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Accueil du site > Actualités > Société > Taubira ou Obertone ?

Taubira ou Obertone ?

Les récentes conclusions de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, et la récente publication du livre La France Orange Mécanique, invitent à réfléchir sur les différentes fonctions des peines judiciaires.

La conférence de consensus sur la prévention de la récidive préconise, dans ses conclusions du 20 février, d’éviter dans la mesure du possible le recours aux peines de prison, et d’améliorer les conditions de détention.

La mise en oeuvre de conférences de consensus (au sens d’avis et de recommandations d’experts reconnus sur une question) a été initiée en France dans le domaine médical durant les années 1990 par l’ANAES, devenue la HAS (Haute Autorité de Santé). Elle n’a été que peu étendue à d’autres champs (en l’occurrence psychologique, social, éducatif, et donc juridique).

L’appellation est en tout cas habile, pour éviter qu’on ne parle d’un "rapport Taubira".

Les médias ont dans l’ensemble favorablement accueilli ces conclusions, ou en tout cas en ont rendu compte sans commentaires négatifs. A l’exception du Figaro, qui est dans son rôle de média d’opposition.

On a peu entendu l’UMP. Il faut dire que sous le mandat de M Sarkozy, les chiffres de ce qui préoccupe le plus les Français en matière de délinquance et de criminalité, à savoir la violence, ont continué à augmenter.

Les critiques sont venues évidemment du Front National, ainsi que d’une association pompeusement intitulée "Institut pour la Justice", qui réclame une politique ultra-répressive.

Mais c’est surtout le livre La France Orange Mécanique paru le 17 janvier dernier sous la plume d’un journaliste signant du pseudonyme de Laurent Obertone, qui est venu sur le devant de la scène. Ce livre, dont le marketing internet a été savamment mené, défend la thèse d’une explosion de la violence en France, et ne manque pas de contester la politique de décarcéralisation de Mme Taubira.

 

Ce débat met en jeu trois types de protagonistes, les coupables, les victimes, et "la société".

Le fond du problème se pose en termes pénologiques et renvoie aux différentes fonctions de la peine dans nos systèmes modernes et laïques, en l’occurrence les fonctions de la prison.

On peut distinguer deux axes :

- l'axe rétributif, orienté selon une logique rétrospective, où la fonction de la peine est déterminée par le passé : fonctions vindicative, punitive et expiatoire.

- l'axe préventif, orienté selon une logique prospective, où la fonction de la peine est orientée sur le futur : fonctions dissuasive, incapacitante, et restaurative.

1) Fonction vindicative (= de vengeance)

Les pénologues ne s’attardent pas sur cette fonction. Pourtant, si la vengeance des personnes lésées n’est pas une fonction explicite des sanctions pénales, il est clair que celles-ci doivent se substituer aux vengeances personnelles.

En droit français, la "constitution de partie civile" permet aux victimes d’être présentes au procès pénal, et favorise de ce fait la confusion des genres.

Si nous citons cette fonction en premier, c’est parce qu’on assiste en France depuis une vingtaine d’années à la montée en puissance de la fonction vindicative de la sanction pénale. Elle est favorisée par cette participation des victimes aux procès, relayée par les médias, puis par la toile et les réseaux sociaux. Les victimes d’actes graves ou leurs familles sont poussées à attendre une réparation personnelle de la sanction pénale du criminel, afin de "retrouver la paix", de "récupérer leur dignité", "d'élaborer leur travail de deuil"…

Nicolas Sarkozy a constamment mis l’accent sur les victimes et leurs associations, pour d’évidentes considérations électoralistes, d’abord en tant que ministre de l’Intérieur, puis en tant que président de la République.

C’est également sur les victimes que mettent avant tout l’accent le Front National, l’"Institut pour la Justice" que nous mentionnons plus haut, et le livre La France Orange Mécanique.

2) Fonction punitive

Elle est exercée au nom de la collectivité comme rappel du permis et de l'interdit pour maintenir l'ordre social. Elle s'intrique avec un rappel moral du bien et du mal.

