Tel est surpris qui croyait pourfendre
L'aventure de Jean…
Jean était un de ces adolescents qui ne parvient pas tout à fait à trouver sa place. Pas nécessairement bien fait de sa personne, il portait sur lui un pouvoir de séduction dont il ignorait tout. Il est vrai qu'à son âge, le sens de l'humour et de la répartie, une intelligence différente certes mais toujours vive pour prendre le travers des idées reçues, tout cela ne faisait pas de lui un tombeur.
Il avait bien fini par flirter une fois, presque par hasard avec une jeune fille si différente de lui que cela n'avait été qu'une occasion sans lendemain de découvrir le mystère de ce fameux baiser sur la bouche qui était l'horizon absolu de tous ses camarades. Il n'en avait tiré que honte et moquerie de la part de ceux qui n'avaient qu'à claquer des doigts pour que les conquêtes leur tombent dans les bras.
Qu'importe, il faisait partie de la bande, se plaisait avec eux quand ceux-ci ne partaient pas se perdre dans les bois avec celles du moment. Il jouait alors le pitre de service, usant de sa verve pour jouer le jeu d'un machisme de bon aloi. Il multipliait les histoires qui faisaient rire au détriment des minorités, des exclus, des gens différents sans en être vraiment fier. Les autres se tordaient de rire en disant : « Sacré Jeannot, tu n'en manques pas une seule ! ».
Il fit en sorte de mettre un peu de miel dans son fiel car un ami plus âgé, lui avait soufflé discrètement qu'il méritait mieux que cette réputation d'amuseur, spécialiste de la gaudriole et du graveleux. Au fond de lui, la remarque avait laissé des traces, il avait infléchi son répertoire, le rendant plus subtil au point désormais de n'être pas toujours compris.
C'est curieusement à ce moment-là que des jeunes filles le trouvèrent moins idiot qu'il n'y paraissait jusqu'alors. Elles se mirent à aimer sa compagnie. Il devint même le confident de celles qui en avaient assez d'être des proies pour cavaleurs à la poursuite d'un tableau de chasse. Du côté de ces derniers, il y eut des grincements de dents, de la jalousie à voir ainsi Jean devenir l'intime des plus charmantes et des plus distantes.
Jean pour ne pas perdre leur amitié tomba dans le panneau des remarques salasses. Ce sont les amours différents qui trinquaient, non pas qu'il y eut des jeunes de leur entourage à se revendiquer d'une sensibilité en marge, mais parce que la société avait fait de l'homosexualité une source de lassis, de quolibets, d'insultes et de propos abjects. Pour ne pas être repoussé par la troupe des gros bras, beaux gosses et pois chiches, il donnait aussi dans le propos honteux.
Ses copines le lui reprochaient bien un peu, sentant qu'il se trouvait pris au piège d'une loyauté qui ne saurait durer bien longtemps. L'existence allait rapidement séparer ceux qui s'étaient orientés vers d'autres voies que celle que Jean avait choisie. Il allait s'occuper des autres, devenir éducateur spécialisé tandis que ses vieux potes avaient des ambitions tout autre.
Jean s'investit dans ses études, perdit de vue ceux qui étaient restés au quartier. Il continuait à fréquenter les filles qui les unes après les autres finissaient par trouver l'âme sœur. Il restait sur le carreau, ne répondant jamais aux appels du pied de celles pour qui il était devenu un compagnon plus qu'acceptable pour un bout de chemin conjoint.
Jean mit sur le compte de sa timidité cette maladresse qui lui faisait manquer le coche. Il s'en voulait un peu de ces belles occasions perdues sans pour autant en être désolé. Non, il ne se sentait pas prêt, il n'avait pas ce désir irrépressible de séduire. Il était mal à l'aise à la fois dans son corps mais plus encore dans sa tête.
