La réforme actuelle du lycée fait suite à un projet de réforme, retiré par le gouvernement, retrait suivi d’un tour de France des lycées par Richard Descoings, afin de dégager les grandes lignes d’une autre réforme. Dans ce processus, nous en sommes à l’arrivée d’une proposition d’un autre ministre. Cela ne donne, dans les discours d’opposition à cette réforme (réformette) aucune légitimité supplémentaire. Il y a eu pourtant concertation, parole, écoute. Nul n’en parle. Alors que si souvent la critique de la méthode pour réformer fait partie des justifications de refus de la réforme (c’était le cas pour la réforme portée par Darcos : imposition, brutalité, absence de dialogue social, improvisation), le fait que cette proposition de réforme sorte d’une concertation, nul n’en parle.
Voici mon compte-rendu d’une des quatre-vingts rencontres de Richard Descoings dans un lycée d’une préfecture portuaire :
Une soixantaine de personnes, environ 45 élèves et 15 profs. Deux rangs. Pas de table. Plutôt un ovale. En face de Decoings, un prof porte un T-shirt où il a écrit au marqueur : « nous ne sommes pas dupes ». Les intervenants parlent à tour de rôle en prenant un micro. Ils s’inscrivent dans un tour de parole. Les interventions ne se répondent pas (comme souvent quand on s’inscrit dans un tour de parole). Toutes s’adressent à Richard Decoings. Beaucoup d’interventions traitent des langues et disent de manière variée qu’il faut des petits groupes pour apprendre l’oral d’une langue. Une élève dit qu’il vaudrait mieux apprendre bien une langue que deux mal (concentrer l’horaire sur une langue).
Le niveau des préoccupations varie beaucoup. Beaucoup d’interventions sur la surcharge horaire des lycéens.
Une étudiante d’origine asiatique demande de faire de la grammaire au lycée… Un autre parle de ses trois heures de bus. Une autre de ses 9 heures de théâtre, en plus… Des élèves parlent d’une maîtrise insuffisante de la langue française. L’un deux dit même que le collège envoie au lycée des élèves qui n’ont rien à y faire. Le collège est mis en cause de temps en temps. Exemple de mise en cause : la baisse de la maîtrise du français viendrait de la diminution des heures de français au collège.
De temps en temps, des interventions exposant des avis contradictoires font des mini-débats. Sur les filières : pourquoi faire des math jusqu’en première quand on n’aime pas et qu’on veut faire L ? dit une élève. "Le bac est une évaluation de culture générale et doit être le même pour tout le monde." dit une autre. Richard Decoings demande si la lycéenne n’a pas peur, en faisant des choix trop tôt, alors qu’elle aura des manques, de se rendre compte plus tard vers 30 ans qu’elle s’est trompée. Elle précise son avis : il y a des élèves, comme elle, qui savent et ils devraient pouvoir choisir ; tout le monde n’a pas envie et n’est pas capable de s’intéresser à tout. Beaucoup plus tard dans le débat, une élève reviendra sur cette idée, disant que le bac était fait pour la culture générale et que les élèves n’avaient en fait aucune culture générale. Comme si la culture générale que valide le bac n’était pas « intéressante » ou que les élèves en avaient une autre.
Même type de contradiction sur le contrôle continu : une élève est pour et une autre lui répond que le bac est déjà dévalorisé et que le contrôle continu le dévaloriserait un peu plus. Richard Decoings lui demande ce qu’elle entend par dévalorisation du bac, elle répond en fait : dévalorisation de la série L par rapport aux autres.
L’élève qui habite loin et vient en bus établit une équivalence entre le nombre d’élèves par classes, d’une part et la vitesse des acquisitions et la durée réelle du travail des élèves, d’autre part. En substance, on pourrait avoir moins d’heures avec des classes moins chargées et apprendre autant. C’est, me semble-t-il, la seule idée neuve de la réunion.
Le temps passant, les profs parlent plus.
Une prof d’anglais déclare que les stages et les assistants sont de la poudre aux yeux, que les profs ont besoin de classes qui marchent. Decoings dit qu’il dirige une école où l’on fait 25% de langues étrangères et que les stages sont un moyen formidable.
- Bien sûr, tout le monde est d’accord pour dire que les stages sont bons pour apprendre les langues (Elle vient de dire le contraire) Tout dépend quels stages, quels contenus, à quel moment. (Ah oui, bien sûr)
- Combien de langues pensez vous qu’on peut bien apprendre au lycée ?
- Euh… ben… le français, ce serait déjà pas si mal.
