Réflexions sur le lien idéologique entre néolibéralisme et répression routière, partie 3 (billet invité)
Par Rodolphe DUMOUCH, enseignant de biologie-géologie et géographe ruraliste.
Suite du premier et du second papier
Le conservatisme néolibéral : faire une société plus propre à défaut d’une plus juste
Ce conservatisme éclate en pleine lumière quand, dans certaines villes de gauche, s’applique avec le moins de discernement les règlements municipaux, avec un côté « faire la discipline dans la rue », qui caractérise habituellement l'idéal médiocre de la droite bête à la Robert Ménard. Ainsi, à Charleville-Mézières, l’ancienne mairie de gauche a été renversée par les électeurs notamment à cause du caractère infernal que prenait la circulation, avec le stationnement payant qui remontait les rues chaque année comme la gangrène remonte une jambe. Il y avait aussi les verbalisations faites à la sortie des écoles, au moment où les parents venaient rechercher leurs enfants Le nouveau maire, Boris Ravignon (LR), a assoupli largement les conditions de stationnements. Cette dégénérescence de la gauche vers le formalisme, l’obsession règlementaire et disciplinaire – à laquelle on pourrait ajouter de nombreux autres exemples – procède d’une perte profonde de ses idéaux. Ayant renoncé à faire une société plus juste, elle désire désormais en faire une plus propre. Une société sans crottes de chiens, sans linge aux fenêtres, sans fumée dans les bars, sans gros mots sur Internet et où les bagnoles sont bien garées au carré : autant d’idéaux enthousiasmants, progressistes et capables de mobiliser massivement la jeunesse…
Tout cela pourrait être regroupé sous un néologisme géographique : la singapourisation de la France. Singapour, monde urbain ultralibéral, qui plaît aux bobos parisiens, où la voiture est proscrite sauf à débourser plusieurs milliers d’euros par jour et où on pratique encore les châtiments corporels dans les écoles (c’est d’ailleurs le nouveau modèle scolaire à la mode chez les macronistes).
Et Au-delà de la question des transports, ces faits sont à mettre en parallèle avec les normes de Bruxelles. Des normes obsédées par la seule sécurité physique ou par la peur du microbe : interdiction des toboggans anciens au cas où on se ferait une égratignure, interdiction des fromages au lait cru séchés sur bois, interdiction des escargots au saloir (obligation d’une chaîne du froid)… Ils vont même jusqu’à mettre des dates de péremption sur le sel de pharmacie, alors que même un cancre en sciences sait que le sel ne se périme pas (sinon, imaginez l’état des potasses d’Alsace !). C’est un hygiénisme maladif, psychotique, qui provient du cerveau malade des eurocrates de Bruxelles ; mais pendant qu’ils s’occupent ainsi de notre « sécurité », ils détruisent progressivement toutes les mesures de sécurité économique et sociale. Les normes édictées par ces « chieurs d’encre » (Emile Zola) sont inaccessibles sans un certain niveau de revenus, excluant de fait une partie de la population. Plutôt que de voir quelqu’un dans un logement qui n’est pas aux normes, les eurocrates préfèrent le voir à la rue. C’est exactement l’esprit du nouveau contrôle technique, qui privera de nombreux habitants de la France périphérique de leur moyen de déplacement.
Dégrader la géographie des populations : le contrôle social par l’espace
Toutes ces mesures vont compliquer et renchérir les déplacements des habitants de la France périphérique. L’objectif est de les entasser encore plus dans les villes, ce qui fait augmenter les prix de l’immobilier et profite à une caste de « gagnants de la mondialisation ». Christophe Guilluy a déjà parfaitement analysé ce processus. Cette évolution aboutira à réserver les déplacements, la « mobilité » à l'oligarchie, tout en culpabilisant l'habitant des villages parce qu'il n'est pas assez « mobile », vulgate macroniste à la mode. Ce « bouge-toi », véritable crachat à la figure des classes populaires, chanté il y a quelques années par les Enfoirés, gavés et nantis du showbiz qui nous font leur moraline annuelle doublée de la nullité artistique de leurs navets.
