Police de proximité
Il est 20h40, à la terrasse de l’Usine, métro Avron, quand Olympe se rend
compte subitement que son sac à main n’est plus lové à ses pieds comme un vieux
chien malade.
Je suis assez sûre de l’heure, parce que c’est exactement ce moment que ma
fille a choisi pour me réclamer par téléphone mon bisou distant et maternel de
bonne nuit, devoir incontournable que je m’efforce d’accomplir dans le brouhaha
de la rue, sous un brumatiseur qui ne cesse d’embuer mes lunettes comme un lama
colérique et tuberculeux.

Bref, pendant que la blogosphère politique écluse de la Grimbergen tout en parlant fort des intrigues de pouvoir des pipeule assoiffés de pouvoir des gros groupes politiques français, ce qui m’a tout de même plongée dans un profond ennui, Olympe s’est fait barboter son extension à bandoulière, c’est à dire une bonne partie de sa vie de femme, avec son Blackberry, son agenda, ses papiers, ses clés de bagnole, celles de sa maison, des trucs du boulot, des clés USB, un tas d’euros en liquides qui m’auraient bien fait la quinzaine et tout un tas de petites choses insignifiantes et sans valeur qui lui manqueront bien plus que tout le reste.
Se faire piquer son sac est toujours une affaire traumatisante, une agression en soi, quand bien même le tour de prestidigitation se serait fait sans violence aucune. Cette sensation de se retrouver subitement à poil, dépouillé, fragile, n’est pas sans rappeler ce vieux cauchemar de l’enfance où l’on rêve que l’on est dans la cour de récré, nu comme un ver, pendant que tout le reste de l’école nous regarde et se moque de nous. Au fur et à mesure que les secondes passent et que l’on se rend compte que nos petites affaires ont probablement disparu à tout jamais, on panique en dressant mentalement en boucle la liste effarante de tout ce que l’on a perdu. Le sac des femmes est un foutoir immonde dans lequel se concentre parfois toute une vie et un univers d’habitudes et de petits gestes. À la douleur amère de la perte irrémédiable se mêlent rapidement des fulgurances de désespoirs quand on tente d’envisager les actions à venir : comment se déplacer sans fric, sans papiers, comment rentrer chez soi, bloquer la carte bancaire, téléphoner à la maison, et Machine qui va attendre à la gare, merde, c’était qui le RDV de 10 h lundi matin, je vais prendre une douille parce que je ne vais pas pouvoir nourrir l’horodateur qui veille jalousement sur ma bagnole, d’ailleurs, elle va sûrement partir à la fourrière, comment je rentre à la maison, moi, maintenant, merde !?!
Olympe a l’air d’une femme solide qui en a vu d’autre, mais c’est tout de même la première fois qu’elle se fait voler son sac. Elle interroge le reste de la terrasse, hasarde des coups d’œil aux alentours, au cas où, appelle chez elle avec son GSM privé (ben oui y a des gens qui ont deux téléphones portables dans la vie...) qu’elle avait fort opportunément laissé sur la table, à portée de main. Prévenir la maison, faire opposition sur ses titres de paiement, aller porter plainte et tenter d’obtenir une bagnole de secours de son assureur pour rentrer ensuite dans sa province. Les autres se sont cotisés pour qu’elle ait un peu de liquide sur elle pour rentrer, comme je suis fauchée, je me propose de l’accompagner au commissariat du quartier.
Sur la carte, ça n’a pas l’air d’être une grande expédition, l’affaire de 10 min, tout au plus. Je me dis qu’un peu de compagnie et de conversation ne pourra pas lui faire de mal et de toute manière, la politique spectacle n’étant pas du tout mon sujet de conversation favori, je serais bien plus utile en support moral qu’en convive sobre et muette.
Police nulle part
Il est donc presque 21 h lorsque nous nous engageons d’un bon pas rue d’Avron en vue d’un simple dépôt de plainte, laquelle rue nous apparaît rapidement bien plus longue que ce que la carte laissait penser. Nous nous enfonçons dans le XXe arrondissement pendant que le soir tombe sur Paris sans réellement apporter la moindre fraîcheur à la capitale engluée depuis plusieurs jours dans une chaleur moite et parfois étouffante.Au bout de dix bonnes minutes de marche vive, nous errons le long de la rue des Orteaux sans que rien de vaguement bleu-blanc-rouge n’accroche notre regard. C’est un peu stressant à force et j’aborde directement deux vieux Arabes qui papotaient tranquillement sur le trottoir. Ils nous répondent fort aimablement que non, le commissariat n’est plus là depuis 2 ou 3 mois et qu’il a été déménagé de l’autre côté du pâté d’immeuble, sur notre gauche. Nous voilà reparties à l’aventure dans le quartier sans rien trouver qui ressemble de près ou de loin à un commissariat. Le temps passe et il ne se passe rien. Sur une place assez vaste, une petite foule hétéroclite prend le frais en papotant, marchant, squattant, footant, selon les âges et les envies. J’avise un banc où des Noirs d’âge mûr m’informent que l’annexe aussi a été déplacée, que peut-être, rue des Orteaux... ha ben, non... mais où peut bien être le commissariat maintenant ? Olympe vient d’alpaguer deux voitures de patrouille qui maraudent dans le quartier comme un couple de requin à la recherche d’un banc de friture. Les bagnoles sont remplies de jeunes flics qui roulent des regards ronds comme un tirage du loto le samedi soir et qui nous assurent qu’on est des nouilles et que le commissariat des Orteaux est bien ouvert. Bien sûr, ils ne font pas taxi.
