Tous fichés
Une simple question : peut-on encore être anonyme aujourd’hui, dans nos sociétés informatisées à l’extrême ?
Et d’abord, pourquoi le vouloir ? Vous avez quelque chose à vous reprocher, Monsieur ? Non ? Alors, acceptez d’être fiché, comme tous les honnêtes gens.
Telle est la problématique exposée dans La Grande Surveillance, de Claude-Marie Vadrot.
En d’autres termes, de nos jours, le droit à disparaître est en train de disparaître, justement. Et il y a plusieurs causes :
- au nom de la sécurité de tous ;
- au profit des publicitaires qui veulent mieux nous cibler ;
- parce qu’être célèbre est érigé en modèle dans nos sociétés de l’image et du paraître,
bref, toutes ces raisons font que tout un chacun est aujourd’hui, consciemment ou non, fiché, enregistré, filmé, pisté, pour pouvoir ensuite être analysé, passé au crible des moulinettes les plus sophistiquées.
L’Enfer est pavé de bonnes intentions
Nos faits et gestes les plus quotidiens sont concernés. Simple liste non exhaustive :
- caméras vidéos : dissuasion anti-agression (dont l’efficacité n’est pas prouvée), mais aussi pour analyser, par exemple, les parcours d’un client de supermarché dans les rayons ;
- téléphone portable : en contrepartie d’être joignable partout, l’utilisateur est localisable en temps réel pour peu que l’appareil soit allumé. Et on ne peut déjà plus s’en passer. Pour le GPS, c’est pareil ;
- carte bancaire : un moyen de paiement simple et rapide. Mais nominatif et dont les transactions de chaque terminal sont journalisées (enregistrées et conservées informatiquement). Localisation moins efficace que le GSM, mais très pratique pour les péages, par exemple, pour calculer la vitesse moyenne et pouvoir un jour recevoir automatiquement une amende pour excès de vitesse ;
- cartes de fidélités : l’enseigne qui la délivre connaît ainsi tout de nos habitudes d’achats, pour encore mieux cibler ses campagnes de marketing. Et elle peut revendre au plus offrant ces informations ;
- ces assurances auto qui commencent à proposer l’installation d’un mouchard dans le véhicule pour que l’assuré voie sa prime modulée en fonction de son "comportement" (nombre de kilomètres, souplesse de conduite, etc.). Encore de la surveillance en contrepartie d’un avantage, financier, cette fois ;
- le dossier médical informatisé (encore dans les cartons), regroupant toutes les données de santé d’un individu. Qui nous prouvera qu’il est inviolable ? Il est facile d’imaginer une compagnie d’assurance demandant l’accès à ce dossier avant toute étude sur un prêt immobilier ou une assurance-vie, par exemple ;
- les relevés d’ADN : la police peut simplement demander que soit prélevé votre ADN quand un meurtre a été commis dans votre quartier. Quoi de plus normal, si on est innocent. Le problème est que l’identification a encore des progrès à faire, et surtout que votre empreinte la plus personnelle est enregistrée et peut vous faire accuser à tort, des années plus tard pour un autre crime ;
- les surveillances des connexions internet viennent couronner le tout, en mettant la main sur le réseau des réseaux, en passe de devenir le lieu de notre vie et de nos actes les plus anodins comme les plus essentiels. Dis-moi quels sont tes mots-clés, je te dirai qui tu es...
Mais alors, que faire ?
Il y a heureusement un contre-pouvoir à cette menaçante mise en fiche de nos existences : la Cnil, Commission nationale de l’informatique et des libertés, dont la motivation est de faire respecter l’identité humaine, les droits de l’homme et la vie privée. Mais son rayon d’action s’amenuise, rogné par des lois plus récentes en faveur de la sécurité (notamment par la vidéo-surveillance). De plus, le rapport de la Cnil passe presque inaperçu de nos jours.
Bien sûr, un organisme qui enregistre des informations sur vous doit indiquer que vous disposez d’un droit sur ces données (accès, modification, radiation des fichiers, refus de cession à un tiers). Sauf qu’il est rarement possible de vérifier que les informations ont bien été effacées des fichiers...
Puisque la sécurité est devenu l’obsession de nos dirigeants, ressassée dans les médias, et finalement voulue par nos concitoyens, il faudrait accepter la liberté surveillée qui est en train de devenir la norme dans nos pays industrialisés ?
Ce serait oublier un vieil adage qui devrait suffire à la vie en société : la liberté s’arrête là où commence celle des autres. Bien sûr, ce serait suffisant dans un monde idéal, peuplé de gens responsables, et sans mauvaises intentions.
Dans son ouvrage, Claude-Marie Vadrot cite Thomas Jefferson :
Si vous êtes prêts à sacrifier un peu de liberté pour vous sentir en sécurité, vous ne méritez ni l’une ni l’autre.
La sécurité ne devrait pas s’établir au détriment de la liberté. Voilà qui fait réfléchir, dommage que les épreuves de philo soient passées.
Pour aller plus loin :
Claude-Marie Vadrot. La Grande Surveillance. Seuil, 2007
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