3) Fonction expiatoire

La purgation de la faute permet la réintroduction dans le corps social de l'individu une fois qu'il a "payé". Il s’agit d’une fonction théorique, l’importance de la peine ayant plutôt dans l’esprit public une fonction stigmatisante, une valeur de confirmation de l’indignité du condamné. Cette fonction procède en fait à la fois d’un axe rétrospectif et prospectif, et fait transition avec les fonctions qui suivent.

4) Fonction dissuasive

Elle peut être :

- générale : à l’échelon collectif, l'exemplarité de la sanction est censée par intimidation inciter les citoyens à respecter la loi.

- spéciale : à l’échelon individuel, elle vise à dissuader de la récidive.

5) Fonction incapacitante

Elle vise à mettre les individus dangereux hors d'état de nuire au corps social. Rappelons qu’une loi de la IIIe République avait instauré la relégation des récidivistes dans les bagnes coloniaux. Et la peine de mort avait une fonction incapacitante de fait. A présent, ce rôle est spécifiquement rempli par la prison.

6) Fonction restaurative

La prise en charge psychosociale dont bénéficie le condamné, dans une logique de réhabilitation et de réinsertion, est censée le rendre plus apte à la vie en société.

C’est sur cette fonction que met l’accent le rapport de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive.

C’est typiquement une fonction "de gauche". La droite prône la prévention individuelle et collective par la fonction dissuasive, la gauche prône la prévention individuelle par la fonction restaurative (et la prévention collective par l’action sur les causes sociales, vaste problème).

Cette fonction est particulièrement malaisée à mettre en œuvre, car elle est par la force des choses en contradiction avec les autres fonctions précédemment définies.

 

Alors vers quels types de peine faut-il s’orienter ?

La conférence de consensus s’attache à la question de la *récidive*, et argumente pour la réhabilitation plutôt que la dissuasion. Mais elle n’aborde pas les autres fonctions de la peine.

Le livre d’Obertone s’attache de par sa construction à la fonction vindicative, en opposant les souffrances des *victimes* à ce qui serait la relative impunité des agresseurs. Il stigmatise le laxisme judiciaire, ne croit guère à la réhabilitation, et réclame une politique de punition, de dissuasion et de neutralisation sans failles.

Son auteur répète n’avoir pas de préférences politiques, mais sa promotion a été assurée par des personnalités situées très à droite (en matière sociétale), des sites internet de droite ou d’extrême-droite, et bien sûr par le Front National. Il faut dire qu’une explication-clé de son livre repose sur la surreprésentation des immigrés et des descendants d’immigrés maghrébins et sub-sahariens en matière de délinquance et de criminalité. Et surtout, que les paramètres de cette explication ne sont pas socio-économiques, mais ethnico-culturels.

Les orientations de Mme Taubira relèvent-elles d’une politique angéliste qui cultive le déni de la réalité et le mépris des victimes ?

Le livre de Laurent Obertone est-il un pamphlet populiste qui met de l’huile sur le feu et attise les clivages au lieu de chercher des solutions opérationnelles ?

Les thèses répressives auront évidemment la faveur, comme elles l’ont toujours eue, de la majorité des citoyens de base. On ne peut pas éluder les fonctions répressives des sanctions pénales, notamment en matière de violences aux personnes.

Mais elles doivent nécessairement se compléter d'actions préventives. Ceci implique l'analyse multifactorielle des causes de la délinquance et de la criminalité, ainsi que de la récidive (attention, expliquer n’est pas justifier). D'où l'importance de poursuivre un consensus, au-delà des émotions légitimes et de leurs manipulations politiques, sur le mode de recueil des données, leur classification, leur analyse statistique, leur comparabilité d'une époque ou d'un lieu à l'autre, et au final leur interprétation.

Je sais que les lecteurs s’attendent à ce qu’on ait sur ce sujet un avis bien tranché dans un sens ou dans l’autre. Alors je ne vais pas les décevoir : je réclame une peine d’incarcération à vie incompressible pour tout voleur de scooter. Parce que, les possesseurs de deux-roues le savent bien, il y a des sujets avec lesquels on ne plaisante pas.


