes différents, des
préoccupations différentes, des stress différents, des cultures différentes...
L’acceptation de cette diversité s’appelle tolérance et elle est une des bases
de la société en démocratie. Cette tolérance passe, il me semble, d’abord par la considération de l’autre
comme une personne et non comme "faisant partie d’une catégorie"
éventuellement ennemie : en d’autres termes, la tolérance passe par le refus de
la logique "Eux et Nous".
Si un motocycliste descend la rue des Martyrs en sens interdit sur le trottoir,
je ne dirai pas "les motards envahissent les trottoirs", mais
"cette personne est en train de faire une infraction au Code de la route
et elle met en danger...". Si une mobylette tunée remonte la rue de Rochechouart en m’empêchant de
continuer ma conversation avec mon voisin, je ne dis pas "les jeunes n’ont
plus de respect pour rien", mais "cette personne..." Si un
chauffeur de bus envoie une gerbe d’eau sale sur le trottoir, je ne pense pas
"les chauffeurs de bus n’ont plus aucune considération pour les
piétons", mais "ce chauffeur...".
Nous pourrions énumérer des dizaines d’exemples qui polluent notre pensée et
amoindrissent notre capacité de vie ensemble : les commerçants qui envahissent
le trottoir, les automobilistes qui ne donnent pas la priorité aux piétons, les
piétons qui traversent en dehors des clous, les livreurs qui s’arrêtent en
double file, les cyclistes qui roulent côte à côte en bloquant la chaussée, les
vieux qui mettent une éternité à traverser la rue, les lycéens qui couvrent le
trottoir de chewing-gum...
Sortir de la logique des catégories et des étiquettes, se libérer de la logique
"Eux et Nous" nous permet de quantifier le problème, de sortir de
l’impression angoissante d’être confrontés à des problèmes insolubles.
Cela nous permettrait éventuellement de comprendre les raisons de certains
comportements (comprendre ne signifie pas accepter, mais se donner les moyens
d’intervenir efficacement). En fait, il s’agit d’un vaste travail de
communication pour faire évoluer les mentalités de ceux qui gênent et de ceux
qui sont gênés : ce serait bien de ne pas oublier que la même personne peut être
gênée et à son tour gêner dans des situations différentes.
Je me souviens d’avoir klaxonné violemment en catastrophe un cycliste qui
venait de faire un écart et que j’ai failli heurter : il enlevait sa veste en
même temps qu’il doublait un bus à l’arrêt. Il m’a crié "il faut apprendre
à accepter les vélos" sans se rendre compte que je venais de lui éviter un
accident.
Qui dit travail de communication pour faire évoluer les mentalités, dit
automatiquement travail de longue haleine, utilisant des leviers et des
supports variés.
Je vois des analogies dans le travail fait par
la mairie sur la propreté : en associant le rappel des amendes, en suggérant
que salir est "ringard", en faisant appel au sens civique, en
martelant le message par des campagnes successives et évolutives, elle a obtenu
des avancées observables.
Dans ce travail de communication, c’est bien de tenir compte d’un autre élément
: les avancées ne sont jamais définitives, du moins sur le court et moyen
terme. Je me souviens d’un chauffeur de taxi turinois qui dirigeait une petite
entreprise de sous-traitance pour Fiat dans la colline piémontaise. Il m’a dit
tout simplement sans l’ombre d’un ressentiment : "la mauvaise qualité se
fait toute seule : si je veux obtenir de la bonne qualité, c’est un travail de
tous les jours". Pour lui, ce n’était pas un reproche, mais une simple constatation.
Si nous nous engageons dans ce projet, le travail fait au niveau de notre quartier peut devenir une espèce de laboratoire et fournir du matériel à des campagnes plus vastes gérées par la ville.
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