Des quatre éléments symboliques, la terre, l’eau, l’air et le feu, deux sont généralement considérés comme féminins et deux comme masculins. La terre et l’eau caractérisent souvent la fécondité et la gestion naturelle de la nature. Si l’air et le feu participent aussi à cette nature c’est de façon moins visible. De même si l’idéalisme se rapproche de l’air et du feu, on ne peut nier que le matérialisme est plus proche de la terre et de l’eau. Mais voyons d’abord ce que l’on entend par matérialisme et idéalisme et quelles pourraient être les conséquences d’un bouleversement symbolique en regardant ce qui se passe dans les sociétés éthologiques, et particulièrement les insectes, les plus proches de la terre.
Le matérialisme prend uniquement le matériel comme socle du savoir et de la connaissance, en ayant comme paysage de fond l’efficacité et la rentabilité. Cependant première remarque, le langage s’enracinant dans les symboles, le matérialisme dans son objectivité est dès le départ mal à l’aise avec le support qu’il utilise, qui est la langue, à défaut de pouvoir en utiliser un autre, disons plus objectif ... Dans cette quête d’une réalité palpable qui lui échappe déjà dans les mots, le matérialisme part en déconfiture dans les théories physiques particulaires qui lui font, il faut le dire, de véritables pieds de nez et où il semble manquer un peu d’air ! Mais voyons un peu sa généalogie et ses conséquences dans cette absence de visibilité qui caractérise la société de consommation et le capitalisme.
Le terme revient à Leibniz chez qui on le retrouve, en 1702. Avant lui, dans l’Antiquité, les premiers à se revendiquer, de cette approche, sont les mécanistes avec Héraclite, Démocrite, Diogène, Epicure et Lucrèce. On a souvent réduit le matérialisme des philosophes de l’Antiquité à la continuité de la matière et bien avant l’heure à l’hypothèse de l’atome. Cependant avec Diogène et Laërce, on est tout de même étonné de voir que les philosophes matérialistes de l’Antiquité sont surtout préoccupés d’éthique… Dés le départ ce courant de pensée utilise la seule matière et le seul réel, pour la connaissance et le savoir. Il n’y a donc que la matière et tout doit être expliqué par elle, si ce n’est aujourd’hui, du moins dans le futur. Ici se trouve la base fondamentale du matérialisme. Pour Platon, les stoïciens et les pères de l’Église chrétienne, sans oublier Kant et Hegel, la vérité se trouve, par elle-même, en dehors de la matière et de ce qui est visible, on l’atteint par la pensée et par l’esprit. On peut d’ailleurs rattacher Einstein à ce courant de pensée, « l’Univers m’apparaît comme une pensée », écrivait-il, ou encore « Dieu ne joue pas aux dés », renvoyant élégamment le hasard, à une signification plus restreinte. Cette approche est spirituelle dans son sens le moins réducteur. Le monde matériel n’est qu’une représentation imparfaite de la vérité qui le soutient. Par opposition aux matérialistes, ce courant de pensé s’appelle l’idéalisme. La différence est de taille. Cependant et il faut le noter, plus on remonte dans la physique particulaire, et plus la « matière » se dématérialise et prend des structures plus proche de la pensée. Jusqu’où se dématérialise-t-elle ?
Les conséquences du matérialisme sur le paradigme de la civilisation actuelle sont considérables. En effet la vérité se limite, en raison d’une certaine lenteur du progrès technique, aux dernières innovations, mais surtout dans leurs derniers maquillages commerciaux. Cette quête a été accentuée, dans les générations montantes, en raison des pédagogies qui ont été mises en place dans les années soixante dix et qui ont privilégiées les seules réalités observables, en minimisant ou en discréditant toute autre approche.
Mais le matérialisme fait aussi dans l’éthique, voyons un peu ce que l’on entend par matérialisme éthique.
Il ramène la question de la morale, elle-même, entièrement au matériel. Pour lui, rien n’est transcendant ou universel. Tout est culturel et lié à l’espèce. Là aussi, aucune piste n’est donnée sur la nature des archétypes. A noter ici et ceci est un élément déterminant de mon hypothèse que le matérialisme pourrait revenir, en psychanalyse, à un retour in utero. Probablement par peur de s’égarer, ou par souci d’efficacité et de rentabilité... L’éthique s’étudie alors comme la matière.
