Pour une peine de mort choisie
Un récent article de C. Wattiez : « Réflexions sur les conditions de vie en prison » a remis sur le tapis d’Agoravox le sujet toujours d’actualité des conditions d’incarcération en France. Ce faisant, il a soulevé, peut-être à son corps défendant, l’obsédante question de la peine de mort remplacée par une perpétuité insoutenable. Au moment où la légitimité démocratique du Traité de Lisbonne se repose après le référendum européen, rappelons-nous qu’en France une majorité continue de soutenir la peine de mort contre l’avis des élites. Que signifie donc la substitution de la rétention perpétuelle à la bonne vieille guillotine ?
Une citation de l’article de C. Wattiez, en référence aux travaux de P. Combessie s’impose :
« Selon P. Combessie, la peine de prison s’explique par les changements économiques et politiques amenés par le contexte de la Révolution, la fin de l’absolutisme royal, et des progrès apportés par les Lumières et leurs philosophies humanistes promouvant l’individu face au groupe social et face à l’Etat : "les souffrances infligées par les châtiments corporels devenaient aussi insupportables que l’absolutisme royal. D’autre part, quand l’industrialisation naissante demandait de plus en plus de main-d’œuvre, ces supplices, en anéantissant la force de travail que représentait l’individu condamné, se révélaient contre-productifs". L’enfermement remplaçait de façon pratique et modulable les pratiques barbares associées à l’Ancien Régime. »
La sociologie simpliste
qu’affectionnent nos oracles depuis la Seconde Guerre mondiale s’étale ici avec
assurance, sans égards pour l’histoire qu’elle soit histoire du droit ou
histoire politique. Le biais pseudo-marxiste de « l’économique explique
tout » nous est servi dans toute sa candeur militante. Mais les faits sont
têtus : réduire une évolution judiciaire aux conséquences de la révolution
industrielle ne constitue pas seulement une faute de goût, c’est une
ânerie : la fonction judiciaire ressort de l’ordre symbolique et non de
l’ordre économique. Si des concordances économiques peuvent être facilement
décelées, elles restent secondaires pour ne pas dire marginales. Il n’est que
de voir les déguisements moyenâgeux des juges dans toutes les parties du monde
pour se rendre compte que le symbolique tient la corde... Si l’industrialisation
naissante avait besoin d’une main-d’œuvre abondante, la peine de mort et les
châtiments corporels auraient disparus
là où la main-d’œuvre faisait le plus défaut : aux colonies (Antilles et
Amérique). Or la peine de mort et les châtiments corporels théâtralisés s’y
sont épanouis avec ostentation. En Europe aussi, le besoin de main-d’œuvre
était grand, mais cela n’a pas empêché la justice d’exécuter les condamnés. Nulle
part la justice n’a molli et les
condamnations les plus sévères ne se sont jamais souciées d’économie : les
bagnes installés dans des territoires lointains comme la Guyane et les travaux
des bagnards ne contribuaient au mieux qu’à améliorer l’ordinaire des gardiens
par le jardinage. La guillotine continuait son œuvre rédemptrice. Il ne vous
aura pas échappé qu’à aucun moment au XIXe siècle un quelconque capitaliste
ne s’est fait l’avocat de l’abolition de la peine de mort ni pour raisons
économiques ni pour tout autre raison. D’ailleurs, il n’est pas difficile de
prouver qu’une détention longue coûte plus cher à la société que la guillotine
et son bourreau. L’argument économique reste mystérieux et fantasmatique. Et,
pour tout dire, il faut attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale et le
début de la société post-industrielle pour voir apparaître un mouvement significatif
en faveur de l’abolition de la peine de mort. Que s’est-il donc passé ?
La révolution bolchevique lointaine, mais encore présente, la bombe atomique et la Shoah sont passés par là ! Pire, la France laïque depuis 1905 se découvre en majorité incroyante, sceptique, agnostique, voire carrément athée quarante ans après. Elle a le choix entre les lendemains qui chantent du PCF ou le vide abyssal de l’existentialisme zazou ! Le calcul individuel change radicalement la donne : si le Paradis n’existe pas, si le père Noël n’est qu’une astuce marketing de Coca-Cola, alors je n’ai qu’une vie que n’importe quel dictateur/juge peut me prendre sans que je ne puisse rien contre ! Si le terminus n’offre d’autre option que de finir en chiures de vers ou en cendres de crématorium, la vie n’a pas de prix, sauvons la vie. A bas la peine de mort pour moi ! Au cas où ! Encore qu’il y en a qui la méritent... faut voir... allume le poste Yvonne, y a du catch : l’Ange Blanc contre le Bourreau de Béthune ! Un mouvement abolitionniste égocentré se dessine loin des théories économiques, sociologiques ou politiques ! Seuls quelques intellos s’y collent au nom des grands principes, mais ils rament d’autant plus mou que la priorité est à l’anti-américanisme et à la libération des femmes. Julius et Ethel Rosenberg ne sont pas des victimes de la peine de mort, mais du maccartisme ! Comble du paradoxe : l’Etat du Vatican qui avait inscrit la peine de mort dans sa Constitution de 1929 l’abolit le 22 février 2001 ! Mais le condamné reste accroché à sa croix et à son fond de commerce pénitentiel. A croire que les symboles dépassent la fiction. Qu’en est-il à ce jour ?
