Des qualités requises bien précises
Pourtant, et comme l’annonçait, par exemple la DGSE (le service de renseignement extérieur de la France) sur son site, « quel que soit votre profil, vous pouvez envisager une carrière »…
En effet, contrairement à ce que l’on pourrait penser, les services secrets cherchent en majorité du personnel « de bureau » dont le travail serait « d’une normalité effrayante ».
« Pas de James Bond à la DGSE… »
Les qualités requises sont bien précises et il est clair que l’on ne veut « pas de James Bond à la DGSE ». C’est ce que déclare un recruteur de la célèbre « boîte »* ajoutant même que « la légende de l’espion type 007 est une très mauvaise raison » pour y rester.
Dans la même lignée, Jean Jacques Cécile, (ex-agent secret aujourd’hui reconverti dans le journalisme et l’écriture) explique que, pour se lancer dans l’espionnage, il ne faut surtout pas être mythomane car la DGSE « n’as pas besoin de Rambo ».
On l’aura bien compris, si vous vous imaginiez vivre de folles aventures dans des pays exotiques entouré de belles femmes, achevant chaque journée par un Martini dry, passez votre chemin !
Aujourd’hui (et depuis toujours), les services secrets français cherchent avant tout des personnes alliant des compétences techniques très précises et certains traits de caractères tels que la stabilité émotionnelle, la discrétion ou encore l’esprit patriotique.
Si l’on se rend sur le tout nouveau site de la DGSE on peut s’apercevoir que les « profils recherchés » sont assez variés, voire inattendus. En tête de liste figurent les métiers d’ingénieur informaticien, analyste programmeur, crypto-mathématicien mais également ceux de magasinier, standardiste, comptable et traducteur. La « boîte » recrute donc principalement dans les domaines scientifiques et techniques.
Deux voies d’entrée sont ensuite possibles pour intégrer ces services : la filière « intégrée » réservée aux personnel déjà militaire et le concours pour les civils (qui représentent 2/3 des effectifs).
Outre une connaissance aigue de son domaine, le futur agent devra en outre présenter des « qualités bien particulière » **. Pour cela, après avoir passé des épreuves théoriques similaires à un concours classique, le candidat sera soumis à des tests psychologiques durant une journée entière ainsi qu’à une étude poussée de son environnement familial. Appelée « enquête de moralité », cette étude de l’entourage du candidat vise à déterminer si, oui ou non, la personne est digne de confiance et donc apte à l’habilitation secret défense.
Devenir agent des services secrets n’est donc, certes, pas si simple mais finalement beaucoup plus accessible que l’on pouvait l’imaginer.
Mais alors, puisqu’il n’est pas si ardu de postuler au métier d’agent secret, pourquoi toujours aussi peu de candidats se présentent au concours chaque année ?
Des services secrets en manque d’agents et d’argent …
Depuis plusieurs années déjà, la DGSE peine à recruter et beaucoup de postes restent vacants (80 pour l’année 2007) alors que le besoin se fait pourtant cruellement sentir. Comparé à d’autres pays comme l’Angleterre ou Israël, la France dispose d’effectifs très réduits et le nombre de personnes travaillant activement sur les dossiers dits « sensibles » se porterait à peine à 200.
Il faut dire que si l’Etat, et notamment Nicolas Sarkozy, avaient affiché la volonté de faire du renseignement une des priorités dans le domaine de la Défense, le budget alloué à la DGSE (principal service français) reste très faible, jusqu’à 3,5 fois moins élevé que celui de nos amis anglais. Concrètement, par exemple, en 2008, ce dernier s’élevait à 0,9% du budget de la Défense, représentant lui-même 2% du budget annuel global.
Autrement dit, les services secrets français manquent d’argent.
Est-pour cela qu’ils peinent tant à recruter ? En partie certainement…
En effet, difficile de paraître compétitif face à des entreprises privés qui, pour le même degré de compétence demandé, affichent des salaires bien supérieurs.
Comme le décrit un recruteur de la DGSE lors d’une interview accordée au site internet RUE89, un agent gagne « plus que dans l’Education Nationale mais moins qu’à Bercy ». Effectivement, le salaire moyen d’un agent des services secrets français se situerait dans les 3 000 euros mensuels.
Pour beaucoup d’agents interrogés, la « rétribution symbolique » serait un atout majeur à la volonté d’intégrer les services secrets. Plus que de l’argent, on viendrait alors chercher ici la satisfaction d’avoir participé à des opérations secrètes d’utilités publiques. Comme l’évoque cet agent déclarant solennellement « -Ici, on sert l’Etat, la République, l’intérêt général. C’est autre chose qu’une entreprise privée vouée à faire des bénéfices. »
« -Ici, on sert l’Etat, la République, l’intérêt général. C’est autre chose qu’une entreprise privée vouée à faire des bénéfices. »
Mais un autre problème est aujourd’hui pointé du doigt par les spécialistes : le manque de communication. En effet, malgré leur toute nouvelle politique d’ouverture, les services secrets français semblent avoir du mal à communiquer sur leurs activités ou tout du moins leur recrutement.
