Recruter des enseignants au niveau master : quelques avantages, de multiples incertitudes
Lors d’un discours, le 2 juin, le président N. Sarkozy a annoncé que dorénavant les enseignants seraient recrutés avec un master. Cette proposition qui apparaît intéressante dans un premier temps, suscite à y regarder de plus près de multiples interrogations. Au-delà de la méthode habituelle (une annonce faite en l’absence de toute concertation avec les acteurs concernés) se révèle un étrange cocktail : promesses illusoires d’amélioration des rémunérations, remise en question du statut des IUFM, modification des statuts des enseignants. Toutes ces questions et quelques autres, méritent pour le moins un débat.
Recruter des enseignants au niveau master, le projet annoncé le 2 juin par le président N. Sarkozy peut sembler séduisant. Du fait de la prolongation de deux ans de la formation, il laisse entendre une amélioration qualitative. Il renforce le rôle charnière des universités chargées de concevoir et mettre en œuvre ces nouvelles formations. Il promet une reconnaissance réelle des métiers de l’enseignement par une revalorisation financière en début de carrière. Ces trois points devraient provoquer l’enthousiasme des acteurs chargés de la formation des enseignants (universités, IUFM intégrés aux universités, responsables des Capes et des autres concours de l’enseignement) et susciter l’intérêt des étudiants concernés. Pour de nombreuses raisons, ce n’est malheureusement pas le cas.
Afin d’éviter des erreurs d’interprétation, un bref rappel de la situation actuelle s’impose. Les enseignants de lycée-collège obtiennent dans un premier temps une licence disciplinaire (lettres, mathématiques, histoire, géographie, etc.) avant de préparer pendant une année le concours du Capes ; nombreux sont toutefois ceux ayant acquis au préalable un niveau supérieur (master 1, correspondant à l’ancienne maîtrise ; master 2, correspondant aux anciens DEA ou DESS). Une fois admis au Capes, les étudiants deviennent professeurs-stagiaires pendant une année, suivent en alternance une formation pédagogique dans les IUFM et professionnelle dans les établissements scolaires. Au bout de cette année, s’ils ont donné satisfaction, ils seront recrutés et affectés sur un poste en tant que fonctionnaires titulaires. Le cas des titulaires de l’agrégation ne diffère guère de celui qui vient d’être présenté, à la différence près qu’un niveau master 1 est exigé pour se présenter aux concours. Quant aux professeurs des écoles, ils sont depuis la réforme de 1989, recrutés sur un schéma semblable à celui des professeurs de lycées-collèges, une licence étant indispensable, à quelques dérogations près. Leur niveau de rémunération, une fois titularisés, est identique à celui des détenteurs du Capes.
La question de la masterisation des formations aux métiers de l’enseignement avait été envisagée depuis quelques temps et différents groupes de travail avaient proposé de possibles schémas. Deux hypothèses se dégageaient : la première suggérait de donner un équivalent master (total ou partiel, en fonction des cas de figures) à des enseignants ayant obtenu leur Capes, leur agrégation ou leur professorat des écoles. L’hypothèse avait sa logique, ceux-ci ayant pour le moins acquis une licence, suivi une année de préparation au concours, puis une année de formation professionnelle en IUFM (soit 3 + 1 + 1 = 5 ans de formation). Ce schéma laissait la porte ouverte à des reprises d’études, à des aiguillages dans les carrières et à de possibles revalorisations financières. La seconde hypothèse supposait une refonte en profondeur des formations, avec mise en place de masters spécifiquement dédiés aux divers métiers de l’enseignement. En soi, cette hypothèse n’était pas absurde, mais nécessitait en amont un complexe travail de mise en place des équipes pédagogiques, une définition par l’Etat-recruteur du cahier des charges de ces formations et un positionnement explicite du concours. C’est cette hypothèse qui a été retenue par le chef de l’Etat, et annoncée sans concertation préalable avec les principaux acteurs du système. Le choix retenu, au-delà d’une première impression positive, suscite en conséquence de multiples interrogations.
