Streaming illégal : le gouvernement français impuissant ?
La ministre de la Culture, François Nyssen, souhaite établir une « liste noire » des sites de streaming illégaux afin de lutter contre le piratage. Alors que les experts doutent de l’efficacité d’une telle mesure, les enfants restent exposés à toute sorte de dangers sur les sites de streaming et de téléchargement illégaux.
La Hadopi est dépassée, et le gouvernement n’aura mis qu’une petite dizaine d’années pour découvrir ce que les experts ont toujours affirmé. Mais, diront certains, mieux vaut tard que jamais : « l’essentiel de notre arsenal [contre le piratage de films] porte sur le téléchargement pair-à-pair, aujourd’hui, alors que le piratage se fait dans 80 % des cas en streaming ou en téléchargement direct », a reconnu la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, mercredi 18 avril.
Pour la ministre, il est donc temps de s’adapter aux nouvelles pratiques et de faire « évoluer le mécanisme de riposte graduée, en plaçant la priorité sur la lutte contre les sites pirates pour les assécher (…) et les faire disparaître ». François Nyssen envisage notamment la création d’une « liste noire » de sites de streaming illégaux. Objectif : permettre aux fournisseurs d’accès Internet, aux moteurs de recherches et aux annonceurs de bloquer l’accès à ces sites et de les déréférencer.
Mais si l’inquiétude de la ministre est largement partagée — le piratage représente un manque à gagner de 1,3 milliard d’euros par an pour l’Hexagone —, la solution qu’elle propose est loin de faire l’unanimité. Pour Olivier Iteanu, avocat spécialisé dans le droit des technologies et de l’information, et Lionel Maurel, membre de la Quadrature du Net, les mesures annoncées par la ministre sont « facilement contournables et visent seulement à empêcher “Monsieur Tout-le-Monde” d’accéder aux sites de streaming illégaux », rapporte Libération.
Nos enfants en danger
Selon Lionel Maurel, « le blocage se contourne extrêmement facilement, il suffit d’installer un VPN [Virtual Private Network] » pour échapper aux limitations géographiques. De son côté, le déréférencement n’empêche pas l’accès aux plateformes : « si je tape le nom du site dans Google je ne vais pas le trouver, mais si j’ai son URL je peux toujours y accéder », ajoute l’expert.
Comme le fait remarquer Olivier Iteanu, « l’enfer est pavé de bonnes intentions », et celles de Françoise Nyssen ne font aucun doute. Mais les mesures prises par le gouvernement doivent être rapides et efficaces, compte tenu de ce qui est en jeux, à savoir les intérêts d’une industrie de plus en plus importante pour l’économie française, mais aussi ceux de la société en général et plus particulièrement de nos enfants.
Les jeunes sont en effet les principales victimes des sites de streaming et de téléchargement illégal. D’après les résultats d’un sondage OpinionWay pour 20 minutes, publiés le 11 avril dernier, 62 % des jeunes affirment avoir vu leurs premières scènes pornographiques avant 15 ans (dont 20 % entre 11 et 12 ans et 11 % avant 11 ans). Une expérience qui a « choqué » 38 % des hommes et 66 % des femmes concernés.
Or, comme le montre de son côté une enquête IFOP réalisée en mars 2017, au moins la moitié des jeunes de 15 à 17 ans ayant été confrontés à des images pornographiques sont tombés sur ces dernières sans l’avoir cherché. C’est sur Facebook, Snapchat, Instagram ou lors de la consultation d’une plateforme de streaming illégal qu’elles leur ont été imposées.
Des parents démunis, un gouvernement impuissant
Pour Gordon Choisel, président de l’association Ennocence, qui se bat pour la protection des enfants contre les risques d’exposition à la pornographie en ligne, « il n’y a pas besoin d’être expert pour se dire que le fait qu’un enfant puisse tomber sur une sodomie filmée en gros plan pose problème ».
Marion Haza, psychologue à l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique, confirme : « Être confronté à de telles images avant que la sexualité soit présente psychiquement peut créer des troubles (anxiété, troubles du sommeil), sur le moment ou plus tard, car les enfants en ressentent de la culpabilité ».
Or, malgré toutes les précautions prises par les parents, il est de plus en plus facile pour un mineur de tomber sur des contenus trash et stéréotypés qui sont, entre autres, « contraires aux valeurs d’égalité entre les sexes de notre société », comme le souligne Sophie Jehel, maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris 8.
Si le dialogue au sein de la famille est régulièrement mis en avant par les experts comme un outil indispensable pour lutter contre les conséquences néfastes de ce phénomène, les parents sont souvent démunis. « Les adultes appréhendent les questions numériques à l’aune de leurs propres pratiques. Or, elles sont aux antipodes de celles des enfants », rappelle Gordon Choisel. L’alerte est donnée, reste à savoir si elle sera entendue…
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