Poitiers : les écolos décident de l’histoire
Il y a quelques semaines Madame la Maire annonçait que désormais « les enfants ne doivent plus rêver d’aérien », aujourd’hui la municipalité écologiste de Poitiers s’en prend à l’histoire de notre pays et de la ville de Poitiers.
Lundi 5 juin le conseil municipal de Poitiers a proposé de changer la dénomination « jardin des droits de l’homme » en « jardin des droits humains ». Ce jardin qui relie la Maison du tourisme à la médiathèque de Poitiers avait été dénommé jardin des droits de l’homme par le conseil municipal en novembre 1998 dans le cadre de la commémoration de la déclaration universelle des droits de l’homme. Cette dénomination s’inscrit donc dans une double histoire : celle propre de la déclaration universelle des droits de l’homme, et celle de la ville de Poitiers. L’actuelle municipalité élue il y a un an, un peu par hasard et beaucoup grâce à l’abstention, s’appuie sur une recommandation du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes qui préconise de remplacer la dénomination « droits de l’homme » par « droits humains » dans une démarche qui se veut antidiscriminatoire.
L’actuelle municipalité de Poitiers en prenant comme argument majeur et structurant de sa démarche l’avis du conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes fait l’impasse sur le fait que le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes n’est qu’une instance consultative et ne fait qu’émettre des avis. Un avis n’a rien d’impératif. Il était bon au regard de cet avis et du désir de la municipalité de changer la dénomination de ce jardin de consulter la population, cette consultation eut été d’autant apprécié que la municipalité écologiste de Poitiers insiste beaucoup sur sa volonté d’installer une démocratie participative. Alors une consultation aurait été la bienvenue d’autant qu’elle était facile à mettre en place puisque la mairie dans le cadre de la communauté de communes dispose d’une plateforme de consultation fonctionne bien et qu’elle a consulté la population de Poitiers à propos de l’installation d’une voie cyclable sur une grande artère de la ville. À propos de cette consultation un journaliste d’un hebdomadaire local : « 7 info » (n°528 du 6 juillet), faisait remarquer à Madame la Maire que le résultat de cette consultation ayant été mitigé la municipalité a persisté dans son choix. Madame la Maire rappelle alors qu’une consultation n’est pas un référendum et que son résultat n’a pas force de décision. Dans cette interview concernant cette voie cyclable Madame la Maire conclue : « il y a eu une part de consultation et une part de décision politique. » Dans le cas du changement de dénomination du « jardin des droits de l’homme » il n’y a eu qu’un diktat politique. Sur cette question la municipalité de Poitiers considère que l’affaire est faite et qu’il n’y a pas de débat à avoir.
La concertation aurait été d’autant plus salutaire que sur le fond du passage de droits de l’homme à droits humains il y a besoin aujourd’hui d’un débat de fond au regard de l’évolution de la société et de ses valeurs autant qu’il est nécessaire de s’interroger sur savoir si d’utiliser « droit humains » à la place de « droits de l’homme » va réellement faire avancer la cause de l’égalité entre les femmes et les hommes ? Il est vrai que le débat ne date pas d’aujourd’hui puisque déjà Olympe de Gouges dans sa « déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » adressée à Marie Antoinette écrivait : « Homme, es-tu capable d’être justes ? C’est une femme qui est en fait la question ; tu ne lui ôteras pas du moins ce droit. Dis-moi ? Qui t’a donné le souverain empire d’opprimer mon sexe ? Ta force ? Tes talents ? Observe le créateur dans sa sagesse ; parcourt la nature dans toute sa grandeur, dont tu sembles vouloir te rapprocher, et donne-moi, si tu l’oses, l’exemple de cet empire tyrannique. » […] « Ô femme ! femme, quand cesserez-vous d’être aveugle ? Quels sont les avantages que vous avez recueillis dans la révolution ? » Dans ses écrits Olympe de Gouges ne fusionne pas droits de l’homme et droits humains. Elle aurait pu le faire d’autant que ses écrits embrassent un champ social vaste dont la lutte contre l’esclavage, ce qui la mettrait plutôt au panthéon des défenseurs de l’humanité. Mais l’histoire s’est écrite autrement. La question de l’égalité entre les femmes et les hommes est donc une question ancienne qui a évolué au rythme des vicissitudes de l’histoire et de ses vicissitudes propres. Pour autant, une fois encore, il est exceptionnel, sauf depuis une époque récente, qu’il soit demandé l’effacement de la dénomination droits de l’homme pour la remplacer par droits humains. C’est donc cette histoire qu’il faut questionner aujourd’hui comme fondatrice de toute action, car nier cette histoire, vouloir la rayer d’un trait d’arrêté municipal ne peut qu’entraîner des clivages déjà si nombreux dans la société. Prendre une décision comme l’a fait le conseil municipal de Poitiers de façon péremptoire, abrupte et sans concertation c’est prendre le risque de clivages sociaux, de repliements communautaires et partisans. C’est aussi nier l’identité d’une partie de la population.
