Réaction au projet de Laurent Wauquiez
Un service social pour les allocataires du RSA, à quelles fins ?
Laurent Wauquiez va proposer un texte de loi obligeant les allocataires du RSA à consacrer cinq heures par semaine à un « service social ». L’idée n’est pas nouvelle et elle suscite des réserves.
D’abord, il faut mettre fin à cette conviction selon laquelle on vit mieux avec le RSA qu’en travaillant, comme à cette autre, largement ancrée et diffusée, selon laquelle les allocataires sont des profiteurs et des fraudeurs. Oui, il existe des situations dans lesquelles l’accumulation des aides et allocations génère un revenu supérieur à celui d’un ménage dans lequel l’un des membres travaille. Mais elles sont peu fréquentes et n’ont aucune signification statistique. Il faudrait éviter de faire des lois pour traiter des situations infimes, à l’instar de ce qui se fait en matière de sécurité depuis quelques années. Oui, il y a des fraudeurs et des profiteurs. Eux aussi sont nettement moins nombreux qu’on ne l’imagine et qu’on veut bien le laisser penser ; et les Départements ont su mettre en place des dispositifs de lutte contre la fraude efficaces, palliant ce que l’Etat n’avait pas fait depuis des années. Et non, on ne vit pas bien avec le RSA et pour le plus grand nombre l’objectif reste d’en sortir.
Ensuite, quelle est la question à laquelle Laurent Wauquiez souhaite répondre ?
Celle de la contrepartie au RSA ? La réponse est déjà donnée par les textes portant création du RSA qui imposent aux allocataires de s’engager dans des actions d’insertion, de formation et d’accès direct à l’emploi. Contrepartie insuffisante ? Pas sur quand on observe la difficulté qu’un nombre important d’allocataires peut rencontrer pour assurer son insertion sociale et professionnelle ; pas sur, au regard de la très forte diminution des moyens alloués en France à l’accompagnement social et professionnel ; pas sur, quand le volume des offres d’emploi disponibles reste réduit et devient portion congrue quand on évoque uniquement celles accessibles à des demandeurs d’emploi peu voire pas formés et ne disposant pas des savoirs de base.
La question est celle du travail des allocataires ? La aussi, la réponse est simple. Une partie des allocataires du RSA travaille déjà mais gagne suffisamment peu pour que l’Etat estime nécessaire de compléter leur revenu. C’est même là l’origine du RSA qui visait à lutter contre le développement des travailleurs pauvres. Une autre partie des allocataires ne travaille pas. La majorité d’entre elle le voudrait, sans aucun doute. Mais ce qui a été dit précédemment sur la situation du marché du travail, a fortiori pour les personnes peu qualifiées, vaut aussi pour ce point-là. La proposition de Laurent Wauquiez pourrait répondre à la faiblesse relative des offres d’emploi disponibles. Mais alors, ce ne sont pas des heures au titre du RSA qui sont à exiger des allocataires. Il faut créer des emplois et les dédier à des demandeurs d’emploi en difficulté, dans des conditions d’encadrement et d’accompagnement qui leur permettent de les exercer ; et si ces emplois visent à satisfaire un objectif collectif, de mieux vivre ensemble, c’est idéal. Et alors, ce que perçoivent les personnes concernées est un revenu et non plus simplement une allocation, et celle-ci peut même diminuer en fonction de la rémunération perçue. Et les allocataires ont alors un contrat de travail avec un employeur – l’Etat ou la Collectivité ou association concernées – et ils sont comptabilisés dans ses effectifs. Cela s’appelle un contrat de travail aidé. Ce n’est plutôt pas une mauvaise idée. On en connaît en France depuis plus de vingt ans. Leur existence traduit une volonté publique de permettre à des gens de travailler, de favoriser leur insertion professionnelle, d’améliorer les services collectifs. La réduction quasiment jusqu’à la disparition des contrats aidés en France depuis 2007 atteste que telle n’est pas l’orientation choisie jusqu’ alors. Et malheureusement, ce n’est pas de leur restauration dont parle Laurent Wauquiez qui porte juste une mesure populiste qui consiste à donner raison à tous ceux qui pensent que les bénéficiaires d’allocation sont des feignants, que leur allocation est une forme d’usurpation et qu’il faut leur imposer de nouvelles contraintes. Comme si la vie avec le RSA n’était pas en soi déjà difficile.
Enfin, dans la logique de ce qui nous est asséné depuis plusieurs longs mois, il était important que le texte que Laurent Wauquiez va proposer évoque la situation des étrangers qui après avoir « égorgé nos fils, nos compagnes » viennent en masse dilapider les caisses de l’Etat providence. Verser des allocations à ceux qui auront travaillé cinq ans (l’idée avancée par le représentant de la droite sociale) est une source considérable d’économie quand on sait l’effectif des étrangers qui ne travaillent pas, travaillent de façon hachée ou enfin occupent un emploi souvent stable mais non déclaré.
En conclusion.
Si l’objectif est de stigmatiser les plus démunis et de considérer qu’ils sont tous des profiteurs ou bien encore de trouver des sources d’économie coûte que coûte, alors la proposition de Laurent Wauquiez est adaptée.
Soit la volonté est de favoriser la sortie du RSA et alors, la réponse se trouve dans la capacité à permettre l’accès à l’emploi pour les plus en difficulté d’entre nous en renforçant les moyens du Pôle emploi, l’offre d’accompagnement social et professionnel, voire en développant des activités en contrat aidé avec possibilités de passerelles. Ce n’est pas nouveau, mais ça fonctionne.
Soit il s’agit de créer des activités à but collectif et alors, la réponse proposée peut être intéressante, à condition qu’elle concerne chacun d’entre nous. Et qu’à l’instar de feu le service militaire on instaure un service sociétal qui imposerait à chacun d’assurer quelques heures dans une année pour rendre un service collectif dans une logique de solidarité (non pris en charge par les services publics régaliens), dans une logique où la solidarité n’appartiendrait pas uniquement à la volonté des uns ou des autres, mais serait partie intégrante d’un projet commun, d’un contrat social partagé.
Fabrice Kehayan
Responsable de politiques publiques d’insertion et d’emploi entre 1994 et 2008
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