Il s'en confia une fois à ce vieil ami qui avait su si bien le conseiller autrefois, le libérer de ses histoires idiotes. Ils eurent une longue conversation, des paroles surgirent de la bouche de Jean que son confident interpréta différemment. Il lui fit remarquer alors, qu'il n'avait pas encore accepté sa véritable nature…
Jean fut surpris de cette remarque. Elle tourna longtemps dans son esprit sans qu'il puisse vraiment en tirer le sens exact. Son ami l'avait laissé sur cette parole, le sourire aux lèvres avec un signe énigmatique. Depuis du reste, c'est comme si celui-ci se dérobait, l'évitait ou même le fuyait.
Une année passa, Jean obtint son diplôme et quitta son département pour répondre à une annonce d'emploi. Il était seul, sans relations avec lesquelles il aurait gardé des liens et sans ami dans son nouvel environnement à l'exception de collègues qui avaient des vies bien rangées. Il se morfondait et s'interrogeait sans cesse sur cette véritable nature dont il ignorait tout.
Embarqué dans un travail qui exigeait beaucoup de disponibilité, il s'était installé dans un train train qui laissait peu de place à la fantaisie, aux distractions et encore moins aux rencontres. Il rentrait épuisé d'une institution où le public était composé essentiellement de jeunes adolescents dont les valeurs étaient si peu différentes de ce qu'il véhiculait avec ses camarades autrefois. La même haine de l'autre, celui qui n'est pas du quartier, qui n'est pas conforme, qui est différent.
Il se revoyait dans ses dérives langagières en espérant que pour eux aussi, il y ait une bonne âme pour les remettre sur un chemin de plus de tolérance. Il se faisait fort d'être celui-là même si encore, il devait faire ses preuves alors que pour l'instant, comme tout nouvel arrivant, c'est lui qui était à l'épreuve.
Un soir, rentrant tard de son emploi, il fut le témoin d'une bagarre ou plus exactement d'une échauffourée, d'une rixe prenant des allures de lynchage. Un pauvre type était assailli par une bande de mômes comme ceux dont il avait la charge. L'assailli était à terre, il était roué de coups tandis que ses agresseurs l'agonisaient d'une insulte répétée en boucle, deux lettres qui cinglent accompagnées d'un adjectif peu glorieux.
Jean par son intervention courageuse provoqua la débandade de ceux qui n'étaient en somme que des lâches poussés par la certitude de leur force collective. Il se pencha sur l'homme à terre, en larmes certes mais relativement indemne tant les furieux avaient frappés sans discernement ni efficacité. S'étant mis en boule, il avait laissé passer un orage rapidement interrompu par l'arrivée de son sauveur.
Jean releva celui qui était choqué, on ne le serait à moins. Il le rassura, s'enquit de son état, se proposa d'appeler des secours. L'homme refusa tout net, demandant simplement qu'on le laisse tranquille. Jean eut des gestes apaisants, des paroles douces, des mots délicats avant que d'inviter le malheureux à le raccompagner chez lui.
C'est ainsi que par inadvertance Jean découvrit sa vraie nature. Pas ce soir-là ni même les fois suivantes. Une relation d'amitié s'établit entre ces deux-là qui se transforma au fil du temps en quelque chose de plus fort, de plus mystérieux, de plus incompréhensible pour Jean qui n'avait jamais envisagé qu'il puisse en être ainsi.
Il se résolut par étape lente et progressive à cette différence qu'il avait si souvent stigmatisée avec ses copains d'enfance. Il plaignit celui qu'il avait été et qui ne savait pas. Il accepta celui qu'il était vraiment sans plus lutter pour aller contre sa nature. Il avait non pas ouvert les yeux mais libéré son cœur.
Quand il revint chez lui, qu'il cessa de voir celui qui l'avait initié à sa réalité, il retrouva cet ami qui l'avait mis sur la piste sans le brusquer. Ce fut lui l'homme de sa vie, l'autre avait compris bien avant tout le monde parce qu'il avait de son côté une attirance pour celui qu'il n'entendait pas brusquer.
Ils se marièrent en dépit d'une différence d'âge certaine, ils adoptèrent des enfants et vécurent heureux en apprenant à hausser les épaules lorsque deux vilaines lettres accolées à un adjectif peu glorieux leur étaient destinées.
Tableaux de Henry d'Arles
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