Le maintien de la peine de mort dans des sociétés aussi différentes que les Etats-Unis, la Chine populaire ou le Guatemala ne revêt évidemment pas la même signification historique. Mais il n’est pas à exclure que des traits communs se fassent jour.
Examinons un instant le Guatemala : (http://www.abolition.fr)
« Les parlementaires
guatémaltèques ont adopté le 12 février, par 140 voix contre 3, un texte
présenté par le Parti patriote (PP, opposition de droite) qui prévoit le
rétablissement de la grâce présidentielle, ouvrant dans les faits la voie à de
nouvelles exécutions.
La peine de mort était maintenue au Guatemala, mais un moratoire sur les
exécutions était en vigueur depuis 2002. Le droit de grâce avait par ailleurs
été suspendu en 2000, année de la dernière exécution au pays, ce qui avait
provoqué un vide juridique et empêché l’application de la peine de mort. »
Les béotiens en droit guatémaltèque (moi) apprécieront la liaison éclairante : droit de mort = droit de grâce. L’un ne peut exister sans l’autre. Dans leur apparente perversité juridique, les Guatémaltèques dont la civilisation antique ne se privait pas de sacrifices humains sont conscients que la peine de mort se dévalorise sans perspective de salut. Salut par la grâce divine ou humaine, peu importe, la peine de mort devient criminelle sans offre de sortie par le haut.
La société soviétique et son successeur la Fédération de Russie maintiennent la peine de mort dans des postures diamétralement opposées. Les goulags du paradis des prolétaires se faisaient fort de laisser le soin à Dame Nature d’éliminer par le froid et la faim les « houligans » qu’elle n’avait cure de tuer officiellement. La peine de mort, sentence spirituelle des purges staliniennes, était appliquée avec faste aux symboles décadents contre-révolutionnaires, aux diables génétiquement anti-communistes. Le religieux y avait toute sa place dans une comédie sinistre : on te liquide, ordure, pour qu’adviennent les lendemains qui chantent ! Là, la perspective de salut individuel est retirée au condamné diabolisé pour être offerte au prolétariat perplexe. Le schéma « mort du méchant individu dialectiquement démasqué » contre « un super paradis terrestre pour tous » fonde la transaction. Mais avec l’arrivée de Poutine, le discours évolue pour une stratégie plus subtile : Poutine est officiellement abolitionniste !!! Mais oui !!! Il l’a dit et redit urbi et orbi... mais c’est la Douma qui ne l’est pas, abolitionniste ! Cette position arrange tout le monde et surtout Poutine qui peut faire un pied de nez aux Européens en posant en démocrate empêché par un Parlement indomptable de supprimer la peine de mort. Aurait-il subodoré le lien indestructible entre mort et salut ? Poutine sait d’expérience que la cible symbolique des paradis promis reste le socle d’une bonne peine de mort. Sa nouvelle Russie ne peut se passer du bourreau, mais l’Europe doit continuer à espérer... politique d’abord.
Prenons à l’opposé de la Russie éternelle, un pays comme l’Arabie saoudite : royaume très récent pour ne pas dire artificiel, théocratique et musulman. Que nous dit abolition.fr ?
« L’Arabie saoudite pratique une interprétation rigide de la loi islamique, et prescrit la peine de mort pour l’homicide, le viol, le vol à main armée, le trafic de drogue, la sorcellerie, l’adultère, la sodomie, l’homosexualité, le vol sur autoroute, le sabotage, et l’apostasie (renoncement à l’islam).
L’Arabie saoudite est l’un des pays qui exécute le plus dans le monde, aussi bien en termes absolus qu’en pourcentage de sa population : entre 1980 et 2002, environ 1 500 personnes ont été exécutées, avec un record de 191 exécutions en 1995. »
Il faut en outre préciser que les 25 % de population immigrée dont elle a un besoin critique pour faire marcher l’économie font très largement les frais de l’application de la peine de mort ! Autant pour l’explication économique : l’accès au paradis d’Allah par le sabre du bourreau reste plus fort que les intérêts économiques du court terme. Les perspectives de salut éternel étant excellentes pour les bourreaux comme pour les victimes, il n’y a pas débat.