D’abord, l’échéance fixée par N. Sarkozy : les premiers concours nouvelles moutures devraient se dérouler en 2010. Or, la mise en place de nouvelles formations ne peut se faire par un coup de baguette magique. Le système est confronté à des inerties qu’il est impossible d’ignorer. Prenons un exemple précis : l’université de Cergy-Pontoise à laquelle est rattaché l’IUFM de l’Académie de Versailles (cet IUFM est le plus important de France et assure la formation de 10 % des enseignants) doit, pour ouvrir des formations en 2010, les soumettre au préalable à l’agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES). L’offre de formation de l’université est à transmettre, pour cause de calendrier impératif, le 15 octobre 2008 au plus tard. En l’absence d’un cahier des charges précis et de textes stipulant les règles d’organisation des concours, cette échéance paraît difficilement tenable. Les universitaires ont certes pris l’habitude depuis de nombreuses années d’anticiper sur des règles du jeu non explicitées, de deviner les intentions ministérielles, de proposer des schémas alternatifs par approximations successives ; dans le cas présent, le jeu risque de conduire à une totale improvisation. Compte tenu de l’enjeu, est-ce bien raisonnable ?
Deuxième point suscitant des interrogations : l’argument de la revalorisation salariale des futurs enseignants recrutés à bac + 5. Les professeurs certifiés ou professeurs des écoles en début de carrière sont rémunérés 1 562 euros nets par mois (soit 1,55 fois le Smic). Au même stade de leur carrière, les maîtres de conférences en université recrutés à bac + 8, sont payés 1 718 euros nets mensuels (soit 1,71 fois le Smic). Si la volonté présidentielle visant à revaloriser les métiers de l’enseignement est réelle, il serait aisé d’en fournir dès à présent un signe tangible, en commençant par les maîtres de conférences débutants. Par ailleurs, n’occultons pas le fait que les enseignants-stagiaires à l’IUFM bénéficient actuellement d’une rémunération. Le recrutement à bac + 5 la supprimera (gain pour les finances de l’Etat ; perte pour les étudiants). Il est à craindre que ceci ne contribue à tarir les flux d’étudiants se dirigeant vers ces formations, en particulier quand ils sont issus de milieux modestes, à moins que l’Etat ne mette en place des bourses spécifiques et substantielles… En l’absence d’un échéancier précis et de mécanismes de revalorisation financière explicites concernant les métiers de l’enseignement, l’annonce concernant les seuls futurs recrutés à bac + 5 apparaît davantage comme une promesse dénuée d’engagement.
Dernier point et non des moindres, recruter des enseignants ayant obtenu des masters n’induit-elle pas une mutation en profondeur de l’Education nationale ? Dans la situation actuelle, les classes du primaire ou du secondaire ne sont pas confiées à des étudiants venant d’obtenir une licence générale. Lorsque ceux-ci sortiront d’un master (qui ne pourra qu’être professionnel), ils auront validé des compétences disciplinaires et fait la preuve, selon des modalités à définir, de certaines compétences pédagogiques. En conséquence, rien n’empêchera de les recruter, comme cela se fait au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas, avec le seul master. Dans ce cas, il suffira de prévoir des contrats de type CDD ou CDI, en fonction des missions. Les chefs d’établissements scolaires (écoles, collèges, lycées) pourraient voir leurs compétences renforcées et obtenir cette nouvelle responsabilité. Deux populations d’enseignants pourraient ainsi coexister : quelques-uns recrutés par concours après master et ayant un statut de fonctionnaire, côtoyant de nombreux enseignants contractuels recrutés avec le seul master. Ce dernier mode de recrutement aberrant fonctionne de façon assez efficace dans de nombreux pays, il n’est pas en soi, mais compte tenu des spécificités du modèle français, il serait pour le moins pertinent d’amorcer ce débat dans la plus totale clarté. À défaut, risquent de surgir de nombreux malentendus, contre-productifs pour la cohérence même du système.
En conclusion, envisager de transformer en profondeur les mécanismes de recrutement des enseignants, en redéfinissant le rôle des IUFM intégrés aux universités ainsi que le contenu des formations, constitue un objectif pleinement acceptable. Toutefois, il ne peut être envisagé de le faire en l’absence des principaux acteurs concernés par la mise en place de ces formations. Laisser dans l’opacité les finalités de cette réforme structurelle ainsi que les moyens à mettre en œuvre ne peuvent que susciter les plus vives inquiétudes qu’il serait aisé de désamorcer, avec un minimum de travail en équipe et un sens de la pédagogie…
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