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13 réactions à cet article    


  • petrol 4 mars 2013 11:20

    Je pense que vous n’avez pas bien lu le livre de obertone.
    Il l’a écrit en tant qu’observateur, lui même dit qu’il n’apporte aucune solution, et qu’il ne cautionne aucune politique.

    Il est vrai qu’il cite beaucoup de magrébins et autres éthnies, les noms et prénoms parlent d’eux même. Mais soit c’est pour les stigmatiser soit parce que c’est la vérité.
    Pas d’asiatiques,très peu de noms de type français ou autres européens (italiens, espagnol etc ...). Un hasard ou la réalité.

    Lisez les journaux, même ceux contrôlés par l’état (quasiment tous en fait), regardez les « infos » a la tv, et écoutez les noms et prénoms des délinquants.

    Enfin, lisez les réponses pénales, ça fait rire tellement c’est disproportionné.


    • TSS 4 mars 2013 19:10

      Ses interwiews et le prefaceur du livre suffisent amplement !

      Et puis il suffit de creuser un peu le parcours de Obertone pour se rendre compte que ce n’est

      qu’une emanation du FN .Il dit que Marine n’est pas assez à droite qu’il prefere

      son père dont il dresse d’ailleurs un portrait dithyrambique... !!


    • TSS 4 mars 2013 11:41
      avec la gauche tous ceux qui pensent autrement sont d’affreux méchants d’extreme droite.
      La LIBERTE d’expression est morte et enterrée bien profondément

       

      Ce qui ,dans ce cas, est l’exact reflet de la realité puisque ce monsieur a ecrit un ode à

       

      J M Lepen quand celui ci a laissé le FN à sa fille !!

      Il n’est nul besoin d’être de gauche pour faire ce constat... !!

      • petrol 4 mars 2013 11:48

        et ?
        Ca change quoi ? si le livre montre la réalité, ça n’a aucun rapport avec le FN.


        • TSS 4 mars 2013 11:59

          si le livre montre la réalité,

          Il ne montre pas la realité ...mais sa realité... !!


          • petrol 4 mars 2013 12:48

            Lisez le livre, avant d’en parler.
            Je vois pas où il montre sa réalité, puisqu’il se base sur des chiffres officiels, dont ceux de l’ONDRP. Les cas cités sont des cas réels.
            Parlez en aux maires de Sevran, celui qui il y a pas si longtemps a fait grève de la faim pour réclamer de l’aide, au maire de Marseille, au maire de clichy etc...
            Il faut arrêter de dire amen aux médias (journaux, tv), et commencer à penser par soi même.
            Si l’état ne veut pas que ça se sache, ses médias sont là pour ça, ils sont tous financé par lui.
            Le rapport parlementaire du député Michel Françaix lève le voile sur la façon dont l’État dépense chaque année 1,2 milliard d’euros pour soutenir la presse. Forcément si vous voulez l’argent ...


          • TSS 4 mars 2013 19:16

            Il faut arrêter de dire amen aux médias (journaux, tv), et commencer à penser par soi même.
            Si l’état ne veut pas que ça se sache, ses médias sont là pour ça, ils sont tous financé par lui.

            les seuls journaux que je lis ne sont pas financés par l’etat :

            le Canard enchainé, Siné mensuel, Fakir, CQFD !!

             


          • TSS 4 mars 2013 19:21

            Quant à Raufer ancien du mouvement « occident » avec ses copains Longuet,Madelin etc...

            Copain de Bauer c’est un sacré pedigree... !!


          • leypanou 4 mars 2013 13:24

            Une fois qu’on connait qui a préfacé le livre, il est inutile de lire la suite car on connait le contenu. Très souvent, c’est sous couvert d’expertise qu’on fait la propagande d’une idéologie. Ce Laurent Obertune est donc quelqu’un qui ne veut pas assumer son penchant idéologique.

            Si vous voulez une autre lecture des problèmes de la délinquance, lisez le livre intitulé : « La France a peur » de Laurent Bonelli qui n’a pas été préfacé par Xavier Raufer.


            • petrol 4 mars 2013 13:49

              J’ai du mal a comprendre un livre entier doit être rejeté car il est préfacé par :

              RAUFER, Xavier est docteur en géographie/géopolitique, université Paris-Sorbonne.

              Directeur des études, Département de recherche sur les Menaces Criminelles Contemporaines (MCC), Université Paris II – Panthéon-Assas.

              Professeur associé au Centre de recherche sur le terrorisme et le crime organisé, Université de Science politique et de Droit de Beijing (RPC).

              Directeur de la collection Arès à CNRS-Editions et conseiller éditorial aux éditions Odile Jacob, il est auteur de nombreux ouvrages consacrés à la criminalité et au terrorisme.

              Si la préface était de taubira, on a le droit de le lire ? Que je sache c’est Obertone qui a écrit le livre, pas Raufer.


            • leypanou 4 mars 2013 15:43

              @petrol :

              Quand on a des titres plus ou moins pompeux, on ne dit jamais des inepties, on n’a pas de penchant idéologique ?

              On les connait les « marchands de sécurité », et ce Obertone n’en est qu’un qui est honteux.

              La loi sur les récidives, pour ne citer que celle-là, est l’une des pires stupidités que l’on puisse inventer : en Californie, des gens ont été condamnées à 25 ans de prison pour avoir volé une pizza 3 fois. Et il y a encore des demeurés en France qui croient en son efficacité !!! C’est aussi intelligent que dans la Charia où on coupe la main d’un voleur, comme par hasard, le voleur de poule mais pas le millionnaire.


            • Inquiet 4 mars 2013 14:27

              Il y a une chose que je n’arriverai jamais à comprendre de la part de ceux qui prônent la « tolérance zéro » :


              c’est que, si comme ils le disent l’attention doit d’abord être donnée auprès des victimes, n’y a-t-il pas de plus beau succès que de ne n’avoir pas de victimes du tout ou d’en limiter le nombre ?

              J’entend bien l’argument de « l’intimidation » de la « dissuasion », mais alors que les beaucoup d’états des Etats Unis pratiquent non seulement la tolérance zéro mais aussi la peine de mort, la délinquance et les actes délictueux sont encore plus fort et plus grave qu’en France « bisounours ».

              A contrario, essayer de comprendre en amont le passage à l’acte et l’environnement criminogène qui amène à la délinquance dans l’optique de limiter les victimes ultérieures devrait ravir justement ceux qui demande une plus grande attention aux victimes.

              Sinon j’ai l’impression que l’existence de la victime est un faire-valoir, une légitimité à la parole haineuse.


              • beo111 beo111 4 mars 2013 17:54

                1) Fonction vindicative ?

                Pour briser la spirale de la vengeance, le mieux est d’apporter son soutien aux victimes. Taper sur les coupables n’est pas très productif.

                2) Fonction punitive ?
                Au vu de l’impunité dont jouissent les délinquants en col blancs et autres politiques professionnels, cette fonction perd toute crédibilité.

                3) Fonction expiatoire ?
                Un mec qui sort de taule est-il bien accueilli par la société ?

                4) Fonction dissuasive
                D’après une enquête du FBI, au moins 59% des meurtres sont le fait d’individus de la même famille, suite à une dispute (familiale), sous le coup de la colère. On pourrait les qualifier d’accidents. Peut-on faire peur à quelqu’un qui ne prémédite pas ?

                5) Fonction incapacitante
                Aux Etats-Unis pas loin de 2 millions de personnes en taule... on veut battre le record ? Les corpus législatifs sont si incompréhensibles qu’il faudrait mettre la moitié de la population en prison pour être à peu près sûr que ceux qui restent dehors sont sans danger pour eux-même.

                6) Fonction restaurative
                C’est sûr que pour l’instant les prisons sont surtout des écoles du crime...


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