S’ils viennent tout récemment d’inaugurer leur nouveau site internet, accompagné d’un logo flambant neuf, l’arrière de la boutique semble en revanche avoir peu changé.
Comme l’explique Jean-Paul Ney, spécialiste des questions du renseignement, « La DGSE doit absolument évoluer et communiquer si elle veut recruter. ». Malgré le lancement récent d’un site web, les reportages télévisés annuels qui lui sont consacrés se comptent sur les doigts d’une main et l’organisme n’est à l’heure actuelle, toujours pas doté d’un porte parole. Il n’est donc pas exagéré d’avancer que la DGSE reste très en retard en matière de communication et de relation publique.
« La DGSE doit absolument évoluer et communiquer si elle veut recruter. »
Par-dessus le marché, la DGSE souffrirait, en interne, d’une réputation des moins enviables.
Chez les militaires, il n’est pas rare que l’on y soit envoyé pour être puni et l’esprit d’innovation de certains décisionnaires se serait apparemment arrêté aux méthodes utilisées lors de la Guerre Froide.
Pire, sur le blog « dgse1.blogspot.com », tenu par un anonyme prétendant relater des témoignages d’employés à la DGSE, on peut lire que certains sous-officiers conseilleraient ouvertement de « ne pas venir dans cette maison » puisqu’il n’y aurait « aucun avenir ».
Climat morose donc, pour les services secrets français. Le mythe de l’espion en prend un coup…
Comme le résume parfaitement Jean-Paul Ney, si la DGSE a du mal à recruter c’est pour 3 raisons : elle n’arrive pas à aligner ses offres de rémunération sur celles du marché, elle ne communique pas assez » et « elle doit redorer entièrement son image de « marque » si elle veut attirer les meilleurs éléments ».
Si nos services secrets français semblent subir une période de crise sans précédent, d’autres pays n’hésitent pas à employer des méthodes de recrutement pour le moins étonnantes…
Face à la pénurie, des méthodes de recrutement surprenantes :
A l’image de ces annonces que l’on peut trouver sur le réseau social Facebook proposant d’intégrer le MI6 *** ou encore de cette campagne publicitaire lancée sur une radio anglaise pour recruter des espions de confession musulmane, les techniques de recrutement se modernisent chez les services secrets étrangers.
Avançant des avantages tels que la défense des intérêts du pays ou encore une influence sur le cours des évènements mondiaux, ces campagnes médiatiques tonitruantes visent avant tout un public jeune.
« Des campagnes de recrutement à grand renfort de bannière publicitaires »
Est-ce donc cela le nouveau visage de l’espionnage ? Des campagnes de recrutement à grand renfort de bannière publicitaires ? C’est la méthode que semblent avoir adoptés nos voisins anglophones.
Comme l’a avoué récemment le directeur général du MI5 (voisin du MI6) devant une commission parlementaire, « une partie des équipes actuelles » ne serait pas exactement les employés qu’il « envisage pour le futur ». L’organisme serait donc à la recherche de profils jeunes et dynamique, notamment dotés « d’agilité numérique ». Un plan de départs volontaires ou forcés a donc été mis sur pied, poussant à la porte les espions aux tempes grisonnantes et aux méthodes dépassées.
Désormais, en un simple clic, le citoyen lambda rêvant d’une carrière d’espion peut tenter sa chance.
Aucune statistique ni aucun retour n’a été communiqué à ce jour sur l’impact réel de telles campagnes. Il n’en reste pas moins que cela ne semble pas être l’orientation choisie par la DGSE.
Plus discrète, l’agence française de renseignement est toutefois présente dans certains forums de rencontre étudiants /entreprises organisés par des grandes écoles telles que Science Po où elle peut approcher des profils intéressants. Il paraitrait même que Science Po deviendrait « tendance » au sein de la DGSE…
« …il semble difficile pour le renseignement de se frayer un chemin vers la reconnaissance. »
Malheureusement, la France reste un pays où les services secrets souffrent d’une image assez négative, à tort ou à raison. Le chemin s’avère donc encore long et escarpé pour la DGSE. Comme l’illustre très clairement cette citation de l’Amiral Lacoste dans « Un Amiral au secret » : « La culture du renseignement français sera longtemps tributaire d’une morale intellectuelle héritée du siècle des Lumières. La méfiance, le dégoût et la fascination semblent ancrés dans l’inconscient collectif. Dans cette dialectique quasi freudienne, entre « totem et tabou », il semble difficile pour le renseignement de se frayer un chemin vers la reconnaissance. »
Entre attirance et rejet, fascination et dégoût, phantasme et réalité, le monde opaque des services secrets n’a pas fini de faire parler de lui. Mais chut…on nous écoute peut être…
L’espion français en chiffre :
- 25 % : sont des femmes
- 41 ans : moyenne d’âge
- 3 000 euros : salaire moyen
- 4500/4600 : nombre d’employés des services secrets en France
- 0,007 % : pourcentage de la population française travaillant dans les services secrets (drôle de hasard !)
- 544 millions d’euros : budget annuel de la DGSE
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