Les valeurs éthiques sont ainsi ramenées uniquement aux contextes, des histoires individuelles et collectives, etc. Effectivement si l’histoire est issue du discours du père, la réalité ramène à la mère qui accouche et qui allaite, élément beaucoup plus tangible. L’histoire n’a pas d’existence "en soi", à la manière de la paternité qui est récit, foi, interprétation et sens... Dans la culture occidentale, tout phénomène extérieur à la mère et au féminin, tend à être considéré, maintenant, comme délire conjoncturel du père ou du masculin. Conséquence pour le matérialisme, il n’y a donc pas d’universalisme en matière d’éthique, puisqu’il peut y avoir plusieurs pères possibles par rapport à une seule mère, la matière... Spinoza et Nietzsche essaieront d’échapper au relativisme en s’accrochant tant bien que mal à des valeurs plus ou moins sociales. Nous trouvons là un discours, cherchant à justifier inconsciemment le père, mais jamais dit comme tel. Dans le matérialisme, c’est l’homo sapiens qui est à l’origine de la morale et par conséquent en dessus. C’est un retour à la seule réalité palpable comme l’est l’enfantement par la mère, le discours du père étant effectivement moins palpable que la réalité de la grossesse...Cette façon de penser est en contradiction avec la pensée idéaliste et la pensée religieuse chrétienne pour lesquelles le bien est indépendant de la matière et la précède, comme le père ne peut que précéder la grossesse. C’est ici que se trouve la différence essentielle entre l’idéalisme et le matérialisme. Cette différence est de taille puisque le matérialisme ramène l’homo sapiens à sa seule responsabilité personnelle, et bien sûr, va éviter la question du libre arbitre, le soumettant à un certain déterminisme qu’il aura soin de ne pas étendre à l’univers tout entier…
Dans le matérialisme scientifique, la pensée est réduite aux faits purement matériels. Le savoir repose toujours sur l’expérience matérielle, avec un trio incontournable, expérience, observation et théorie. L’expérience valide ou non la théorie, comme la réalité de l’enfantement, renvoie le discours du père au domaine du vérifiable pour sa paternité… Je ne critique pas la méthode scientifique expérimentale, mais l’utilisation réductrice qui en est faite par extrapolation, dans des domaines qui lui échappent.
Vulgairement dans son application actuelle, le matérialisme est entendu dans le sens de jouissance des biens matériels, des valeurs monétaires et des plaisirs matériels, dans une attitude d’infantilisation généralisée, renvoyant et enfermant toute spéculation dans le domaine matériel. Possession et accumulation de biens à la mode sont la caractéristique des personnes "matérialistes".
Dans l’art, le matérialisme évite de donner aux choses, une représentation idéale...
Le "matérialisme culturel" aboutit à une déstructuration de la société et à la suppression de toute transcendance pour déboucher sur la seule production et consommation et à son seul système de communication, comme "élément de culture" ou plutôt " d’économie culturelle".
Pour des raisons d’efficacité et de rentabilité, il s’attaque alors aux différences du masculin et du féminin, en niant ou en minimisant toutes leurs caractéristiques physiques, psychiques et sexuelles , pour détruire le patriarcat en le traitant comme un autre élément culturel. D’une façon générale, en s’attachant à la seule réalité palpable, il renvoie effectivement de façon irréductible à la mère, rendant suspect et à vérifier tout discours du père. En s’attachant à la seule réalité matérielle, il porte une emphase sur le désir et sa satisfaction, dans une mère non dépassée, un désir non sublimé au nom d’une réalité matérielle non dé passable, engendrant une infantilisant de toute la société et ainsi une consécration de la consommation dans sa matérialité, retour et renvoi non visible à la fusion avec la mère. C’est la fin de l’histoire, de la littérature, de la culture, de l’art, au profit de l’organisation matérielle, dans une société qui se rapproche de la ruche et où les seuls enjeux seront l’organisation, la production et la gestion du « miel » sous toutes ses formes et le renouvellement des ouvrières, avec dans ce modèle éthologique, une domination évidente et totale du principe féminin, avec la reine, et où le rôle de l’homme est réduit, à celui de géniteur, mais aussi de parasite inutile, de faux bourdon ! L’essaim autour de la reine constituant un magnifique exemple éthologique de tentative de fusion avec la mère.
La constatation, c’est qu’il n’est laissé actuellement, aucune alternative ou porte de sortie, en raison de l’absence totale de visibilité et la panne d’idéologie. Effectivement, à ce stade de la consommation, de la production mais surtout du capitalisme, l’éducation n’est plus possible, rendant la transmission culturelle elle-aussi impossible ! Education étymologiquement voulant dire » conduire hors de »… La formation et le formatage sont de mises comme dans la ruche ! Il ne s’agit plus d’orienter le savoir et de le guider, ce qui fut un puissant moteur de civilisation, mais de produire, de gérer et de contrôler. Avec le matérialisme comme idéologie par définition non dé passable, le principe féminin s’imposera et dominera, comme élément déterminant de l’organisation sociale, comme chez les abeilles !
Annexe : Une société bien organisée…
Les faux bourdons appelés abeillauds sont des abeilles mâles. Plusieurs centaines de mâles sont présents dans le nid d’avril à septembre, condamnés à rester inactifs. Ils passent pour paresseux car ils sont incapables de se nourrir eux-mêmes. Ils sont gavés par les ouvrières. De plus ils ne protègent même pas la colonie puisqu’ils ne savent même pas piquer, leur seul rôle est de féconder la reine. Une dizaine seulement y parviendront et en mourront comme c’est souvent le cas chez les insectes, bien organisés... Tous les faux bourdons qui n’ont pu s’accoupler sont expulsés du nid et mourront de faim ou de froid…
Eric de Trévarez