Pour un grand ministère de la Tranquillité publique !
Samedi, j’ai eu la chance de participer, seul magistrat, à une journée organisée par l’Institut de défense pénale de Marseille, sous l’égide de deux avocats remarquables, Alain Molla et Philippe Vouland. Le thème central se rapportait à la vérité et au mensonge. Cette problématique, développée avec talent et intelligence notamment par Me Eric Dupond-Moretti, m’a permis de comprendre que ma vision de l’antagonisme éthique et professionnel entre le barreau et la magistrature méritait largement d’être nuancée. Lors de mon intervention, je me suis senti partagé entre ma conviction d’avant et les incertitudes suscitées par mon écoute. Ce qui m’a semblé stimulant, c’était, d’une part, le ton civilisé et argumenté qui donnait au débat un caractère profond et sans concession, d’autre part, le courage avec lequel on avait accepté de discuter publiquement d’interrogations et de soupçons qui d’habitude ne relevaient que d’échanges privés.
Dans le Journal du dimanche, je lis avec stupéfaction le texte « Horreur sécuritaire, danger totalitaire », de Me Fédida. Avec stupéfaction car je me suis demandé, à parcourir l’article, dans quel pays nous vivions et sous quelle férule. Il faut tout de même avoir un certain aplomb pour qualifier, sur le plan « sécuritaire », les trente dernières années des « Trente honteuses ». Quel contraste avec la complexité d’hier où des avocats, sans doute aussi pétris de sens moral et civique que le rédacteur de l’article, tenaient un autre langage et demeuraient dans une description critique de la réalité, au lieu de tomber dans une caricature qui serait ridicule si d’aucuns ne prétendaient la cautionner !
Enfin, j’ai vu en différé l’émission d’Arlette Chabot où Nicolas Sarkozy (NS) s’est expliqué longuement sur les raisons de sa candidature présidentielle et sur son programme. Bien évidemment, en dépit des reproches qui me sont adressés par quelques-uns sur AgoraVox, je me suis toujours gardé de faire dévier ma perception de NS du judiciaire vers le politique. Mon approbation ou mes réserves judiciaires ne constituent pas un bulletin de vote. J’ai tout de même le droit, en tant que professionnel, d’émettre une opinion sur de futures orientations qui vont concerner à la fois les problèmes de la sécurité et ceux de la Justice. Egalement, d’ailleurs, ceux de l’univers pénitentiaire. Ainsi, il n’y aurait que les syndicats qui auraient le droit de s’en prendre judiciairement à NS ou de l’approuver, tandis que les voix solitaires et parfois dissidentes seraient tenues de se taire. J’ajoute que demain, lorsque Ségolène Royal s’expliquera dans la même émission, je ne manquerai pas, si je l’estime nécessaire, d’avaliser ou non les mesures qu’elle proposera dans le champ de compétence qui est le mien. Sur le fond, je suis d’ailleurs persuadé que ce que je vais suggérer est applicable sous toutes les latitudes présidentielles.
Ces précautions prises pour rassurer les inquiets ou les venimeux, force m’est d’admettre que je me suis trouvé en total accord avec NS, en dépit de quelques erreurs techniques, sur sa conception philosophique et sociale, sur ses projets et ses critiques en matière de sûreté et de justice et, enfin, sur son approche pénitentiaire. J’en suis d’autant moins marri que le dialogue entre le nouveau président de l’Union syndicale des magistrats et le ministre d’Etat a été de très bonne qualité, et que je n’ai pas perçu, de la part du premier, une opposition farouche aux propos de son contradicteur.
Ecoutant NS évoquer la nécessaire transformation législative de la Justice des mineurs à partir de cette évidence que le mineur d’aujourd’hui, entre seize et dix-huit ans, n’a plus rien de comparable avec celui d’il y a un demi-siècle, m’est revenue à l’esprit une idée que j’avais formulée sur mon blog mais dont alors j’avais souligné le caractère probablement utopique. La Justice des mineurs, ainsi actualisée, impliquera une autre condition pénitentiaire, de la même manière que le lien entre une police efficace et contrôlée et une magistrature efficiente et devenue plus responsable imposera une solidarité structurelle au niveau de l’Etat. Il est impossible de continuer à traiter séparément des univers aussi naturellement reliés les uns aux autres et qui devraient constituer un bloc. Qui peut songer une seconde que sans une approche globale, à la fois qualitative et quantitative, de la sécurité, de la justice et de l’enfermement, une politique digne de ce nom pourrait être menée ? La pire des solutions consisterait, comme aujourd’hui, à laisser chaque département ministériel s’occuper de son pré carré sans que quelque chose soit tenté pour en finir avec cette absurde parcellisation sur le plan technique, sociologique et politique.
Tout est possible. Il faut rassembler ce qui est dispersé. Il faut créer une solidarité quand les tempéraments et les structures y répugnent.
Avec du vieux, il faudra faire du neuf.
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