Ceux qui organisent l’enclavement de la France périphérique ont parfaitement compris l’importance de la dimension spatiale dans la société et on peut les soupçonner d’en jouer pour asseoir leur domination. Il faut ajouter à cet enclavement qui résultera de ces mesures des effets cybernétiques aggravants, qui vont conduire à la complication de la vie quotidienne. Il faut savoir que lorsque l’on allait à pied, les géographes ont constaté que les gens habitaient à moins d’une heure de marche de leur lieu de travail ; quand le vélo est apparu, ils étaient à moins d’une heure de vélo et quand la voiture est apparue, ils se sont éloignés à une heure de voiture. Or, actuellement, beaucoup vivent en tension, à la limite des contraintes possibles : donc ajouter un facteur de quelques pourcents peut faire basculer les situations. Songeons par exemple à celui qui dépose ses enfants à l’ouverture de la garderie (mettons 7h30) et arrive juste à 8h00 à son travail, de justesse. Dans ces conditions, oui, 2 minutes, ça compte… Les gens vivants souvent de façon de plus en plus serrée dans leur organisation, les conséquences seront importantes. Cela est une certitude, alors que la baisse de la mortalité n’en est pas du tout une. Mais c’est trop demander à un technocrate incompétent que de réfléchir à ce genre de question hors de son confort mental. Quant à la sécurité routière, plutôt que d’ajouter des contraintes, elle gagnerait à prendre en considération ce genre de situations et le stress qui en résulte, générateur d’accidents, plutôt que de tout axer sur le répressif.
Mettre ainsi les populations sous pression, cela va aboutir à fabriquer de la chair à managers, docile et malléable, déracinée de ses territoires (obligée de déménager), qui ne conteste pas et attribue à lui-même, à sa propre faute, sa pauvreté plutôt qu'au système économique. Cela procède donc d’une une forme d'ingénierie sociale et spatiale, pour fabriquer du consentement et aggraver les effets de la métropolisation. S’y ajoute l’intériorisation de l’acceptation de la répression, très facilement manipulables à coups de spots-télé montrant des petites filles en pleurs… Voilà ce qui se cache derrière ces mesures pour entraver les déplacements quotidiens des populations : l’accélération du mondialisme néolibéral.
Les caractéristiques de la métropolisation néolibérale mondialiste ne sont pas sans rappeler ce que firent les physiocrates puis les continuateurs de la Révolution Française en obligeant les paysans sans terre à venir former un prolétariat urbain. Aujourd’hui, le moyen de pression pour accentuer la métropolisation, ce sont les contraintes contre l’automobile. Sous le double maquillage de la sécurité et de l’environnement.
La bureaucratisation néolibérale (Béatrice Hibou)
A ce stade de cet argumentaire, il apparaît clairement qu’on peut établir un lien entre l’idéologie mondialiste néolibérale et toutes ces mesures qui visent à dégrader, à rendre plus cher, plus et plus compliqués, à mettre en tension les déplacements des populations rurales et villageoises.
Il n’y a guère de paradoxe à constater le caractère bureaucratique, normatif, vétilleux et réactionnaire de ce néolibéralisme, notamment du néolibéralisme des eurocrates. Un excellent livre de Béatrice Hibou, La Bureaucratisation néolibérale (Paris, La Découverte, 2013, 326 p, ISBN 9782707185983) en fait la brillante démonstration. Elle analyse le fonctionnement des organisations, les procédures, les « audits », la perte du sens dans les métiers le fonctionnement pathologique qui aboutit à des aberrations comme le licenciement d’un maître-nageur qui avait sauvé quelqu’un en dehors du périmètre assigné par son chefaillon…
Béatrice Hibou a une formation de politiste et de sociologue. Les mesures concernant les transports relèvent, de par leurs conséquences, de la géographie sociale. Cet essai est ainsi une ébauche de prise en compte de la dimension spatiale de la bureaucratie néolibérale.
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