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Politique : Comprendre la politique du chiffre (I)

 Il ne s'agit pas dans cet article de commenter tel ou tel fait divers, ou de s'engager dans des batailles de statistiques ultra-technicistes qui feraient perdre du vue le fond de la question, d'autant qu'un panorama problématique se doit d'être le plus concis possible. Question qui touche à la fois à l'emploi de la force publique, destinée par notre constitution à être au service des citoyens et non de ceux qui la dirigent, et à l'information nécessaire et légitime du citoyen qui découle. Le constat suivant repose essentiellement sur l'expérience de la Police Nationale, l'auteur ayant servi deux décennies dans la Police Judiciaire, et exercé des fonctions syndicales l'amenant à connaître divers services et corps, ainsi qu'à fréquenter aujourd'hui encore ncette institution. Cependant, les rapports avec la Gendarmerie, et la mise sous même tutelle de ces deux institutions permettent d'esquisser quelques parallèles et un bilan global.

Nous aborderons donc dans des articles successifs

-la problématique sécuritaire

- les enjeux et la mise en oeuvre de la "politique du chiffre".

- les outils managériaux internes.

Police et "politique du chiffre" I/ la problématique sécuritaire.

Les notions fluctuantes d'insécurité et de délinquance.

 L'insécurité est, entend-on souvent, une des premières préoccupations des Français. Mais de quelle insécurité et de quelle délinquance parle-t-on ? Comment peut-on l'estimer ? Comment peut-on évaluer la réponse apportée ?

 Ces trois questions demeurent sans réponse précise, puisque n'est un délit que ce qui est défini comme tel par la loi, et plus exactement par le Code Pénal, selon l'adage nullum crimen sine lege. Ainsi, de nouveaux délits apparaissent (pénalisation de la prostitution par exemple), tandis que d'autres disparaissent (délits économiques), ce qui a une incidence sur la comptabilisation. Comment peut-on l'estimer, puisque le "chiffre noir" est énorme, tout n'étant pas porté à la connaissance des services de Police ou de Gendarmerie d'une part, de nombreux délits ne faisant l'objet d'aucune plainte ou dénonciation d'autre part ? Enfin, est-il possible d'apporter une évaluation chiffrée à la réponse, sachant que la tripartition pénale (contraventions, délits, et crimes) laisse un champ très vaste à la catégorie des délits au sens strict (passibles de peines correctionnelles selon le Code Pénal), laissant ainsi se côtoyer des infractions aussi diverses que l'usage de cannabis et les violences aggravées, la falsification de documents et l'abus de biens sociaux, ou encore le vol simple et l'extorsion. Comment peut-on, statistiquement, hiérarchiser le ressenti dans le trouble à l'ordre public, quand une infraction économique ou financière portant sur des millions de préjudice apparaîtra dans une colonne avec 4 ou 5 interpellés, alors qu'une interpellation de plusieurs dizaines de simples fumeurs de cannabis apparaîtra dans la rubrique voisine avec un chiffre surdimensionné ? Comment évaluer statistiquement la suite donnée par la justice, s'il y en a une, et ses conséquences ? De plus, de nombreux délits n'entraînent pas de victimes directes avec plainte à la clef, comme le port d'arme blanche, l'usage de stupéfiants, ni de plaignants, comme les infractions au séjour sur le territoire, le travail avec main d'œuvre clandestine, contrairement à un cambriolage, une agression physique, ou une escroquerie.

 La complexité de tous ces paramètres implique donc des choix hiérarchiques, et au-dessus de la hiérarchie, politiques, comme nous allons le voir.

Un choix idéologique à résonance politique (et politicienne).

 Il s'agit donc, lorsqu'on déclare l'insécurité "cause nationale", de paraître s'y attaquer sans la définir exactement, en se basant sur un "ressenti" de la population, ressenti également fluctuant puisqu'influencé par les sondages, les faits divers, les communiqués officiels. Il faut bien entendu "communiquer" - selon l'abus de langage actuel, car communiquer signifie en principe réciprocité de la parole, et non univocité- afin de faire valoir son action, ce qui passe par une omniprésence dans les médias et une visibilité permanente. 

 Or pour "communiquer", il faut produire de "bons" chiffres, paraissant non pas inventés, mais produits méthodiquement, "scientifiquement", qui cependant, dans le flou sémantique autour de la notion d'"insécurité", ne peuvent résulter que d'un indicateur de l'activité des services. Ils sont donc matérialisés par le nombre d'interpellations et de gardes à vues, ainsi que par un ratio favorable de faits élucidés par rapport aux faits constatés.

 C'est là que se situe principalement la notion de choix, que ce soit dans la manière de comptabiliser ou dans l'orientation de l'organisation et de l'activité des services de Police. Car c'est bien de choix qu'il s'agit, et non de fait s'imposant d'eux-mêmes par une sorte de vérité intangible. Les enjeux de la sécurité et de la "communication" sur celle-ci sont donc bien ceux de la politique, et partant, des intérêts des individus et pouvoirs qui participent de celle-ci.

 Dans un prochain article, nous aborderons cette question des enjeux et des procédés de mise en œuvre de ce qui est désormais communément nommé - non sans éveiller les polémiques, "politique du chiffre", tant au sein de l'institution que par les médias .


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3 réactions à cet article    


  • Jean Eymard-Descons 13 septembre 2011 23:14

    Chaude ambiance sur ce fil !

    Vous n’auriez pas un réseau de potes pour amorcer la discussion ?

    Essayez de mettre « sarkozy » dans le titre, ou « hologramme »...

    Sinon, ce n’est même pas la peine de poster les chapitres suivants.

    Bonne chance,

    PS : j’imagine que vous avez lu les bouquins des sociologues Ch. Mouhanna et L. Muchielli sur ces questions... Dans la négative, je vous les conseille.


    • Mordax 15 septembre 2011 22:50

      Effectivement, fiasco, je ne sais même pas comment l’article s’est retrouvé dans cette catégorie et avec ce titre à moins que je n’aie fait une fausse manipulation. Bien entendu, je connais ces chercheurs, évidemment, ,et j’ai même rencontré plusieurs fois Mucchielli. Dommage, après ce préambule , ce que j’aborde dans la suite n’a pas été souvent traité, faute de gens ayant connu ça de l’Intérieur, et en mesure de parler ? C’est un autre angle à savoir les méthodes de management interne, le verrouillage politique et les dispositions structurelles et statutaires permettant d’obtenir la docilité nécessaire à la « politique du chiffre ». Cela aurait pu ouvrir quelques horizons à des lecteurs, faire comprendre qu’il n’y a strictement rien à attendre d’autre dans un tel système, et qu’aucune mesure techniciste, aussi savante soit-elle, ne peut être la solution
      Tant pis, après tout, la police n’intéresse guère, finalement, dès que l’on sort du fait divers ponctuel, du spectaculaire...


      • cti41 cti41 27 septembre 2011 11:26

        Bonjour. Effectivement cet article ne semble pas recevoir les visistes qu’il mérite. A croire que les gens ne sont pas dérangés d’être abreuvés par des statistiques « bidonnées » qu’on leur sert à longueur de journées. La tricherie a des limites cependant, il arrivera bien un moment (très proche) où il ne sera plus possible de « compresser » les chiffres et de jouer avec les pourcentages.
        En attendant pour faire profiter de cet article à d’autres lecteurs il est mis en ligne dans le magazine mensuel 24 de l’association gendarmes et citoyens.

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