Pour une vraie politique de l’immigration
La « reconduite à la frontière » tient lieu de politique à l’encontre des étrangers en situation irrégulière : option à revoir ; le vrai enjeu d’une politique de l’immigration est l’intégration des étrangers souhaitant s’établir durablement sur le territoire français.
Le débat actuel sur
l’immigration hésite entre deux pôles : éloignement systématique des étrangers
en situation irrégulière, au risque du reste de faire naître des situations
humaines inacceptables sur un plan moral (voir le site du collectif « enfants
étrangers citoyens solidaires »), régularisation massive, souvent à la
suite d’actions dures de type « grève de la faim » et/ou occupation
d’ouvrages publics. La régularisation massive a été le choix du premier
gouvernement Mitterrand en 1981/82 et l’éloignement systématique est le choix
de l’actuel ministre de l’intérieur avec
toutefois le tempérament apporté par la circulaire citée plus haut qui a en
principe permis la
« régularisation » d’environ 6 000
ménages en situation irrégulière, sur 30 000 demandes.
Ce débat est toutefois très
réducteur. Pour prendre la mesure du problème posé par l’immigration en termes
de débat de société, il faut articuler la réflexion autour des deux questions
suivantes :
1°) L’éloignement des
étrangers démunis de tout titre de séjour est il la seule réponse au caractère
irrégulier du séjour ?
2°) Comment assurer
l’intégration des étrangers en situation régulière, cette fois-ci, dans la
société française ? Jusqu’où doit on aller dans l’exigence d’intégration ?
1° La réponse à apporter à la première question
n’est pas aisée.
En principe, en droit
français, le non respect d’un texte de nature réglementaire génère des
pénalités financières (paiement d’une amende). En droit français, des pénalités
sont prévues pour sanctionner la présence de l’étranger en situation
irrégulière, « l’aide au séjour irrégulier » (CESEDA) ou l’emploi
d’un travailleur clandestin ( code du travail ). Le non respect par un étranger
ressortissant d’un Etat tiers à l’Union européenne des règles relatives au séjour en France
(détention obligatoire d’un titre de séjour) est quant à lui sanctionné de
manière habituelle par une mesure administrative qui est une mesure d’éloignement
de l’étranger vers son pays d’origine, dénommée « reconduite à la frontière »
(titre III du CESEDA). Les pouvoirs publics doivent-ils systématiquement
« éloigner » un étranger en situation irrégulière ?
Il faut en premier lieu rappeler qu’en application du
CESEDA, le préfet peut toujours accorder un titre de séjour à un étranger en situation irrégulière pour
des motifs humanitaires : il n’est absolument pas tenu de mettre en oeuvre une
mesure d’éloignement du territoire français.
Par ailleurs, il faut
insister sur le fait que nombre d’étrangers se trouvant sur le sol français en
situation irrégulière le sont, non du
fait d’un choix personnel de ne pas respecter délibérément les règles sur le
séjour , mais du fait qu’ils y sont « acculés » : ils ont souvent fui
le pays d’où ils sont originaires parce qu’ils y vivent dans la misère où que
sévit dans ce pays une situation de guerre civile endémique et de chaos
politique (ex : République démocratique du Congo, Sierra Léone...) ou encore
qu’ils craignent en vivant dans ce pays pour leur vie ou leur liberté (Algérie,
Russie, Turquie...). Bien sûr, dans
nombre de cas, les étrangers qui contestent la mesure d’éloignement dont ils
sont l’objet ne peuvent établir, y compris devant le juge administratif, les risques qu’ils encourent en cas de retour
dans leur pays, sauf lorsqu’ils ont été soumis à la torture et en conservent
des séquelles ! Une
« régularisation » se conçoit pour ces étrangers, au moins à titre
« humanitaire ».
Enfin, si la
« reconduite » a un sens lorsqu’ elle intervient au début du séjour
irrégulier, elle en a moins lorsqu’elle
est mise en œuvre après plusieurs années de séjour, quand l’étranger a commencé
à s’intégrer socialement et professionnellement. Doit-on, dans ce cas, parler
de « prime à l’irrégularité » comme l’a fait l’actuel Gouvernement
lorsqu’il a supprimé la condition des « dix ans de présence » ?
Cette vision des choses apparaît pour le moins simpliste et ne rend pas compte
d’une réalité fort complexe.
