Téléthon 2012, entre échec thérapeutique, déni scientifique et ciment social
Il se peut bien que certains soient lassés par le Téléthon et que d’autres continuent à avoir la foi dans cette science génétique qui promet des thérapies mais n’a obtenu que de maigres résultats dont la signification devrait être creusée tant le système est devenu duplice, travestissant les réalités pour les rendre conformes à une idéologie ou compatibles avec la poursuite d’intérêts personnels pour ne pas dire privés. Bref, si en matière de justice la présomption d’innocence prévaut, en matière de philosophie appliquée aux faits sociaux, le doute est nécessaire et bien souvent, une présomption de tromperie peut s’avérer utile. Notamment dans ces domaines où le citoyen est impuissant faute d’avoir les savoirs nécessaires et aussi toutes les informations utiles à la formation d’une opinion solide et conforme à la vérité des choses. Une méthode basée sur une greffe de moelle osseuse a permis de stabiliser l’évolution d’un patient atteint de leucodystrophie. On peut penser que c’est un succès mais si l’on tente de saisir ce que sous-entend le verbe « stabiliser » alors on finit par s’interroger. Mais dira-t-on, cela ne nous regarde pas, ou enfin si, mais de très loin, dans la mesure où l’argent public est dépensé et serait peut-être utile dans d’autres secteurs. Finalement c’est terrible, ces coups du sort, ces maladies dites orphelines et tous ces maux qui maintenant entrent dans le champ de la santé publique et peuvent prétendre légitimement à des investigations médicales. Que de souffrances. Les épargnés de cette loterie génétique ne peuvent que se taire, même s’il est évident, en paraphrasant Michel Rocard, que le système de la recherche médicale ne peut pas accueillir toutes les maladies du monde. J’en deviens neurasthénique, ayant le sentiment d’écrire un texte pour être lu un dimanche d’ennui par Ivan Levaï sur les ondes d’Inter.
Les thérapies géniques ont été propulsées comme source d’espoir lors des premiers Téléthon mais maintenant, il faut le reconnaître, ces techniques doivent être considérées comme ayant échoué, malgré les milliards d’euros dépensés (dans le monde) dont une modeste partie provient des fonds du Téléthon. Il y a sans doute une explication à cet échec. Elle est connue par quelques scientifiques mais la plupart des acteurs dans le domaine de la thérapie génique se doivent de pratiquer une sorte de déni de réalité visant à occulter quelques données fondamentales sur le vivant qui, malgré les résultats analytiques acquis, ne peut être conçu comme une sorte de meccano dont il suffirait de remplacer les pièces pour qu’il fonctionne correctement. J’ai emprunté cette image du meccano à Jacques Testart qui il y a cinq ans ne mâchait pas ses mots, évoquant une mystique du gène tout en prédisant un échec de la thérapie génique d’autant plus douloureux que des moyens considérables auront été dépensés après des faux espoirs propagés dans les médias. Le vivant échappe à la maîtrise génétique pense Testart, soulignant notamment quelques effets imprévus laissant penser que la thérapie génique n’est pas sans risque, avec des cas de nourrissons traités contre des déficits immunitaires ayant développé une leucémie car le transgène thérapeutique serait allé se loger dans un endroit non approprié du génome. Pour qui est au fait du nouveau paradigme, le constat de l’échec des thérapies géniques s’inscrit dans un cadre théorique assez clair. Bref, on ne peut pas manipuler le génome humain selon ses volontés. Testart concluait son article en n’excluant pas que la thérapie génique puisse un jour marcher ou alors apparaître comme un gigantesque bluff animé par des industriels et des chercheurs ayant exploité sans vergogne la détresse des familles. Est-ce à dire que les chercheurs ne seraient pas aussi désintéressés qu’on ne le pense ? On nous aurait menti ? Je ne le crois pas, enfin, j’ai quand même vu passer un article dans Nature sur le traitement d’un patient atteint de thalassémie. Avec comme signataires cinq scientifiques précisant en bas du texte, conformément à recommandation déontologique sur les conflits d’intérêts, qu’ils sont rémunérés par un industriel de la pharmaco-génétique. Je laisse néanmoins cette question entre les mains des journalistes d’investigation, n’ayant pas le goût d’enquêter sur le business de la génétique.
Plus intéressantes et importantes sont les questions de science et de stratégie dans la recherche. Et sur ce point, Testart l’a clairement explicité, le paquet mis sur les recherches en génétique aboutit à une sorte de situation monopolistique où le « lobby de l’ADN » accapare un volume considérable de moyens financiers, qu’ils soient publics, privés (industriels) ou caritatifs (Téléthon entre autres), sans compter la mobilisation de moyens intellectuels, congrès, contrats, publications, séminaires, étudiants enrôlés. Ce constat dépasse de loin le cadre des recherches financées par le Téléthon. Ce qu’on peut donc soupçonner, c’est une éventuelle erreur stratégique dans la recherche, une erreur assez grave dont on peut livrer quelque échos aux citoyens qui sans doute, se fieront plus aux experts qui travaillent sur le sujet qu’à d’improbables contestataires comme Testart ou des « journalistes amateurs » comme votre serviteur qui précise quand même qu’en matière de compétence scientifique, il est au moins l’égal de ses pairs qui travaillent dans les labos. Pour être honnête, je ne crois pas au succès généralisé des thérapies génétiques mais sans doute y aura-t-il par on ne sait quel heureux hasard un ou deux cas où ça semble fonctionner. Le siècle de la génétique est terminé. Mais cela n’empêche pas les acteurs de la recherche de continuer à faire espérer, non plus sur des bases scientifiques solides mais en promettant de faire des essais. Et chaque année, ces messieurs en blouse blanche viendront parler de nouveaux essais et comme la possibilité de bricolage moléculaire est illimitée, dans cinquante ans on aura encore des nouveaux essais.
Ces considérations n’impliquent pas qu’il faille en finir avec le Téléthon, loin s’en faut. Il faut considérer cette manifestation pour ses aspects positifs. A une époque marquée par l’individualisme, les manifestations du Téléthon laissent espérer qu’il reste encore un peu de ressort collectif permettant d’entretenir le lien social. Pour les familles concernées, ce moment de recueillement collectif face à la maladie représente un peu de soutien psychologique. Qui coûte 100 millions d’euros, ce qui est une somme mais après tout, les Français ont du fric et donner cet argent pour la recherche n’a rien de scandaleux au vu des dépenses en futilités, surtout pendant les fêtes. Faut relativiser comme on dit dans les bistrots philosophiques près de chez moi. Après, à chacun ses croyances. Personne n’est obligé d’aller à la messe écouter le prêtre réciter les Evangiles et verser le denier du culte, pas plus qu’on se doit de participer au Téléthon ou bien de se farcir la messe cathodique en supportant les incantations de Nagui, les invocations de Sophie Davant et les inepties de Frank Dubosc. Quant aux scientifiques, eh bien on ne peut pas trop leur reprocher d’être les acteurs de la recherche, bien qu’ils se fourvoient dans la stratégie et continuent à fonctionner avec un paradigme stérile. En plus, quand on bosse, on se doit de soigner son gagne-pain et de croire à ce qu’on pense. Prenez un boulanger qui fabrique du mauvais pain, vous croyez qu’il va arrêter si les clients continuent à fréquenter sa boutique ? Finalement, à chacun sa conscience et comme le dit l’adage, parmi les scientifiques, Dieu reconnaîtra les siens, mais il se fera conseiller avant par Newton et Darwin.
Reprenons à la case départ. Le Téléthon sert à créer du lien social, du soutien psychologique, permettant d’avoir un autre regard sur ces maladies et d’entretenir un peu d’espoir. On pourra toujours décrier le côté ostentatoire et exhibitionniste mais il n’y a qu’à éteindre le poste si on ne veut pas regarder. Qu’une chaîne de service public soit mobilisée n’a rien de choquant, au vu du reste des programmes affligeants qu’elle propose. Pour le reste, le Téléthon est maintenant associé à une machine technologique pratiquant le génie génétique. Une analyse fine verrait en œuvre des ressorts, tenants et aboutissant comparables à ceux mis en mouvement lors de l’arrivée du H1N1 et de la pandémie de la peur (cf. mon livre édité chez Xenia), sauf que le volet psycho-social n’est pas la peur mais l’espérance et que l’espoir perdure alors que les maux persistent. D’où l’idée d’évoquer une pandémie de l’espoir. Pour le reste, on aura noté ce déni scientifique face aux stratégies technologiques et essais thérapeutiques. Un système technicien échappe aux finalités et devient autonome en évoluant avec sa propre logique et sa finalité propre. Voilà pourquoi dans vingt ans il y aura encore des essais, même sans résultat tangible, et que contrairement à ce que pense Testart, peu se souviendront des promesses non réalisées. Il n’y a pas de coupable ni de tromperie. C’est une sorte de pari pascalien pour ceux qui espèrent alors que la formule du philosophe Alain n’a jamais été aussi éclatante, le pessimisme est d’intelligence, l’optimisme est de volonté, celle des acteurs du Téléthon et celle des chercheurs avec les bénévoles et salariés de l’AFM. L’important est que les gens y croient. Cela rappelle cette expérience où dans une salle, un étudiant voit bien qu’un bâton est plus court que l’autre mais se rallie à l’avis de la majorité (en fait les complices de l’expérimentateur), adoptant alors un avis erroné. Les succès thérapeutiques présentés dans les médias sont souvent des demi-échecs mais comme la majorité décide que ce sont des succès, alors il ne fait pas bon émettre un avis contraire.
(Les individus ont toujours commercé avec le déni ou la dénégation. Le tableau affiche un partout mais comme la France est allée sur le terrain des Espagnols, c’est une victoire. Eh oui, tout le monde en est certain, victoire de la France en Espagne sur le score de un partout et figurez-vous que le vrai gagnant de la présidentielle de 2012 est Nicolas Sarkozy avec presque 49 % des suffrages alors n’allez pas dire dans un cercle de militants UMP que Hollande a gagné).
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