De retour rue des Orteaux, nous trouvons finalement une petite porte bien discrète où d’une enseigne à l’ancienne nous informe que nous sommes rendues à un Poste de Police... désaffecté. Une petite feuille A4 nous invite à nous rendre à la mairie du 20e.
Ce n’est pas très loin, il suffit de remonter la rue des Pyrénées, lance Olympe qui semble avoir repris du poil de la bête. Et nous reprenons notre errance, randonnant dans les Pyrénées dont je préfère incontestablement la version originale. Il est 22 h quand nous arrivons finalement à la mairie du 20e, et comme nous nous y attendions déjà avec un beau fatalisme, il n’y a pas la plus petite trace archéologique prouvant qu’il n’y ait jamais eu un seul uniforme dans le coin. On finit par dénicher une petite porte anonyme dans le flanc du bâtiment qui nous annonce que le commissariat central du 20e vient d’être transféré rue des Gatines. Putain de merde !!! Est-ce que j’ai une tête à savoir où est la foutue rue des Gatines ou à avoir envie de m’enquiller un foutu jeu de piste, un soir, dans le 20e arrondissement de Paris ? Le plan était pourtant simple : on porte plainte vite fait bien fait et on retourne à Avron pour fouiller les poubelles et les halls d’immeubles à la recherche de tout ce que les voleurs auraient pu dédaigner. Au lieu de ça, j’ai les pieds qui me signalent, avec de plus en plus d’insistance, que je ne suis pas équipée de chaussures adaptées à la marche forcée et les tempes qui pulsent douloureusement au rythme de ma migraine. À une terrasse de café, les avis divergent quant à la position exacte du nouveau commissariat central du 20e et mon calme commence à se fissurer comme mes ampoules aux pieds. Finalement, c’est le garçon de café qui tranche :
gauche et gauche, et c’est bon !
22 h 10 : nous atteignons enfin l’aquarium ardoise et verre du commissariat central du 20e qui se la pète autant qu’un commissariat de série américaine. Une dernière volée de marches et nous voilà, enfin, accoudées au comptoir des doléances.
Je ne peux pas prendre votre plainte.
Heu, pardon ?!?
Ça fait plus d’une heure qu’on vous cherche, j’ai une déclaration à faire aux assurances, je dois porter plainte.
Je comprends, madame, mais je suis tout seul ici et je ne peux donc prendre votre plainte.
Mais, mais...
J’ai des collègues qui arrivent dans 45 minutes.
Là, juste à ce moment, tu te dis qu’heureusement que Marcel Bélivaux est mort, parce que sinon, t’aurais la quasi-certitude que ça fait une heure qu’une équipe de crétins-vidéos sont en train de te monter le plus gros plan foireux de surprise sur prise. Entre fatigue, douleur et énervement, tout de même assez légitimes, tu sens tes neurones crépiter avec l’intensité d’un paquet de popcorns oublié en plein désert du Mojave. J’ignorais juste que la quatrième dimension s’ouvre désormais au cœur du 20e arrondissement.
Olympe s’énerve et franchement, elle a raison. Le petit jeune qu’on a collé au guichet le plus inutile de la République fait front avec calme et circonspection. Il est terriblement fort en désamorçage d’exaspération humaine, il devrait faire une belle carrière au déminage. Un gamin avec une petite gueule d’ange, tout seul pour tenir ce qui a tout l’air d’être le dernier ancrage de la Police nationale dans l’un des quartiers les plus populaires de Paris. Bienvenue au cœur de la SarkoFrance, on dirait !
Nous avons d’autres priorités, nos effectifs sont dehors.
Comment on fait, nous, maintenant ?
Le mieux, c’est de retourner d’où vous venez et de fouiller les poubelles et les halls d’immeuble alentour. Les voleurs n’ont pris que l’argent et ont jeté le reste juste à côté.
Et pour ma plainte ?
Nous sommes ouverts toute la nuit, repassez plus tard.
Il fait maintenant nuit place Gambetta et nous ne sommes pas plus avancées qu’avant. Les bus se font plus que rares, horaires d’été obligent. Olympe pense redescendre à pied, je me propose de choper un taxi au vol.
Bah, sorti des têtes de station, y a aucune chance de se faire ramasser dans Paris.
Je tends le bras comme dans les films de cinéma et hop, une berline se matérialise devant nous. Je dépose Olympe à Avron et poursuis plein sud, vers mon hôtel. Le chauffeur ne cherche même pas à allonger la sauce, il est aimable et plaisant et comble du lot de consolation, il n’est même pas raciste.
Paris, la ville où tout arrive.
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