Autre délicieux pays, frère jumeau improbable de l’Arabie, la Corée du Nord :
« Son Code pénal prévoit la
peine de mort obligatoire pour toute activité "de collusion avec
l’impérialiste" visant à "mettre fin à la bataille de libération
nationale". La peine de mort peut être en outre appliquée pour
"divergence idéologique", "opposition au socialisme et crimes contre-révolutionnaires"
Voyons maintenant le frère siamois de la Corée du Nord : la Corée du Sud :
« En Corée du Sud, la peine
capitale est prévue pour 103 délits, dont 19 mentionnés dans la Constitution -
parmi lesquels l’homicide et l’espionnage - et 84 mentionnés, pour la plupart,
dans la Loi sur la Sûreté nationale (un ensemble de sanctions punissant la
moindre expression de sympathie pour la Corée du Nord). En 1999, la Commission
des droits de l’homme de l’ONU avait recommandé à la Corée du Sud de "revoir
la Loi sur la Sûreté nationale".
Selon le compte rendu publié en 2001 par le ministère de la Justice, la Corée
du Sud a exécuté au total 1 634 condamnés pour crimes graves depuis que le pays
a été libéré de la domination japonaise en 1945, soit une moyenne de près de 29
personnes par an. Plus de la moitié des personnes exécutées jusqu’en 1987
avaient violé la Loi sur la Sûreté nationale. »
Pas de doute, communiste stalinien dément ou capitaliste sous influence, l’agressivité idéologique institutionnalise l’urgence meurtrière pour valider une priorité absolue, la pérennité des objectifs symboliques du groupe.
L’Europe a choisi d’aller jusqu’au bout de son abolitionnisme. Aussi ne doit-elle pas être surprise de la désaffection de ses citoyens pour ce qu’elle n’arrive pas à suggérer : une entité idéale qui forge une conscience commune, une image intelligible de l’Europe. Substituer une peine de prison éternelle à un sacrifice rituel, c’est cruel et incompréhensible. Cela ne plaide pas en faveur de son initiateur. Et la revendication d’une Europe chrétienne ne fait qu’ajouter à la confusion... La valeur chrétienne du pardon se retrouve-t-elle dans perpète ? Les martyrs chrétiens sont allés gaiement au supplice avec la certitude d’un au-delà glorieux (hum, c’est comme ça qu’on s’en souvient !). Les candidats martyrs de l’islam ne mollissent pas quand il s’agit de s’assurer une retraite paradisiaque... (inutile de préciser laquelle !). Même l’assassin gaulois lambda allait à l’échafaud avec l’assurance que c’était dans l’ordre des choses. Mais le citoyen ordinaire de la République sarkozienne, le prolo d’Outrau, quelle assurance a-t-il de participer à une société respectable si on l’enferme à perpète et faute de mieux dans un bouge nauséabond et irrespectueux de ses droits fondamentaux ? L’Européen doute de tout : Dieu, la politique, l’école et surtout la justice. L’Europe humaniste et laïque impose le désespoir perpétuel en lieu et place d’une libération immédiate ! A-t-on seulement pensé à celui qui préfère la mort à l’ancienne, le châtiment radical au supplice à petit feu ? Le respect de l’homme ne passe-t-il pas par ce choix ultime au moment où de tous côtés des voix se font entendre en faveur d’une mort facile pour les malades en phase terminale ? Quel humanisme peut revendiquer la peine perpétuelle comme valeur ? L’enfer est décrié même par les dévots modernes !
Les sociétés paranoïaques ne peuvent se passer de la peine de mort. C’est leur façon de dire : je préfère la mort à ma destruction symbolique. L’Europe elle aussi est née sur une peur fondamentale : celle de la guerre intra-européenne. Le danger disparu (enfin presque) elle croit pouvoir s’affranchir de la peine de mort sans pouvoir rassurer ses citoyens sur la disparition du danger. La mondialisation ne fait rien pour l’aider. Alors trouvons un compromis honorable entre abolition et droit de l’individu. Le croyant comme l’athée peuvent trouver leur compte dans une mort choisie : tout condamné à plus de quinze ans de réclusion devrait pouvoir demander à n’importe quel moment de l’exécution de sa peine à être euthanasié. Après tout, n’est-il pas de bon ton de plaider que nos grands criminels sont malades de la société ?
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