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SDF : la situation vue par un sans-abri américain lors de la commémoration des « Morts de la rue »

Mercredi 26 novembre, tandis que le collectif « Les Morts de la rue » commémorait à 18h, place des Innocents aux Halles, la mort de 150 SDF ces 6 derniers mois, un sans-abri américain donnait son point de vue iconoclaste sur la situation des sans-abris en France.

 À chaque fois que la jeune fille allume une bougie posée sur les silhouettes de papier blanc, couchées sur le bitume, le vent, qui souffle à 13 km/h, l’éteint. Alors elle la rallume, sous des rafales de photographies. Entourée par 150 pancartes où figurent les noms des 150 SDF morts ces 6 derniers mois, elle attend, comme tout le monde, le discours du collectif « Les morts de la rue », à 18h. Il y a encore peu de monde, les passants s’arrêtent, prennent un tract, puis repartent. Les membres de l’association font des essais sur la sono, se demandent où est passé le camion qui distribuera les collations, soufflent dans leurs mains car il fait 3° C. Le plan grand froid n’a pas encore été déclenché, pourtant, 5 SDF ont été retrouvés morts de froid le mois dernier au Bois de Vincennes.

« On peut filer une pièce et se casser. C’est comme détourner la tête »

Si le groupe « Les morts de la rue » donne le chiffre de 150 morts pour ces 6 derniers mois, l’association Emmaüs en annonce 275 pour l’année entière. Francis, venu commémorer les morts comme tous les autres membres du collectif, nous explique que c’est en amont qu’il faut travailler, et, « qu’en honorant les morts, on agit aussi pour les vivants. » Depuis 2002 et deux fois par an, « Les morts de la rue » font des actions de ce type, « dans les lieux où il y a du passage, comme le Trocadéro, le parvis de Beaubourg, etc. On voudrait sensibiliser les gens, leur demander ce qu’elles pensent de la personne qui habite en bas de chez eux. Les SDF ont besoin de considération, de contact humain. On n’attend pas forcément des donations ce soir. On voudrait juste que les gens réfléchissent. On peut filer une pièce et se casser. C’est comme détourner la tête. La personne qui habite en bas de chez vous, elle existe bel et bien. Si elle est dans un état pas possible, on ne peut pas communiquer, certes, mais on peut peut-être attendre un autre moment, pour simplement s’asseoir deux secondes et parler. Mais il ne faut pas être condescendant ni avoir de la pitié, parce que la pitié, c’est ce qu’il y a de pire. »

Quant aux revendications, Francis explique qu’il aimerait « plus d’accompagnement pour les gens qui sont dans la précarité, mais surtout, ne pas créer de situations de précarité ! C’est en amont que ça se passe. Quand une personne perd son emploi et son logement, elle peut se retrouver à la rue en 3 mois. » Avant que ne commence la cérémonie, Francis conclut, amer : « On est dans un monde qui est de plus en plus dur. Il n’y a pas de pitié. Soit on marche, soit on crève. Je demanderais aux politiques de prendre en considération l’être humain et sa situation. »

« C’est un choix d’être un voyageur, mais pas de dormir dans la rue »

Plus d’accompagnement pour les gens en situation précaire : c’est justement le souhait de Christine Boutin, ministre du Logement, qui veut qu’en cas de grand froid, les SDF soient obligés de coucher dans des foyers... Cependant, tout le monde n’a pas le droit d’accéder à un lit en cas de températures négatives. Ainsi, Edward, un sans-abri américain, confie dans un anglais de gentleman, sous sa moustache rousse : « Je n’ai pas le droit de dormir dans les foyers parisiens, car ils sont réservés aux Français. Mais je trouve ça normal. Bien sûr, je n’ai pas de quoi me payer un hôtel. » En tant qu’étranger, Edward ne peut pas travailler en France. Il gagne tant bien que mal sa vie en tant que musicien. Il chante et joue de la guitare folk, reprenant les classiques des Beatles, des Doors, de Led Zeppelin ou encore de Bob Dylan. Parfois, il arrive à jouer dans les pubs irlandais, ce qui lui permet de faire tourner son chapeau à la fin de la représentation. Tandis que « Les Morts de la rue » égrainent depuis leur pupitre les noms des morts, Edward donne son « salaire » : « Je me fais dans les 10 euros par jour. Parfois, ça peut aller jusqu’à 20 euros, mais c’est très rare. Hier soir, j’ai joué au Pont d’Arcole, de 21h à 23h, et j’ai gagné 3 euros. Après, je dors dans la rue, sur les bancs des quais de Seine. Le reste de la journée, je joue là où il y a du monde. Je n’ai pas froid, sauf aux mains, car je ne peux pas porter de gants en jouant de la guitare. Au Canada, le froid était horrible. 50 personnes sont mortes durant l’hiver dans la ville où je jouais. » Mais pourquoi donc Edward a t-il choisi la France ? « Pour la musique ! Tout le monde me dit d’aller en France. Je ne sais pas si les gens y sont plus généreux qu’ailleurs. C’est ridicule, mais j’ai la conviction que quelqu’un m’attend à Paris, que quelqu’un veut que je sois là. C’est un choix personnel d’être un voyageur. Ces dernières années, j’ai parcouru 22 pays européens. Je suis un musicien, un voyageur, un beatnik peut-être, mais ce n’est pas un choix de dormir dans la rue. Je préférerais travailler et avoir un toit, certes, mais en tant que musicien. »

« La France est très avancée en ce qui concerne l’hygiène »

Pour tout ce qui concerne l’hygiène, Edward pense que la France « est très avancée par rapport aux autres pays. À Paris, il y a des toilettes publiques partout, et des douches publiques très peu chères aussi. C’est un luxe pour un clochard de prendre une douche ! En Amérique, toutes les villes n’ont pas ce genre de dispositifs. » Le plus gros problème d’Edward reste d’avoir froid aux mains quand il joue. « C’est pour ça que j’aimerais bien, en plus de jouer dans les pubs quand c’est possible, jouer dans le métro. J’ai appelé le service de la RATP qui s’occupe de ça, mais je ne comprend rien, c’est une messagerie en Français ! Tu peux les appeler pour moi ? »

La nuit est maintenant tombée, il fait 2°C et chaque panneau où figure le nom d’un SDF mort est porté par un volontaire. Les affiches sans nom, qui comportent juste la mention « un homme » ou « une femme » et la date et le lieu du décès, font partie des SDF inconnus. Les bénévoles des « Morts de la rue » les honorent, ainsi que tous ceux dont personne n’a réclamé le corps, en leur offrant chaque semaine au cimetière de Thiais une cérémonie laïque. « On lit un texte spirituel, mais pas religieux, et on dépose une fleur », explique Francis. Cette action d’hier aux Halles, avec ses silhouettes, ses tracts, ses bougies et ses hommes et femmes-sandwichs représentant les morts, aura peut-être permis aux gens de la classe moyenne, sur qui le vagabondage « peut tomber sur le coin du nez à chaque instant », selon Francis, de reconsidérer, avec plus d’humanité, « la personne qui est en bas de chez nous ». Mais si l’Américain Edward avait parlé à Francis, ce dernier aurait ouvert de grands yeux en l’entendant dire qu’en France, « ce n’est pas si mal d’être un sans-abri ».

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