Je propose dans ce domaine
une réponse très modulée, au cas par cas, qui pourrait tenir compte des
critères suivants :
-
l’étranger
vit en couple et a des enfants scolarisés et intégrés dans la société française
: on rejoint l’hypothèse de la circulaire du 13 juin 2006 qui, de manière
surprenante, a limité à deux mois les possibilités de régularisation pour les
familles concernées : pourquoi ? La présence d’enfants scolarisés et déjà
intégrés dans un tissu social est au
contraire une chance pour la société française , notamment dans la perspective
d’un renouvellement des générations. Contraindre des familles ayant des enfants
scolarisés, parfois depuis plusieurs années,
à quitter la France est une mesure dont on saisit mal l’intérêt et la
pertinence : en premier lieu, « l’intérêt supérieur de l’enfant »
n’est-il pas de rester en France avec ses parents, dans son école ? En second
lieu, n’a-t-on pas maintenant les outils juridiques pour aider les familles en
cause jà s’intégrer dans la société française (voir ci-dessous les
développements sur le « contrat d’accueil et d’intégration » institué
par la loi du 24 juillet 2006) ?
Le
nombre de familles « régularisées » est de ce point de vue
excessivement limité par rapport au nombre de demandes enregistrées : est-ce
étonnant, dans la mesure où l’instruction des demandes a eu lieu pendant l’été
?
L’institution
d’un tel critère, au moins pour la délivrance d’une carte de séjour temporaire,
nécessiterait en tout état de cause une
modification du CESEDA, dans un sens beaucoup plus libéral que ce qu’a opéré la
récente réforme. La reconstitution d’une cellule familiale en France et
l’intégration des enfants dans le tissu social local pourraient constituer des
critères de délivrance d’un titre de séjour.
-
L’étranger
occupe déjà un emploi non déclaré dans un secteur où on rencontre (ou non) des difficultés de recrutement : la logique n’est elle pas, d’une part, de
sanctionner l’employeur qui a contourné le code du travail et, d’autre part, de
protéger le travailleur clandestin en lui procurant un titre de séjour et en l’aidant
le cas échéant, à trouver un logement digne ? Faut il donc, alors même qu’il
s’est fait « exploiter » au regard des lois françaises, le
sanctionner en l’éloignant du territoire français ?
A
cet égard, l’un des apports majeurs de
la loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration
est la mise en place d’un « parcours d’intégration »de l’étranger qui
souhaite s’installer durablement en France. La loi du 24 juillet a rendu
obligatoire la mise en oeuvre d’un « contrat d’accueil et
d’intégration » (CAI), dispositif déjà existant depuis juillet 2003 à
titre expérimental. Ce contrat comporte,
d’une part, une formation linguistique sanctionnée
par un diplôme national et, d’autre part, une présentation des institutions de
la République et des principes qui régissent la République française.
Sur
ces problèmes d’intégration, deux questions distinctes se posent :
-
L’intégration
concerne non seulement les parents, mais aussi les enfants : dans ce domaine,
la France a pris un grand retard : le CAI aurait déjà dû être prévu depuis de
nombreuses années ; qu’en est il des enfants qui n’ont à la maison ni soutien
scolaire, ni stimulation intellectuelle, c’est à dire ceux dont les parents, ne
connaissant pas le français, ne sont pas
en mesure de préparer leur intégration dans la société française ? Seules des
associations sont concrètement en mesure de prendre en charge ces enfants et de
leur assurer un minimum de soutien en termes d’intégration à l’école. La mise
en place d’un CAI au niveau des parents ne dispensera pas la collectivité au
sens large d’aider financièrement ces associations et de faire de ce soutien une priorité politique, au
point de rencontre des politiques d’éducation nationale et d’intégration. Il
faut ainsi que l’Etat consacre des crédits aux communes connaissant un fort
taux de population immigrée afin que l’action de ces associations soit
largement encouragée. Il n’est dans ce domaine nul besoin d’une réforme
législative, mais « seulement » de prévoir des dotations en crédits.
-
Jusqu’où
doit on aller dans l’exigence d’intégration ?
Apprendre
la langue française est une chose, s’assurer que les familles en cause vivent
dans le respect des principes républicains en est une autre.
Comment
va-t-on s’assurer que les étrangers qui demandent une carte de résident vivent
dans « le respect effectif des principes qui régissent la République française » ?
Qu’en sera-t-il des familles qui vivent selon la tradition de leur pays
d’origine, en méconnaissance du principe de la laïcité ou du principe d’égalité
de traitement entre les hommes et les femmes (confinement de la femme à la
maison, mariages forcées, mutilations sexuelles...) ? Devra-t-on refuser sur
ce terrain un titre de séjour durable ; Je
pense que oui : aucune intégration
durable ne sera possible s’il y a
méconnaissance d’un « code » social commun.
58 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON