Pourquoi les avocats sont en grève ?
Une question vient alors à l’esprit : mais pourquoi donc ?
La réponse est simple : en grande partie pour protester contre la future réforme de la garde à vue et afin de demander une assistance effective de l’avocat pendant cette mesure qui ne serait pas entravée selon le bon vouloir du parquet.
Certaines des raisons de la mobilisation ont déjà été mis en lumière dans un article précédemment publié sur ce blog ; elles concernent principalement la modification de la garde à vue en tant que telle et la création d’une audition libre.
Concernant la mesure en tant que telle,
Différents points sont à noter dans le texte proposé par la Garde des Sceaux :
- la limitation des possibilités de placement aux seules personnes soupçonnées d’un crime ou d’un délit puni d’une peine d’emprisonnement
- l’interdiction de prolonger la durée de la garde à vue pour les délits punis de moins d’un an d’emprisonnement
- et surtout la reconnaissance du droit à la présence d’un avocat durant toute la durée de la mesure de garde à vue
Pas grand chose à dire s’agissant des deux premières annonces si ce n’est de constater que le changement, bien que notable, continue d’englober encore beaucoup de cas qui risquent, au regard de la tendance actuelle d’aggravation continue de la répression, de se multiplier.
En revanche, il convient de s’arrêter un instant sur la présence de l’avocat qui, tout en étant avec le retour du droit de se taire l’une des plus grande avancée, se trouve être l’une des principales raisons qui motivent la mobilisation des auxiliaires de justice.
En effet, tenant compte de la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010, le gouvernement introduit la présence de l’avocat tout au long de la mesure mais aucune précision supplémentaire n’est donnée.
Rien n’est précisé quant au contenu de cette "présence" ; d’ailleurs, le choix de ce terme peut laisser planer un doute : l’avocat se contentera-t-il seulement d’être physiquement là ou pourra-t-il en faire un peu plus.
La Cour européenne des droits de l’homme, au contraire, n’en fini pas de préciser le contenu de l’assistance effective de l’avocat en affirmant notamment que "l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil. A cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer."
De plus, si le contenu du droit à la présence de l’avocat reste pour le moment indéterminé, l’avant projet pose déjà une premier dérogation en permettant au procureur de la République, à la demande de l’officier de police judiciaire, de retarder la mise en oeuvre de ce droit pendant une durée maximale de douze heures en raison des circonstances particulières tendant à la nécessité de rassembler ou de conserver des preuves.
La ministre s’appuie sur un raisonnement du Conseil constitutionnel autorisant, selon elle, une telle mesure ; il est toutefois permis de se demander si "les circonstances particulières" visées par les Sages ne renvoient pas plutôt à une justification de l’existence des régimes dérogatoires.
Mais pourquoi ? en quoi la présence de l’avocat dérange-t-elle ? à moins que cela ne soit une manifestation d’une sorte de théorie qui veut que l’avocat soit quasiment considéré comme un complice ; l’exemple choisi (un enfant enlevé par un pédophile et pas encore retrouvé) tend à aller dans ce sens : si l’avocat est là, on risque de ne pas retrouver la victime.
Et puis n’oublions tout de même pas trop vite qu’une personne gardée à vue reste présumée innocente.
La ministre, voulant sans doute rassurer, conclut sur le sujet en criant haut et fort que le principe est celui de la présence de l’avocat tout au long de la garde à vue mais la décision est entre les mains des procureurs et ce ne serait pas la première fois que l’on verrait une exception théorique devenir petit à petit un quasi principe dans la pratique.
De son côté, la juridiction européenne s’est également prononcée sur ce point, en particulier dans les arrêts Salduz et Dayanan. De l’étude de sa jurisprudence, il faut retenir que "il faut, en règle générale, que l’accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d’un suspect par la police, sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit."
Une affirmation qui tendrait donc à prohiber toutes dispositions ayant pour objet ou pour effet de généraliser le recul dans le temps de l’assistance de l’avocat pour toute une catégorie d’infractions sans tenir compte des éléments propres de l’affaire en cause ; ce qui pousse à s’interroger sur la conformité des régimes dérogatoires actuellement en vigueur en France.
Concernant l’audition libre,
La garde des Sceaux est bien l’une des rares personnes à se réjouir de cette magnifique trouvaille.
La majorité des individus y voient plutôt une mesure diminuant gravement les garanties.
Les choses paraissent d’une simplicité manifeste sur le papier : afin d’éviter la multiplication des gardes à vue, il est proposé à ceux qui le souhaitent et qui acceptent de demeurer dans les locaux de police pendant le temps strictement nécessaire d’être entendu sous le régime mal défini de l’audition libre.
L’alternative peut paraître intéressante sauf que, jusqu’à preuve du contraire, les garanties du régime de la garde à vue ne s’appliquent qu’au gardé à vue et pas à celui qui est entendu dans le cadre d’une audition libre.
Voilà qui semble être, sous couvert d’une proposition généreuse, une manière de contourner l’exercice des droits reconnus à la personne suspectée.
Ajoutons à cela des revendications concernant notamment l’indemnisation en matière d’aide juridictionnelle et voilà en résumé les raisons qui poussent les avocats à se mobiliser.
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