Procès Colonna : la paillote de l’accusation sent le brûlé
Le légiste qui s’emmêle, l’ancien préfet qui doute, les témoins qui innocentent formellement, ou ne reconnaissent formellement pas, les jours se suivent et ressemblent à un acquittement pour Yvan Colonna, berger dans un costume d’assassin peut-être trop grand. L’accusation ronge son frein.
Présenté par les amis de l’accusé comme un procès à charge organisé par un Etat oppresseur, le procès d’Yvan Colonna se révèle finalement comme l’occasion la meilleure et la plus simple pour le prévenu de démontrer son innocence, si innocence il y a. Sur le « continent », on écoute les témoins, on décortique le dossier, on entend les doutes des uns, les hésitations des autres, on ne réalise pas d’instruction uniquement à charge : Yvan Colonna, en sa faveur, s’en rend compte aujourd’hui. Le doute n’est pas exclu de son procès, n’est pas personna non grata dans la salle d’audience. Un de chute pour les théoriciens nationalistes d’un quelconque complot ourdi par l’Elysée à l’encontre de leur modeste berger, reconnu par personne, pour le moment.
C’est le médecin légiste qui ouvrit le bal des hésitants, la semaine dernière, en présentant ses conclusions et en déduisant que selon lui, le tireur était sans doute d’une taille plus élevé que le prévenu. Mais ce médecin légiste, qui essuya dans la foulée une tempête de questions et une reconvocation devant la cour, n’a eu de cesse dès lors d’affirmer qu’il ne pouvait pas être formel, qu’on ne lui avait « pas demandé la taille du tireur » qu’il n’était pas là pour ça. Le légiste rentré voir Les Experts, ce fut au tour des témoins oculaires du meurtre de commencer leur défilé : ils s’appellent Marie-Ange Contart, Joseph Arrighi, Jean-Pierre Versini ou Joseph Colombani, aucun d’entre eux ne reconnaît Colonna, ni formellement, ni à peu près. L’une parle d’un homme blond, l’autre d’un homme au nez aquilin et d’un autre homme, plus gros, le troisième de deux hommes de grande taille... même le scénario du meurtre n’est pas très clair. Joseph Colombani, ami du préfet, qui l’attendait ce soir-là, déclare avoir entendu des coups de feu, avoir vu le préfet se retourner et dévisager son agresseur, puis s’enfuir dans une impasse, puis revenir, tomber à terre et finalement être achevé froidement de deux balles, « comme un chien », selon ses propres termes. Un scénario qui ne cadre pas tout à fait avec une accusation qui présentait jusqu’ici des circonstances sommaires rappelant davantage une exécution mafieuse qu’un assassinat qui apparaît pour le coup, un peu confus. N’a-t-on pas entendu dire en début de procès que la première balle avait, en quelques secondes, provoqué la mort du préfet ? Bref, à la suite de ces différents témoignages, l’accusation est à terre, ou muette, en attendant de meilleurs jours.
Pire encore : le témoin Marie-Ange Contart (qui, pour reprendre les termes de Clément Weill-Rénal, le chroniqueur de France 3, « a des souvenirs précis, mais ne reconnaît personne ») sous-entend même que l’enquête aurait été orientée : « Le jour où j’ai dit : "Ce n’est pas lui,"(Colonna, ndlr) j’ai eu l’impression qu’on ne me croyait plus... J’ai eu l’impression de dire tout à coup quelque chose qui n’arrange pas... de faire la plus grosse bêtise de ma vie ». Quelque chose qui n’arrange pas, en voilà du grain à moudre pour les amis du berger (dont Eric Cantona, qui s’est déplacé « convaincu de l’innocence » de l’accusé), en voilà des nuits blanches en perspective pour le premier magistrat de France, muet jusqu’au bout des grèves, mais qui pourrait bien se trouver en porte-à-faux dans ce procès Colonna si les doutes persistent. Sarkozy, puisque c’est de lui qu’il s’agit, qui n’a pas dû trop goûter la sortie de Bernard Bonnet, hier, sur France Info. L’ancien préfet, successeur d’Erignac, et victime collatéral du célèbre incendie de la non moins célèbre paillote « Chez Francis », attendu lundi prochain à la barre des témoins, a donc confié en avant-première ses « doutes » quant à la culpabilité de Colonna. "J’ai des doutes effectivement sur Yvan Colonna et ces doutes, je les exprimerai. Je répondrai avec beaucoup de prudence. En aucune façon, je ne serai péremptoire", martèle le préfet, avant d’ajouter, un brin péremptoire quand même sur ce coup « Maintenant on sait que l’assassinat ne sera jamais pleinement élucidé ». Diantre ! C’est la paillote judiciaire qui soudain s’enflamme ! « Il ne s’agit pas d’être polémique, mais ce qui est vrai c’est que les renseignements que j’ai donné à la justice, et je dis bien à la justice, sont de novembre et de décembre 1998 et auraient pu permettre sans doute d’accélérer le cours de l’enquête », ajoute Bonnet, qui n’entend donc pas porter le chapeau. Lui, son enquête, il l’a faite, et bien faite, aidé par un informateur qui lui balance l’identité des membres du commando Erignac, plus Colonna, mais sans donner les prénoms. Le préfet croira à l’époque qu’il s’agit de Stéphane Colonna, mais la piste sera vite abandonné. Bonnet avoue aujourd’hui que jamais « Yvan Colonna » ne lui a été ainsi désigné comme faisant partie du commando. Maintenant, que veut dire Bonnet quand il évoque les « ombres de cette enquête » ? En quoi ses fameuses notes de fin 98 auraient-elle pu ou dû aider les enquêteurs ? Qu’en a fait la justice ? Lundi, peut-être, l’ancien préfet Bonnet voudra bien souffler sur ses braises ou au contraire tentera, un peu comme le légiste non formel, d’étouffer le feu qu’il vient d’allumer. On verra.
En attendant, le doute, incontestablement, prend de l’ampleur. Et le doute profite à l’accusé. Accusé qui dans l’immédiat ne fanfaronne pas, mais doit se réjouir de la tournure des événements. Et doit se réjouir d’être Français, c’est-à-dire de bénéficier de la fameuse présomption d’innocence. Qui n’est pas, on le voit, qu’un vain mot. Pour Yvan Colonna, indubitablement, ça ne se corse pas. Personne, pour l’instant, pour l’identifier. Personne de sûr, peu de preuves matérielles. Reste à l’accusation, sans doute, à s’appuyer sur la fuite de l’accusé comme preuve de son implication dans l’acte. C’est maigre. Reste surtout, on peut le souhaiter, à Yvan Colonna à parler enfin, tenter de démêler l’écheveau. Lui sait quelque chose, on peut presque être formel sur ce point là.
La justice est un jeu, disait Vergès, et le jeu profite pour l’instant au berger de Cargèse. Mais l’avantage est faible dans un tribunal, il suffit parfois de pas grand-chose pour que tout bascule. Pas de conclusion hâtive à tirer : si l’assassin du préfet Erignac n’a pas encore de visage, il reste encore de longues semaines pour régler la mire, dissiper le flou.
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