Pour une « Nuit sexuelle »... littéraire
Dans la nuit de jeudi à vendredi, 10 000 livres ont été détruits, arrosés d’huile de vidange, dans la librairie temporaire établie à l’abbaye de Lagrasse à l’occasion des rencontres littéraires organisées cette année (dans la partie laïque de l’édifice) sur le thème de « La Nuit sexuelle » en hommage à Pascal Quignard, Prix Goncourt 2002, dont le prochain ouvrage a donné son titre à l’exposition.
Tous les ingrédients sont là pour mettre en scène un retour de la censure, de l’intolérance de l’église, de l’ordre moral...
La réalité est un peu plus complexe : l’abbaye de Lagrasse a été récemment rachetée en partie par une communauté religieuse catholique "Les Chanoines de la mère de Dieu" (assez inclassables d’ailleurs, entre traditionalistes et charismatiques...), qui a redonné vie au site, 31 jeunes religieux y vivant à l’année.
Cette renaissance religieuse est à l’origine notamment de la "Symphonie pour Lagrasse", oeuvre musicale lumineuse créée en 2006 par une jeune compositrice de moins de 30 ans.
Mais ce rachat n’a pas été du goût du président du Conseil général (PS) et élu du canton, Marcel Rainaud qui voulait que, le Conseil général possédant déjà une partie de l’édifice, l’intégralité de l’abbaye revienne entre les mains du Conseil général.
Le thème des journées littéraires de Lagrasse de cette année - "La Nuit sexuelle" donc - a été longuement commenté de façon assez polémique dans un article du Figaro du 3 août.
On se serait attendu à une ferme condamnation par l’Eglise, ou par la communauté... Rien ! Le point amusant de cet épisode navrant, réside en effet dans leur attitude conciliante et bienveillante en l’espèce.
Le père Emmanuel, responsable de la communauté religieuse à l’abbaye, avait dès le début, et malgré d’assez mauvaises relations avec le Conseil général, tempéré le débat. Il expliquait que les trente religieux, dépendant de l’ordre des chanoines de Saint-Augustin, vivent "dans de bonnes relations, une bonne entente avec les organisateurs" du banquet. D’ailleurs, les années précédentes, plusieurs religieux avaient participé aux rencontres littéraires.
"Le thème est un peu spécial cette année, mais ça ne nous gêne
pas plus que ça", assure le père Emmanuel. Il a précisé toutefois que des
habitants du village critiquent certains des films diffusés, jugés assez
violents. Quant aux religieux, ils ne se sont simplement pas déplacés cette année, et ont laissé les 300 participants des rencontres assister entre autres aux projections de Salo ou les 120 Journées de Sodome, de Pasolini ou de L’Empire des sens d’Oshima...
Ce ton mesuré et tolérant contraste de façon étonnante avec celui des communiqués vengeurs du Conseil général qui parle d’autodafé, et qui montait ce matin même une librairie au centre du village sur le thème de l’obscurantisme et de l’intégrisme religieux ! Toute personne ne connaissant pas la réalité des faits étant ainsi conduite à penser que les occupants religieux du lieu seraient les instigateurs de cette destruction.
Bien évidemment les abrutis capables de brûler ou de détruire des livres doivent être poursuivis et condamnés.
Mais que penser de ceux, qui après avoir orchestré en vain une grossière provocation (franchement, et quelle que soit la qualité du contenu des rencontres, le thème "La Nuit sexuelle" dans une abbaye... il faut vraiment nous prendre pour des truffes pour nous faire croire que ce n’est pas une provocation...), instrumentalisent un fait divers (dont on ne connaît pas encore les auteurs) pour tenter de jeter le discrédit sur ceux qui les gênent ?
Comme dans tous les bons romans policiers, et vu la rapidité, et l’orientation des réactions du Conseil général, on est en droit de se poser la question "à qui profite le crime ?"
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