Semaine scolaire : un inquiétant réaménagement
Paradoxe : le réaménagement de la semaine scolaire ajoute une demi-journée de classe mais reconduit à l'identique, voire réduit légèrement, le nombre d'heures consacrées aux apprentissages.
Le GRIP partage l'inquiétude qui s'est exprimée à ce sujet sous diverses formes au sein de la profession. Accompagné d'une territorialisation génératrice d'inégalités, ce réaménagement en trompe l'oeil, s'il est appliqué, continuera à fragiliser l'acquisition des savoirs de base. Le GRIP demande au contraire que soit engagée la reconquête indispensable du temps scolaire.
Lire ci-dessous la réaction de Catherine Huby, professeur des écoles, membre du CA du GRIP.
Je fais partie de ceux qui trouvent, et qui trouvaient déjà en 2008, mais aussi en 1989, qu’on diminuait trop les heures de CLASSE des élèves.
J’ai « pleuré » mes matinées du samedi quand on a commencé par m’en enlever une sur trois, puis une sur deux puis toutes !
Avant 1989, c’était le jour du « journal », où mes élèves rédigeaient leurs articles, par petits groupes inter-âges (j’avais une classe unique de 20 à 25 élèves de 6 à 11 ans), c’était aussi le jour de la « foire à l’aide », chez mes plus grands.
Chacun de mes « grands » (CE2, CM1, CM2) repassait son « cahier de classe » et s’inscrivait pour une demande d’aide pour un exercice mal compris et, dans la deuxième colonne, pour une proposition d’aide à un camarade sur une notion qu’il maîtrisait bien.
Pendant ce temps-là, mes « petitous » (CP, CE1) écrivaient avec moi une « histoire » que nous joignions ensuite au journal…
C’était le bon temps !
D’autres années, lorsque j’exerçais en maternelle, avec le collègue qui avait l’élémentaire, l’ATSEM et un ou deux parents (eh oui, souvent les parents ne travaillent pas le samedi et peuvent donner du temps à l’école), nous avions organisé des ateliers de bricolage réunissant les élèves de la Petite Section (enfants de deux à quatre ans) au CM2 ! Du tricot à la construction de la cabane (démolie depuis, à cause des normes) en passant par la couture, le jardinage, le modelage, que sais-je encore, c’était extraordinaire.
Et après la récréation, traditionnellement, c’était le « conseil » (de coopérative, bien sûr).
Toute l’école, trois classes réunies dans la salle polyvalente pour échanger, commenter, programmer, raconter… La démocratie en action, quoi, pourrais-je dire modestement !
Puis, ils en ont supprimé un sur trois. C’était encore faisable, mais c’était boiteux…
À un sur deux, ça a réduit encore l’éventail des possibilités. Un journal qui récapitule une fois la semaine passée, puis une autre fois la quinzaine échue, c’est illisible pour des enfants. Un conseil qui n’a pas lieu toutes les semaines, pareil !
Quant à laisser traîner un truc pendant deux semaines de vacances plus une semaine sans samedi, c’est bien trop interminable pour que ça intéresse encore, même la maîtresse d’ailleurs.
Enfin, on nous l’a carrément enlevé, notre samedi.
Nous n’avons plus vu le « deuxième parent », celui qui n’a pas la garde et vient maintenant récupérer son enfant chez son ex, le vendredi soir tard, après sa journée de travail et son
trajet. Nous avons tout organisé nous-mêmes parce que nous n’avons plus de temps de reste, plus de conseil, plus de journal, plus de projets intercycles.
Et le reste de la semaine, nous courons, nous courons, nous courons !
Et ceux qui en souffrent, ce ne sont pas ceux qui, à la maison, peuvent trouver de l’aide quand ils patinent un peu. Ce ne sont pas non plus ceux qui sont à l’aise et ne souffrent de ces 24 heures chrono, deux fois plus vite qu’à La Redoute, que parce que l’école n’a plus le temps, sans sacrifier les fondamentaux, de leur offrir le superflu, les ateliers de bricolage ou de création poétique, le conseil de coopé ou l’atelier d’aide mutuelle.
Alors oui, si on me rend mes 27 heures de classe (en me supprimant en contre-partie les heures institutionnelles dont on m’a gratifiée en m’enlevant la totalité des élèves 108 heures par an en plus des 36 heures perdues en 1989), je considérerai que je peux faire l’effort, même si je trouve dommage que certains de mes élèves n’aient jamais pu me présenter leur père ou leur mère, de revenir le mercredi matin.
Mais si, en échange de 45 minutes de moins par jour en classe, pendant lesquelles mes élèves seront « gardiennés » avec tous leurs camarades dans la cour de l’école par un personnel municipal sans doute dévoué mais bien dépourvu, je dois étaler sur 4,5 jours les malheureuses 24 heures (et même peut-être 23), franchement, non, je n’en vois pas l’intérêt.
Je précise que je travaille dans une petite commune de moins de 500 habitants qui n’embauchera personne et continuera à faire garder les élèves par le personnel existant (une personne le matin, deux pendant l’interclasse de midi, une personne le soir, pour environ 60 enfants de 2 à 11 ans inscrits) tout simplement parce qu’elle n’aura pas d’autre solution.
J’aurais encore des milliards de choses à dire, la sieste des petits de maternelle (couchés à 14 heures 15 ?), les après-midi raccourcis qui ne permettront plus les sorties cinéma ou théâtre (1 h 30 de spectacle et deux fois 45 minutes de trajet, c’est trop), le temps où l’on se pose et où, tranquillement, à travers des activités différentes, la maîtresse aide au transfert des connaissances, les enfants lents que l’on presse sans arrêt, du cartable qu’on vide à la date qu’on écrit, du blouson qu’on enfile aux vers du poème à apprendre, …, tous ces petits riens qui faisaient que la classe, celle où l’on vivait 27 heures par semaine, était une deuxième maison et l’enseignant un référent à part entière.
Nos petits, on va nous les trimballer d’une personne à l’autre et certains d’entre eux, ceux qui arrivent à l’ouverture du périscolaire et repartent à sa fermeture, dans leur journée de dix heures, auront passé plus de temps « gardés » qu’éduqués et instruits !
Encore une fois, j’ai mal à mon école et comme d’habitude, cela m’occasionne des douleurs dans l’aile gauche !"
Catherine Huby, professeur des écoles, membre du CA du GRIP
Janvier 2013
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