Quand le travail donne les bleus au cœur !
Dans votre vie personnelle, vous considérez, comme un querelleur, un cas limite sur la tolérance et un indécrottable opiniâtre, que vos idées sont les meilleures, ou vous êtes un pacificateur ? Êtes-vous soumis à la maison et violent au bureau ou en entreprise ?
Pourriez-vous répondre - intérieurement - à ces questions :
au bureau ou en entreprise, vous considérez-vous :
- épargné par la violence au bureau ? témoin indifférent à une certaine violence à l’égard de personnes ciblées ?
- victime vous-même de la violence d’un supérieur, d’un collègue ou d’un groupe ?
- auteur vous-même d’une certaine violence en vertu de votre autorité, en participant à des séances de harcèlement ou de brimades à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes ?
- totalement étranger à toute manifestation de violence ?

Introduction
Je n’ai pu m’empêcher d’emprunter ce titre à une québécoise, Jacinthe Legros, qui présentait un mémoire à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en Sciences de l’orientation pour l’obtention du grade de maître ès arts. Madame Legros avait centré son mémoire sur la résilience et le pouvoir d’agir des personnes qui vivent de la violence psychologique au travail (ce que la France nomme le harcèlement moral). Karl Marx n’avait-il pas prédit que l’homme vivrait des jours meilleurs puisque le travail devait le libérer ? En effet, la machine allait être l’outil de l’émancipation de l’humanité. Où en sommes-nous en 2007 ?
La violence en milieu de travail et d’entreprise
Au Canada, une étude du Metropolitan Action Committee on Violence Against Women and Children (METRAC) révèle que 28 % des harceleurs sont des amis ou des collègues. Plus de 26 % des victimes de harcèlement criminel affirment avoir perdu du temps de travail.
Au Québec, Courcy (2002) prétend que cinq ou six travailleurs se suicident hebdomadairement pour une raison liée à leur travail. Cinq ou six travailleurs par semaine, cela signifie une moyenne de 286 suicides par année. Selon l’Institut de la statistique du Québec, en 1999, il y a eu un total de 1610 suicides au Québec dont 1373 chez la population âgée entre 20 et 64 ans. On peut supposer qu’au Québec, près de 21 % des suicides seraient en lien avec le monde du travail.
Selon l’Organisation internationale du travail (OIT) (1998), la violence au travail est répandue partout dans le monde et elle est « en train de devenir sur toute la planète un grave sujet de préoccupation » En Suède, Leymann (1996) estime que le harcèlement psychologique est à l’origine de 10 à 15 % des suicides.
Une enquête européenne conduite auprès des travailleurs sur la perception qu’ils ont de leurs conditions de travail, réalisée au printemps 2000 par la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail dans l’ensemble des 15 États membres de l’Union européenne, a révélé que :
- 3 millions (2%) de travailleurs ont été l’objet de violence physique de la part de personnes également occupées sur le lieu de travail au cours des 12 derniers mois qui ont précédé l’enquête.
- 6 millions (4%) de travailleurs ont été l’objet de violence physique de la part de personnes extérieures au lieu de travail.
- 3 millions (2%) de travailleurs ont fait l’objet de harcèlement sexuel.
- 13 millions (9%) de travailleurs ont fait l’objet d’intimidation ou de harcèlement moral.
De même en Belgique, une recherche (*) a été entreprise en 2001 afin, notamment, d’étudier les comportements de harcèlement moral et sexuel dans les lieux de travail et de déterminer l’ampleur de ce phénomène. Les résultats montrent que :
- 11,5% des
personnes interrogées déclarent s’être senties victimes d’au moins un
comportement de harcèlement moral
- 8% déclarent
avoir été victimes de harcèlement sexuel
- 3,5% déclarent avoir été victimes de violence physique.
Aux États Unis, chaque année plus de
- 16 millions de personnes subiraient du harcèlement
- 6 millions recevraient des menaces
- 2 millions seraient victimes d’assaut
Dans le cadre de l’Union européenne, une enquête réalisée au printemps 2000 par la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail dans l’ensemble des 15 États membres a révélé que trois (3) millions (2%) de travailleurs ont été l’objet de violence physique de la part d’autres employés au cours des 12 derniers mois qui ont précédé l’enquête.
