Se suicider est un manque de savoir être, mais c’est aussi une façon de faire savoir
En attendant la publication de LA PULSION DE MORT, je propose ce texte un peu plus ancien intitulé se suicider est un manque de savoir être, mais c’est aussi une façon de faire savoir.
En effet, des événements récents ont rendu ces textes d'une actualité brûlante.
Une société anonyme employant des fonctionnaires fait les titres des journaux, désormais, moins pour les variations de son cours boursier que pour la croissance continue de ses auto réductions de personnel.
KAROCHI & HARAKIRI
Modèle économique pendant plus de 30 ans, le Japon a aussi stupéfié le monde par quelques rituels et pratiques, par quelques comportements humains. On savait par le cinéma que la dignité exigeait parfois que l’on se coupât un doigt si l’on était un peu yakusa. Et on savait déjà par ouï-dire que l’honneur exigeait d’un général vaincu qu’il se fit harakiri (Hiro Hito cependant ne se donna pas cette peine et on regrette aujourd’hui que tant de banquiers prennent exemple sur lui).
Depuis la fin du siècle dernier, c’est le karōshi qui est au goût du jour[1] Ce comportement est nommé burn-out par les anglo-saxons. Brûlure de l’idéal par des universitaires français.[2] Et syndrome d'épuisement professionnel par des spécialistes de la santé.
On pourrait penser que les suicidés contemporains pratiquent un mixte de ces deux comportement. Ont-ils pris trop au sérieux le discours managérial : savoir, savoir-faire, savoir-être, savoir-résister au stress, à la pression, au mépris ? Ont-ils pris à la lettre le challenge : se dépasser ou trépasser.
Un peu de sérieux, s’il vous plait ! Et de la dignité !
Bien sûr, la décision de mettre fin à ses jours (et à ses ennuis) ne peut être réductible à une seule cause, fût-elle présente, comme le malaise ou le mal-être au travail. C’est ce que ne manquent pas de rappeler dans des communiqués graves les experts en ressources humaines, psychologues appointés et commissaires politiques des entreprises contemporaines. En effet, d’autres solutions sont envisageables quand la pression du travail[3] devient insupportable : la démission, l’essaimage, la prise d’otages des responsables présumés. Mais on a vu que le dernier de ces comportements est généralement stigmatisé. Peut-on seulement se livrer à la destruction de biens matériels (ordinateurs, imprimantes et consoles déprimantes) quand des vies sont brisées ? Non, seuls l’essaimage et la démission sont des décisions correctes.
Convenons cependant que le suicide est une façon de faire savoir « comme on nous parle » : la mise en cause d’un certain management qui prétend nous convaincre qu’une (re)mise en question sans fin de notre vie, de notre être, serait nécessaire à notre survie, à notre bien-être, en entreprise.
[1] Le karōshi (過労死, lit. « mort par sur-travail ») désigne la mort subite de cadres ou d'employés de bureau par arrêt cardiaque suite à une charge de travail ou à un stress trop important. Le karōshi est reconnu comme une maladie professionnelle au Japon depuis les années 1970.
[2] Nicole Aubert et Vincent de Gaulejac : Le coût de l’excellence (1991)
[3] Pression l’exercice du travail, mais aussi dans la recherche d’un travail, d’un poste, etc…
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