Une société procède de son histoire. Ici cette histoire est d’abord celle qu’on vient de retracer rapidement au sein d’une humanité en mouvement, notamment en France où il y eut les Lumières et la Révolution. Ainsi, en 1789, fut promulguée, en France et seulement en France, une Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Au sortir de la 2nde guerre mondiale sous l’égide des Nations Unies naissantes il apparut nécessaire d’étendre cette déclaration à l’ensemble du monde, C’est ainsi que naquit en 1948 la « déclaration universelle des droits de l’homme ». C’est cette déclaration que commémorèrent les habitants de Poitiers en 1998. Cette commémoration s’inscrivait dans cette histoire ancienne issue de la Révolution et dans l’histoire plus récente de la 2nde guerre mondiale et de ces atrocités : on commémorait ensemble l’avènement des droits de l’homme et la fin de la 2nde guerre mondiale, dans un désir profond de restituer l’humanité dans l’homme et l’homme dans l’humanité. Est-ce pour autant que les femmes, si nombreuses dans la résistance, étaient exclues de la pensée des élus de 1998 ? L’étaient-elles de la pensée des gouvernants en 1948 ?
Rayer ces deux moments de l’histoire d’un trait de plume c’est renier à une partie de la population le droit à son histoire, c’est imposer le diktat d’un groupuscule idéologisé qui abuse de ses fonctions électives pour contraindre et soumettre une partie de sa population. Or, comme l’écrivait Angela Davis dans « Blues et féminisme noir » : « Le pouvoir esclavagiste a tout fait pour éteindre la mémoire collective du peuple noir, afin de le maintenir dans une infériorité sociale. […] « Le pouvoir de l’esclavage reposait sur un déni de toutes les qualités humaines des esclaves. » […] « Le peuple noir avait une incroyable et terrible histoire à raconter, mais la répression et la censure lui interdisaient de l’exprimer explicitement. » Nos aïeux, nos mères et nos pères, ont vécu cette histoire, elle est la leur mais elle est aussi la nôtre car nous sommes, individuellement et collectivement, dépositaires de cette mémoire. L’Histoire, quelle qu’elle soit, est la colonne vertébrale d’une société avec ses imperfections : scoliose et cyphose. Mais, sans elle, que devient une société ? Que nos enfants veuillent la gommer montre leur ignorance ou le rejet de cette histoire et de la société qui l’héberge, de l’histoire de l’humanité au risque d’être « sans histoire ».
Peut-être les élus du groupe majoritaire de la municipalité de Poitiers sortiront de leur idéologie de bobos-nunuches et se rendront compte que ce n’est pas le changement de nom sur une plaque de rue, ni trois fleurs dans une rue qui font l’écologie et la démocratie participative. Peut-être prendront-ils conscience qu’on ne change pas la société par des oukases, sans soumettre les questions sociétales à la concertation. La concertation est indispensable à la conduite du changement. Et, qu’à n’avoir pas d’histoire ou à renier son histoire il advient ce qu’écrivait Rachid Benzine (romancier marocain) : « Faute d’histoire, on raconte des histoires et ça finit par faire des histoires. »
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