Les résultats d’une enquête européenne, rendus publics en 2002, par Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail, révèlent que 4% de la population active déclarent avoir été victimes de réelle violence physique de la part de personnes extérieures au lieu de travail. Un nombre plus important de travailleurs auraient souffert de menaces, insultes ou autres formes d’agression psychologique émanant de personnes extérieures au lieu de travail. Les environnements à risque sont en majeure partie concentrés dans le secteur des services et, notamment, dans les entreprises des secteurs de la santé, du transport, de la vente au détail, de la restauration, de la finance, et de l’éducation.
Le contact direct avec les clients augmente le risque d’être confronté à la violence. Le secteur de la santé est souvent mentionné dans les pays de l’UE comme le plus affecté par ce phénomène. Le secteur de la vente au détail représente aussi un secteur à haut risque. Les professions suivantes constituent des exemples de travailleurs particulièrement exposés à la violence : infirmiers et autres travailleurs du secteur de la santé, chauffeurs de taxi, conducteurs de bus, employés effectuant des travaux au domicile des clients, personnel des stations stations-service, caissiers, agents de sécurité, coursiers, officiers de police, gardiens de parking, travailleurs sociaux et responsables de logements sociaux.
Voici quelques estimations
des coûts spécifiques du harcèlement moral :
Au Royaume-Uni, on a estimé que 40 millions de journées de travail sont perdues chaque année à cause de maladies liées au stress et qu’entre un tiers et une moitié de ces cas peuvent avoir le harcèlement moral au travail pour origine ;
- L’absence d’un travailleur coûte à un employeur entre 100 et 400 euros par jour
- En un an, un travailleur harcelé peut coûter à son employeur entre 17 500 et 50 000 euros
- Pour un seul poste, les coûts des flux de personnel atteignent selon les estimations entre 7 500 et 400 000 euros, en fonction des qualifications requises
L’OIT estime à 150 000 euros par an le coût
total de la "violence psychologique" dans une entreprise de 1 000
travailleurs en Allemagne.
Pour l’économie allemande dans son ensemble, le harcèlement moral au travail équivaudrait à une perte annuelle de 15 à 50 milliards d’euros.
Aux États-Unis, on parle souvent d’employee abuse (abus commis sur des travailleurs) ou de workplace terrorism (terrorisme sur le lieu de travail) pour désigner le harcèlement moral au travail. Les experts américains sont également coutumiers de l’expression mobbing (persécution), qui est notamment aussi employée en Allemagne, Italie et Suède. Le verbe allemand mobben est défini comme le "harcèlement incessant à l’encontre de collègues mené dans l’intention de les chasser de leur poste". Ce verbe a pour origine le verbe anglais to mob, qui renvoie au fait d’agresser une personne. Au Royaume-Uni, on désigne ce phénomène par workplace bullying (harcèlement moral sur le lieu de travail) ou simplement bullying (harcèlement). Les chercheurs anglais Hoel, Rayner et Cooper (2003) ont utilisé l’expression bullying pour caractériser le phénomène. Il s’agit d’une situation où un ou plusieurs individus, sur une période de temps, font continuellement les frais d’actions négatives d’une ou de plusieurs personnes. Dans cette situation, la cible du bullying éprouve de la difficulté à se défendre elle-même contre ces conduites agressives, puisque les actes reprochés prennent surtout la forme d’un abus hiérarchique vertical, donc d’un supérieur à l’égard d’un subordonné (par exemple : circulation de rumeurs, exclusion, discrimination, etc.). Le bullying s’emploie également dans le contexte du harcèlement à l’école, qui implique davantage d’agression et de menace physiques que le harcèlement moral sur le lieu de travail. La nature plus psychologique du harcèlement sur le lieu de travail est indiquée par l’expression française "harcèlement moral".
En résumé
- Les brimades représentent une façon
d’humilier, de saper le moral d’individus ou de groupes d’employés.
- Le mobbing
(psychoterreur) est une
forme collective de violence « faire constamment des remarques négatives sur
une personne ou la critiquer sans arrêt, l’isoler en la laissant sans contact
social et médire ou diffuser de fausses informations sur elle.