- Mais on parlait des langues étrangères, madame. Comme cette élève, pensez-vous qu’il vaut mieux n’en faire qu’une, pour être sûr de vraiment la posséder ? ou pensez-vous qu’on puisse apprendre deux langues étrangères bien ?
- Il faudrait en apprendre, bien, trois ! (mais ! ne vient-elle pas de dire qu’apprendre le Français ne serait déjà pas si mal ?)
Un prof déclare que la réduction des horaires des élèves n’est pas envisageable et est une des causes du blocage. (Elle passait de 34h à 30h dans la réforme Darcos). Il suggère de garder les séries mais avec des passerelles (ce qui, on ne le savait pas à l’époque, est la réforme actuelle… mais bon ! pour une comparaison des deux projets de réforme :
http://www.la-croix.com/Darcos-Chatel—d-une-reforme-du-lycee-a-l-autre/article/2405413/55350). Des comparaisons avec les autres pays arrivent : moins de cours chaque jour et plus de journées travaillées… sorte de rebondissements de l’idée de l’élève qui vient de loin : réflexions qualitatives sur le rythme scolaire.
Un représentant des parents d’élèves dit qu’il n’entend personne faire son mea culpa et interroge la volonté des profs : « Viendriez-vous travailler en été si les journées étaient moins chargées ? » Il dit aussi que l’école est faite pour les élèves.
Un prof tient à lui répondre immédiatement et casse pour cela la succession notée des prises de paroles : « Pourquoi prendre les modèles ailleurs ? Nous avons un excellent modèle, ancien, mais nous avons abandonné beaucoup d’excellentes choses dans ce modèle. Il faut revenir à des choses qu’on faisait dans le primaire autrefois. On essaie de modifier le lycée, ce qui se passe au lycée, alors que les problèmes viennent d’ailleurs. »
Il ne dira pas quelles choses du primaire doivent revenir, « revenir » c’est son mot. Cette école primaire ne conduisait pas au lycée. Peut-être est-ce à cela qu’on sera obligés de revenir, si on veut recréer le passé ?
La prof d’Anglais rajoute que les profs ne sont pas prêts à faire des heures supplémentaires. Cependant, il ne s’agissait pas d’heures supplémentaires, mais d’une autre répartition, sur l’année, du même nombre d’heures. Elle dit aussi que les profs veulent travailler en équipe, dans leur temps de service.
Une prof dit qu’il faut que la réforme soit la même pour tous, selon le principe républicain, et qu’il faut écouter les profs, parce qu’ils savent ce qu’il faut faire.
Le prof qui écrit que les profs ne sont pas dupes n’a rien « dit » d’autre.
Richard Decoings dit qu’il a bien perçu que l’on voulait une réforme globale du lycée, qui englobe l’amont (collège et école primaire) et les finalités. Il dit qu’il faudra trancher entre faire apparaître la réforme par des innovations ou par une réforme qui prévoit tout au niveau national (avec une égalité de tous les établissements) ; qu’on ne peut pas faire les deux en même temps, que c’est l’un ou l’autre ; qu’il entend bien que personne ne dit qu’il ne faut rien faire et qu’il faut cependant faire quelque chose qui ne braque personne…
Là, un prof l’interrompt pour dire qu’en préalable, il faut arrêter la suppression de postes.
L’assistant de Decoings fait 35 propositions qu’il a entendues et en dit la liste. Ça va très vite. Innotable. Parfois, des questions ont été converties en proposition, me semble-t-il. Un petit débat, quelques contestations portent ce nombre à 38. 38 propositions ! Mais les lignes de force ? Quelle réforme peut être tirée de cette réunion ? Et de quatre-vingts réunions de ce genre ?
Dans ce lycée, les élèves ont préparé la réunion en autonomie, par classes volontaires. Ils ont tous reçus une lettre explicative et le lycée leur a ouvert des salles à midi ou dans les temps de permanence. Ils n’ont pas été pilotés par les enseignants. Dans un autre lycée que je connais, les terminales, toutes les terminales et seulement les terminales, ont prévu des questions en cours. Les lycéens ont exprimé des avis très près d’eux, contradictoires.
C’est la démocratie, qu’il faut rassembler dans la République, par la construction d’un intérêt général.
Les enseignants, eux, portent explicitement les problèmes du lycée sur le collège et le primaire. Ils demandent une réforme qui résolve les problèmes mais qui ne les touche pas, ne les frôle même pas.
On voit bien que cela continue et que c’est structurel. On admet qu’un ministre ne peut rien faire sans l’adhésion des enseignants, ce qui est déjà problématique, mais il ne peut avoir l’adhésion des enseignants que s’il ne fait rien.