Si je détestais les pauvres, j’adorerais le SMIC
En tant que libertarien je suis opposé à l'intervention de l'état dans l'économie, les contrats ou le marché du travail. Pourtant, si je détestais les pauvres, je ferais probablement une exception en soutenant et en célébrant le SMIC, immense créateur de misère.
Si je détestais les pauvres, les gens défavorisés, fragiles, j'aurais toutes les raisons d'aimer le SMIC, de réclamer son augmentation :
J'aimerais comment le SMIC exclut les plus fragiles du monde du travail.
En interdisant à un employeur de payer un employé en-deçà d'une certaine limite, le salaire minimum permet de s'assurer qu'aucun de ceux dont la capacité à produire de la richesse n'atteint cette limite ne peut trouver d'emploi. Mieux, chaque augmentation du SMIC augmente le nombre de ceux qui sont dans ce cas, et éloigne un peu plus du seuil fatidique ceux qui en étaient déjà victimes. Quelques années d'indemnités chômage plus tard, c'est la radiation de Pôle Emploi, la fin de « droits », la misère noire. Une mesure qui condamne au chômage des gens qui pourraient travailler, à cause d'une productivité trop faible ? Il y a de quoi réjouir n'importe qui souhaitant nuire aux pauvres.
J'apprécierais comment, en empêchant certains de travailler, le SMIC laisse moins de moyens pour ceux qui ne pourraient de toute manière pas le faire.
Il y a encore plus vulnérable que celui qui pourrait travailler mais qui, pour des raisons de santé, sociales ou de formation insuffisante, ne pourra jamais atteindre le seuil fixé par le SMIC. Des gens plus faibles que les faibles, plus fragiles que les fragiles. Ce sont par exemple les gens souffrant d'un handicap physique ou mental très lourd, les personnes à la santé particulièrement fragile. Ces gens qui sont par essence dépendants des autres, du bénévolat, de la solidarité privée, de l'argent pris de force par l'état. Or, quand le SMIC exclut du monde du travail certains qui auraient pu subvenir à leur besoin, totalement ou partiellement, il les rend artificiellement tout aussi dépendants, les force à vivre des mêmes ressources. Diminuant ainsi leur disponibilité pour ceux qui en auraient eu besoin dans tous les cas. Nuire à des gens en situation précaire, et ainsi les transformer en nuisance pour encore plus précaire qu'eux : que demander de plus quand on veut s'en prendre aux gens fragiles ?
Je me réjouirais aussi du fait que le SMIC pénalise ses « bénéficiaires ».
Pour celui qui déteste les pauvres, le fait que la notion de salaire minimum, imposée dans l'intention d'améliorer le bien-être matériel de ceux qui en bénéficient, nuise à des gens encore plus fragiles qu'eux relève déjà de la douce ironie. Mais la cerise sur le gâteau serait probablement qu'il nuise aussi à ses « bénéficiaires ». Ça tombe bien, c'est le cas.
Le salaire minimum n'augmente pas miraculeusement la productivité du salarié. Donc si sa rémunération augmente, quelqu'un doit payer pour cette augmentation. Or dans une économie où la concurrence, notamment internationale, fait rage pour le plus grand bien de chacun d'entre nous (qui sommes tous des consommateurs), il est difficile de faire payer le client, qui risquerait fort d'aller voir ailleurs. De même, il est presque impossible de diminuer les rémunérations des autres employés jusqu'ici mieux payés, car ils risqueraient fort d'aller chercher des cieux plus favorables, où leurs compétences seraient davantage récompensées. Qui paye alors ? Le « bénéficiaire », évidemment. Bien sûr il ne paie pas en monnaie. Mais ce qu'il gagne en argent, il le perd en sécurité de son emploi. Car si certaines entreprises arrivent à rogner sur les coûts pour faire face à une augmentation arbitraire du SMIC, toutes ne le peuvent pas, et certaines ferment donc, que ça soit immédiatement si elles deviennent plus chères que leurs concurrentes, ou un peu plus tard si elles ont dû freiner leurs investissements pour maintenir leurs prix. D'autres entreprises délocalisent ou s'automatisent davantage, car augmenter artificiellement les salaires accentue la rentabilité de ces procédés ! C'est donc bien le salarié qui paie pour son salaire augmenté ! Bonheur ! Mieux, il perd davantage en sécurité que ce qu'il gagne en rémunération, car la possibilité même que le SMIC augmente du jour au lendemain représente un risque pour le patron qui souhaiterait embaucher, réduisant son intérêt à le faire, ce qui diminue mécaniquement les perspectives de retour à l'emploi pour un employé qui se retrouverait momentanément sur le carreau.
Alors bien sûr le Smicard n'est pas aussi pauvre ni aussi fragile que ceux qui étaient mentionnés jusque là, et en ce sens lui pourrir la vie pourrait sembler moins jubilatoire. Mais je suis persuadé que, si je prenais plaisir à voir les pauvres lutter, je saurais apprécier à sa juste valeur l'idée que ça soit pour aider les bas salaires, pour leur bien, qu'on prend ces mesures qui leur sont nuisibles.
J'applaudirais l'impact du SMIC sur le pouvoir d'achat et le confort de vie.
En augmentant le coût de la production, l'existence d'un salaire minimum fait monter certains prix, ou disparaître certaines entreprises au profit de leurs concurrents. Nuisant ainsi à tous ceux n'allaient pas les voir lorsqu'ils avaient encore le choix. Bien sûr les pauvres ne sont pas les seuls à être concernés. Mais qui souffre le plus d'une baisse de son pouvoir d'achat ? Celui qui a déjà à peine de quoi vivre ? Ou celui qui n'aura qu'à se priver d'un plaisir quelconque ou d'un autre ? Si je détestais les pauvres je serais probablement très sensible à l'esthétique de cette conséquence du salaire minimum, cette baisse de pouvoir d'achat infligeant des dégâts d'autant plus grands que la personne est déjà en difficulté !
Bien sûr il y a d'autres éléments qui me permettraient de fêter le SMIC si je détestais les pauvres. Par exemple sa capacité à handicaper les petits entrepreneurs en favorisant les grands groupes, qui peuvent délocaliser ou financer plus facilement leur automatisation. Ou encore l'idée qu'en créant du chômage, le salaire minimum diminue les cotisations retraite, rapprochant le jour où l'état ne pourra plus payer les pensions, et où les vieux qui n'auront pas épargné se retrouveront sans ressource. Mais j'arrête là.
Je ne déteste pas les pauvres, j'aimerais qu'on revienne sur le SMIC.
J'arrête là parce que non, je ne déteste pas les pauvres, et que cette liste qui m'aurait rendu joyeux si c'était le cas me rend en réalité infiniment triste.
J'invite les partisans du Darwinisme social ou d'une amplification des inégalités à rejoindre la lutte des différents partis et syndicats militant en permanence pour une augmentation du salaire minimum. A rejoindre tous ceux qui, aveuglés par leurs bonnes intentions, ne se rendent pas compte des nuisances qu'ils causent dans le monde réel. Pendant ce temps, ceux qui pensent que la « justice sociale » c'est avant tout ne pas enfoncer davantage celui qui est déjà dans la difficulté, devraient plutôt prendre le chemin inverse : moins d'intervention, moins d'exclusion par la force de la réglementation, ce sont plus de dignité et de moyens pour les plus fragiles. En plus de réfléchir à ce que nous pouvons faire pour eux, il semble urgent d'arrêter ce que nous faisons déjà contre eux.
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