- Le bullying (fausses accusations) consiste en des tentatives conduites par des collègues de travail et des supérieurs hiérarchiques pour jeter le discrédit sur une personne par de fausses allégations d’incompétence, fausses allégations d’actes criminels, dénonciations, etc.
Drida (1999), cité par Jacinthe Legros, identifie deux pratiques de harcèlement : le harcèlement actif et le harcèlement réactionnel. Le harcèlement est dit actif lorsqu’il y a une intention volontaire de faire souffrir l’autre par malveillance. [...] Le harcèlement réactionnel résulte d’une situation devenue intolérable et qui génère un stress que la personne ne parvient plus à gérer. Les agressions visent à obtenir, maintenir ou récupérer un pouvoir sur l’autre. Dans ce contexte, la constante du harcèlement réactionnel est que ce « n’est plus une technique visant la déstructuration de l’autre, mais une réaction visant à se préserver ou se protéger de quelqu’un de précis représentant un danger pour soi-même ou pour le groupe ».
Marie-France Hirogoyen, auteure d’un livre sur le harcèlement moral et la violence perverse au quotidien, regroupe en quatre grandes catégories le harcèlement moral au bureau ou en entreprise :
- Atteintes aux conditions de travail
- Isolement et refus de communication
- Atteinte à la dignité
- Violence verbale, physique ou sexuelle
Heinz Leymann, auteur d’un livre sur La persécution au travail classe en cinq catégories les agissements constitutifs du mobbing
- Empêcher la victime de s’exprimer
- Isoler la victime
- Déconsidérer la victime auprès de ses collègues
- Discréditer la victime dans son travail
- Compromettre la santé de la victime
Analyse de cas
« Mon boss me pourrit la vie ! » Karim, vingt-trois ans, technicien en maintenance, va au travail à reculons. Il reconnaît être « à bout » et « en pleine dépression ». Son supérieur (cadre intermédiaire) le harcèle, du matin au soir. « Il me sait nerveusement fragile et fait tout pour me rendre fou et me tuer au travail. Il m’interdit de prendre du répit, exerce sur moi un chantage continuel, dépense toute son énergie à m’induire en erreur et à saboter ma confiance en moi. Il use de non-dits pour créer des malentendus qui se transforment en fautes professionnelles. Il me pollue la vie même le week-end, me laissant entendre par exemple qu’il m’aurait balancé à la direction pour me faire virer. »
Derrière le visage du harceleur se cache un être avide de reconnaissance et de pouvoir. Pour les conserver ou masquer son incompétence, il est prêt à éliminer tout ce qui pourrait y faire obstacle. Il va alors choisir une victime, un bouc émissaire, pas comme on le croit souvent, quelqu’un de plus faible que les autres mais plutôt quelqu’un de consciencieux, de lucide et donc inquiétant pour lui.
Le harceleur excelle dans l’art de détecter le point faible, la faille qu’il va pouvoir exploiter pour anéantir les défenses de sa victime ; c’est là qu’il va l’attaquer s’appliquant à insinuer le doute (en elle et chez les autres) sur ses compétences, sa valeur personnelle. Ceci jusqu’à ce qu’elle perde tous ses moyens. Empêché de penser, de comprendre, de réagir, l’agressé est poussé à la faute, ce qui justifie à la fois l’attitude de l’agresseur et le silence de l’entourage.
Si rien ne vient lui faire obstacle, les choses ne cesseront qu’avec la capitulation de la victime (départ, longue maladie pour dépression, troubles psychosomatiques graves...).
Pour se sentir le plus fort, le harceleur a besoin d’un autre à tenir en son pouvoir. S’il ne peut le corrompre, il lui faut le réduire à néant. C’est difficile à concevoir, mais c’est à transformer sa victime en marionnettes, à la dévitaliser, à l’anéantir, qu’il trouve sa plus grande jouissance.
Questions
- Que peut faire Karim pour remédier à la situation ?
- Que conseilleriez-vous à Karim si vous étiez son confident ?
- Karim peut-il et devrait-il tenter de protéger son emploi ?
- Karim devrait-il porter plainte ?
- Agiriez-vous, vous-même, pour défendre Karim ou considéreriez-vous que cela ne vous concerne pas ?
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