Quand la foule devient meurtrière
Samedi 19 septembre, un jeune de 21 ans est mort à Paris au terme de la 17e Techno Parade. Un décès causé par son imprudence, mais aussi par les irresponsables provocations de dizaines, voire de centaines de témoins...
19 h 30. En cette journée de samedi, le défilé de la Techno Parade est terminé. D’ores et déjà, la plupart des chars sont repartis, mais la fête continue pour des milliers de participants encore présents place de la République. Quelques-uns d’entre eux, comme c’est très souvent le cas lors des rassemblements de toute nature qui se tiennent en ce lieu emblématique, ont réussi à atteindre le premier niveau du monumental socle de la statue de Marianne qui, en hommage à la République, trône au milieu de la place.
Soudain, un jeune de 21 ans entreprend d’escalader le monument pour se hisser encore plus haut, au deuxième niveau du socle, porté par les acclamations enthousiastes de la foule. Parvenu au pied de la Marianne de bronze, à 15 m du sol, le jeune homme, plus ou moins conscient de la difficulté de poursuivre, s’arrête...
C’est alors que, d’après les témoins, fusent dans la foule de nouvelles exclamations. Quelques-unes implorent le jeune de ne pas poursuivre cette dangereuse ascension. Mais elles sont couvertes par les nombreuses exclamations de dépit ou d’encouragement à aller encore plus haut. « C’est nul ! », « Vas-y ! », « Plus haut ! » lui lance-ton. Grisé par ces provocations, et peut-être par l’altération de son état normal, le jeune homme reprend sa périlleuse ascension sur le corps de bronze...
Il ne peut aller au bout : alors qu’il est proche de la tête de Marianne, il dévisse soudainement et fait une chute mortelle d’une vingtaine de mètres sous le regard horrifié des « teufeurs » de la Techno Parade. La fête est finie. Elle s’est achevée brutalement, sur le macadam de la place, dans une mare de sang où baigne un corps disloqué. Dégrisés par le drame, des participants craquent : ils garderont comme une tache indélébile le souvenir de cette édition 2015 qui s’était jusque-là déroulée sans incident.
Mort sur le coup, le jeune homme a incontestablement été victime de son imprudence. À cet égard, l’autopsie nous dira s’il était sous l’emprise d’un alcool ou d’une drogue ayant pu atténuer son discernement. Mais si personne n’a forcé ce jeune à entreprendre l’escalade du monument dédié à la République, force est de reconnaître qu’il a aussi payé de sa vie l’effet de masse qui a conduit un grand nombre des participants de la Techno Parade à lui lancer un mortel défi en le poussant toujours plus haut alors qu’il semblait sur le point de renoncer.
Une vérité glaçante qui ne surprend évidemment pas les experts en psychologie sociale. Dans les colonnes du quotidien Le Parisien, Hélène Romano, docteur en psychopathologie et expert auprès des tribunaux, valide la probabilité que la victime ait ressenti « sous l’effet de groupe une sensation d’encouragement, un sentiment d’invulnérabilité et de toute puissance ». En un mot, une illusion mortelle née d’un phénomène de « désindividuation en groupe », un syndrome bien connu des spécialistes qui pousse des individus à commettre des actes qu’ils n’auraient pas commis sans la pression du groupe.
Or, plus le nombre de personnes constituant le groupe est grand, plus le risque de perte de l’identité individuelle est élevé et porteur d’une désinhibition pouvant conduire à des comportements déviants potentiellement dangereux ou antisociaux.
Samedi, sur la place de la République, on a probablement eu une illustration des deux facettes de ce syndrome : d’une part, la désinhibition de la victime, amenée par les clameurs à commettre un acte inhabituel et dangereux ; d’autre part, la désinhibition antisociale d’un groupe dominant poussant, de manière collective et anonyme, le jeune homme à prendre toujours plus de risques, malgré un évident danger dilué dans une terrifiante perte des responsabilités individuelles.
Pierre Aidenbaum, le maire du 3e arrondissement demande que le monument de Marianne, souvent escaladé comme ce fut le cas le dimanche 11 janvier après l’attentat de Charlie Hebdo, soit enfin sécurisé. Au lendemain de cette tragédie, cela se fera sans doute. Mais il ne faut pas se faire d’illusions, de tels drames se reproduiront en d’autres lieux. Le syndrome de « désindividuation de groupe » ne connaît malheureusement pas de limites : ni dans l’espace, ni dans le temps.
Autre article sur la responsabilité collective : Un syndrome effrayant : « l’effet du témoin »
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